Reportage Invasion de l’Ukraine | Réfugiés en Hongrie

L’accueil des réfugiés ukrainiens, entre l’humanisme hongrois et le cynisme du gouvernement

Alors que le gouvernement hongrois affirme faire tout son possible pour aider les réfugiés ukrainiens fuyant la guerre, ce sont la société civile et les associations qui fournissent l’essentiel de l’aide humanitaire. Cet article fait partie d’une série sur la solidarité avec les réfugiés de guerre ukrainiens.

Publié le 14 avril 2022 à 12:40
Photo: © UNHCR

Difficile pour les Hongrois de concilier dans leurs esprits l’accueil à bras ouverts réservé aux réfugiés ukrainiens et la propagande anti-immigration débridée du gouvernement de Viktor Orbán depuis 2015.  

Les organisations de la société civile indépendantes, les ONG et les membres de communautés locales ont déployé des efforts considérables pour aider les Ukrainiens fuyant la guerre qui fait rage dans leur pays. Les autorités hongroises sont quant à elles toujours trop lentes et mal préparées – notamment du fait des tentatives du gouvernement fraîchement élu de gonfler le nombre d’arrivées afin d’obtenir un montant maximum de fonds de l’UE destinés à l’accueil des réfugiés. 

Nous sommes en sécurité ici, nous avons un endroit où vivre. Nous sommes de Kyiv. Nombreux sont ceux qui ont perdu leur maison et ne savent pas quoi faire. Beaucoup de gens en Ukraine ne parlent pas anglais, et nous sommes là pour qu’ils ne soient pas trop perdus. Nous sommes arrivées le 16 mars dernier. Des amis sont venus nous chercher à la gare. Des locaux nous ont pris sous leurs ailes, mais beaucoup  d’arrivants ne connaissent personne. C’est pourquoi ils sont désemparés – et c’est pourquoi nous sommes ici” dit Tanja, une jeune Ukrainienne accompagnée de sa mère (les noms ont été changés à leur demande) dans le centre d’accueil temporaire pour réfugiés installé dans le stade BOK, non loin de la gare de l’Est (Keleti Pályaudvar) de Budapest.

Budapest, mars 2022. Au centre d'accueil du hall BOK. | Photo : © HVG / Viktor Veres

Au moment de notre entretien, Tanja et sa mère envisageaient de proposer leur aide en tant que traductrices à la gare de l’Est, mais elles ont été informées que tous les réfugiés avaient été redirigés vers le stade BOK. La gare était alors devenue le principal point d’arrivée pour les réfugiés, et des dizaines de bénévoles tâchaient d’aider les gens dans le besoin, en l’absence de coordination entre les autorités et la société civile.

Elle fourmillait de groupes de volontaires et d’organisations humanitaires auto-organisées offrant nourriture gratuite, boissons, couches, wifi, services de traduction et conseils de voyage. Une situation qui a duré jusqu’à la quatrième élection consécutive, le 3 avril 2022, du gouvernement Orbán, qui a rapidement compris quels avantages (financiers) il pourrait tirer d’un engagement plus conséquent de l’État dans l’accueil des réfugiés. 


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Depuis lors, le gouvernement hongrois a faussement déclaré aux médias que c’était un courrier du Premier ministre Orbán qui avait convaincu la Commission européenne de consacrer des fonds d’urgence issus du programme REACT-EU (Recovery Assistance for Cohesion and the Territories of Europe, à l’origine conçu comme un fond de secours et de relance face au Covid-19) à la gestion de la situation en Ukraine. L’an passé, le gouvernement Fidesz avait refusé de bénéficier des mêmes fonds, dénonçant des conditions inacceptables. Puis, dans un retournement radical de position, le Premier ministre avait exigé 300 millions d’euros provenant du fonds REACT-EU à la Commission européenne. 

C’est suite à ce courrier que la politique du gouvernement envers les réfugiés a changé.

Budapest, mars 2022. Au centre d'accueil du hall BOK. | Photo : © HVG / Viktor Veres

Après avoir été enregistrés, les réfugiés peuvent bénéficier de billets de train gratuits (des “billets solidaires") en direction de la gare de Kőbánya-Felső, en périphérie de Budapest, d’où des navettes gratuites les conduisent au stade BOK. 

Depuis le changement de politique du gouvernement, seule une poignée d’ONG pré-sélectionnées sont autorisées à proposer leurs services. Les bénévoles qui ne sont pas enregistrés sont invités à rebrousser chemin, et l’État ne propose aucune solution d’hébergement. Tout repose sur l’hébergement privé, mis à disposition sur la base du volontariat. Ainsi, le réseau de soutien autonome en charge de la quasi-totalité des tâches relevant de la compétence du Katasztrófavédelem (agence nationale d’intervention d’urgence) est passé sous le contrôle du gouvernement, dont l’efficacité est très discutable.


