Le journalisme indépendant : une nécessité pour les démocraties européennes

“Quand on a organisé cette conférence en partenariat avec Voxeurop, nous n’avions pas anticipé la canicule et les 29 degrés dans la salle… Merci à vous d’avoir bravé la météo pour venir !” Voici les mots choisis par Martine Scoupe, directrice adjointe du Trianon, cinéma d’art et d’essai réputé pour sa programmation culturelle à Romainville, en région parisienne, pour introduire le programme du soir. 

Afin d’alimenter la discussion sur les fausses informations et leurs impacts sur les démocraties européennes, quatre courts métrages*, choisis par l’équipe du Trianon, ont été diffusés pour aborder la manipulation de l'image, et illustrer comment le montage et la mise en scène peuvent façonner des vérités différentes, ou induire en erreur spectatrices et spectateurs.

Pas un seul pays du Vieux continent n’est épargné par les fausses informations

“L’Europe est-elle à l’abri des fake news ?” C’est la question, centrale, choisie par Delphine Bauer, journaliste membre du collectif Youpress et chargée de l’animation de la table ronde, pour lancer la discussion.

Pour Catherine André de Voxeurop, à l’aune de l’exemple récent des élections présidentielles roumaines de 2024, pendant lesquelles la commission électorale a invalidé un premier scrutin pour cause d’allégations d'ingérence russe, la réponse est non. De fait, pas un seul pays du vieux continent n’est épargné. "Mais cela démontre justement l’importance de traiter l'actualité à une échelle européenne !" précise-t-elle.

Les fausses informations circulent six fois plus vite que les vraies, contextualise Grégoire Pouget de Nothing2Hide en citant  une étude du MIT.  "Cela s’explique notamment par le fait que les fake news suscitent des émotions primaires et fortes comme la peur, la colère, l’enthousiasme, et qu’elles confirment nos biais cognitifs. De plus, naturellement, on a plutôt envie de partager ce qui nous révolte.”

Selon lui, l’Intelligence Artificielle (IA) générative et les deepfakes (vidéos truquées représentant des personnages réels) rendent la manipulation visuelle et sonore plus accessible, et alimentent un climat de méfiance généralisée. Et avec la rapidité de diffusion exponentielle que permettent les réseaux sociaux aujourd’hui, une fake news peut toucher en quelques secondes des milliers voire des millions de personnes.

Déconstruire les récits dominants grâce au journalisme

"Un des principaux obstacles au journalisme d’investigation c’est aussi le storytelling des grandes entreprises, des institutions ou des Etats". témoigne Leila Minano, journaliste chez Investigate Europe, en prenant l’exemple récent d’une de ses enquêtes sur l’ouverture par l’entreprise Imerys d’une mine de lithium en France, dans l’Allier.  "Le vrai danger, ce ne sont pas seulement les fake news virales, mais les discours brillants et mensongers des entreprises ou des Etats." Elle cite Imerys : "Ils disent : 'on va forer proprement dans l'Allier'... sauf qu’en réalité, ça n’a rien de propre !"

Le journalisme d’investigation est l’un des outils indispensables pour restaurer la transparence et la redevabilité. Mais il coûte cher, et reste encore sous-financé. Si, comme le précise Catherine André, la France dispose encore de quelques médias d’investigation indépendants soutenus par leur public, ce n’est plus forcément le cas ailleurs en Europe, que ce soit en Pologne, en Hongrie ou en Biélorussie, où la presse est graduellement placée sous la coupe des gouvernements. Malgré la censure et le contrôle politique présents dans ces pays, une résistance existe, notamment via des rédactions en exil ou des initiatives citoyennes.

L’impact comme boussole du journalisme indépendant

Les trois intervenants s’accordent sur ce point : les médias d’investigation et leurs enquêtes ont aujourd’hui un impact concret sur le politique, la justice et la société. Ce n’est pas un hasard si, dans leur travail et leur communication, ces médias ont de plus en plus les yeux rivés sur cette notion d’impact, qui est à la fois un levier pour démontrer leur utilité et une motivation à poursuivre dans un contexte difficile. 

Une évidence s’impose : le rôle fondamental d’une presse libre et indépendante, en France comme partout en Europe. Dans un écosystème saturé de contenus manipulés, d'algorithmes opaques et de désinformation à échelle industrielle, le journalisme reste l’un des derniers remparts de la démocratie. Pour jouer pleinement ce rôle, il doit être financé, soutenu et protégé. 

📔 Le rapport de la conférence est disponible ici.

* Liste des courts métrages diffusés:

• Le rêve de Bailu de Nicolas Boone
• Les joies sauvages d'Aurélie Bonamy
• The Centrifuge brain project de Till Nowak
• Les documents interdits : Roswell de Jean Teddy Filippe