Pendant des années, le gouvernement Orbán a diabolisé les réfugiés arrivant à ses frontières (pour la plupart des réfugiés afghans, syriens et irakiens), au moyen d’une guerre de communication tous azimuts. Pareille campagne ne fonctionnerait pas cette fois-ci, a fortiori car les réfugiés sont blancs, chrétiens et venant d’un pays voisin


En échange de fonds REACT-EU, les gouvernements devraient offrir les services détaillés dans la Directive européenne sur la protection temporaire – tels que la fourniture de nourriture, d’un hébergement, mais également de services sociaux comme une assistance psychologique, des gardes d’enfants, des moyens de contraception pour les adolescents, etc. Pourtant, Viktoria Horvath de l’ONG Migration Aid affirme que tout cela demeure à l’état de promesses et que ces services demeurent dans leur immense majorité fournis par les ONG et la société civile. 

Mukics Dániel du Katasztrófavédelem explique par écrit que l’agence établit des diagnostics de la situation vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, propose des hébergements, organise des voyages et coordonne l’assistance aux réfugiés. Ce que ce fonctionnaire ne dit pas, c’est que du fait de la place prise par les acteurs privés et les ONG dans le système d’hébergement – conséquence de la passivité du secteur public –  les trafiquants d’êtres humains recherchent désormais des personnes vulnérables, en particulier des jeunes femmes. Viktoria Horvath confirme que le trafic d’êtres humains est une menace réelle et croissante, qui, du fait de l’importance du rôle joué par les offres dans le secteur privé, ne peut être combattue de façon efficace.

Budapest, mars 2022. Au centre d'accueil du hall BOK. | Photo: Simon Ernö

La façon dont les autorités hongroises calculent le nombre de personnes auxquelles elles ont apporté assistance constitue un second problème. Le 16 mars, le MÁV, l’agence nationale du chemin de fer, a annoncé avoir mis à disposition plus de 100 000 billets solidaires. Pourtant, au 5 avril, les autorités hongroises n’avaient traité que 11 000 demandes de titres de séjour depuis le début de la guerre.

Une première explication est que l’immense majorité des personnes arrivées en Hongrie ne s’y arrêtent pas et continuent leur voyage vers l’ouest ou le nord du continent européen. Ce détail important est passé sous silence par Budapest. En outre, au lieu d’enregistrer et d’accepter automatiquement les demandes de titres de séjour (comme cela est recommandé par le porte-parole de la Commission en charge du dossier), les autorités ne le font que sur demande expresse – à la différence de l’Autriche, par exemple.

Tout ceci suggère que le gouvernement tente de gonfler le nombre de personnes pénétrant sur son territoire. Pour une raison simple : l’opportunisme.

Budapest, mars 2022. Au centre d'accueil du hall BOK. | Photo : © HVG / Viktor Veres

Pendant des années, le gouvernement Orbán a diabolisé les réfugiés arrivant à ses frontières (pour la plupart des réfugiés afghans, syriens et irakiens), au moyen d’une guerre de communication tous azimuts depuis la crise migratoire de 2015. Pareille campagne ne fonctionnerait pas cette fois-ci, a fortiori car les réfugiés sont blancs, chrétiens et venant d’un pays voisin. En outre, des dizaines de milliers de ces nouveaux arrivants appartiennent à la minorité magyarophone venant de la région que les Hongrois appellent “Kárpátalja” et les Ukrainiens “Zakarpattia Oblast”.

Le gouvernement Orbán a donc opté pour une stratégie différente, cohérente avec la politique d’ouverture de l’UE. Il est important de noter que les autorités déploient des efforts considérables pour séparer les demandeurs d’asile ukrainiens des “autres” qui veulent entrer sur le territoire hongrois. Des sources venant de la société civile confient que dans la ville de Debrecen, située à 30 kilomètres de la frontière ukrainienne, se trouve un gigantesque centre d’accueil. 

Ce centre a été fermé après que le gouvernement a installé des centres illégaux à la frontière – et qui demeurent en activité en dépit d’un jugement de la Cour de Justice de l’Union européenne. Aucun migrant ukrainien n’est envoyé vers ce centre.

D’après les ONG et les sources de la société civile auxquelles nous avons pu parler, l’hébergement des réfugiés de guerre ukrainiens est pratiquement entièrement pris en charge par le secteur privé et les organisations de la société civile, en dépit de capacités d’accueil importantes. Il est aisé de deviner la raison politique d’une telle différence de traitement entre des personnes pourtant dans la même situation désespérée.

Contexte

Près de 4,2 millions de personnes ont quitté l’Ukraine à ce jour. Pendant des semaines, le gouvernement hongrois a affirmé que le pays avait reçu le plus grand nombre de réfugiés après la Pologne – ce que contestent pourtant les données du HCR. La Pologne a reçu 2,47 millions de réfugiés ukrainiens, suivie de la Roumanie (648 000 réfugiés), de la Moldavie (396 000 réfugiés), puis de la Hongrie (394 000 réfugiés). Et bien que l’accueil de près de 400 000 personnes dans un pays de 10 millions d’habitants ne soit pas une tâche aisée, la vraie question que posent ces chiffres est : combien d’entre eux sont encore en Hongrie.

En collaboration avec Evens Foundation

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