La Fabrique de couleurs de Cluj-Napoca

Installé dans une ancienne usine de la capitale de la Transylvanie, un centre d’art contemporain géré par plusieurs galeries et collectifs d’artistes tente de se faire un nom sur la scène européenne.

Publié le 4 mai 2012 à 10:57

Une rue bordée de bâtiments froids, des institutions ou des usines. Près d’une porte, un feu tricolore change de couleur, passant du vert au rouge. Toutefois, ce n’est plus un feu pour la circulation mais un indicateur de la générosité de la société actuelle. Il est rouge quand la société n'a pas d'argent pour la culture, et vert quand il y a une arrivée de fonds pour l'art. Perdu parmi des blocs de béton et des portes en métal, un bureau : serait-ce celui du contremaître ou de l'ingénieur en chef ? Que nenni, c'est celui de Rariţa Zbranca, manager culturelle.

Quatre étages de galeries, d'ateliers ou d'espaces de résidence, chacun offrant une surface de 500 mètres carrés. A midi, tout est encore calme. Ces murs ne prendront vie que plusieurs heures plus tard et, lorsqu'il y a des expositions ou des spectacles, on peut rester ici jusque tard dans la nuit. D’autant que les équipes se relaient pour faire vivre la culture : des conférences soutenues par des personnalités de Cluj, des œuvres exposées par des artistes européens, des projections de documentaires. Le plus difficile est de pénétrer dans les ateliers des sculpteurs et des peintres - leur monde à eux.

Un toit commun

Le concept est né par nécessité : face aux difficultés pour ouvrir une galerie d'art dans cette ville, deuxième centre culturel de Roumanie, les artistes de Cluj-Napoca ont décidé d'unir leurs efforts. De ce point de vue, le nouveau centre d’art contemporain apporte la preuve que la crise économique peut produire quelque chose de bon. Le prix de location d'une galerie pouvait atteindre en 2009 jusqu'à 10 euros le mètre carré, dans le "nombril" de la ville. Les organisations culturelles se préparaient à capituler, faute d'argent et de sponsors.

Parmi elles, la Fondation AltArtet la Galerie Plan Bde Rariţa Zbranca, promoteurs de l'art visuel contemporain. Ses confrères de la Galerie "Sabot"découvrirent alors les locaux de l'ancienne fabrique de pinceaux, raconte Rariţa. Financièrement, c'était imbattable : seulement 2 euros le mètre carré. Après plusieurs mois d'indécision, ajoute-t-elle, "j'ai fondé une fédération qui s'appelle ‘La fabrique de pinceaux". Aujourd'hui, le projet regroupe 46 entités, dont neuf collectifs, cinq galeries et 32 ​​artistes.

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Il ne faut pourtant pas s'imaginer qu'une nouvelle institution est née. Les artistes se sont trouvé un toit commun, mais chacun conserve sa propre vision de l'art. A tour de rôle ont lieu ici des spectacles de théâtre ou de danse, des expositions de peinture ou de sculpture mais aussi des projections de films. "Nous assurons la promotion de ces activités. Il y a ici une relation cohérente avec le public. C'est un lieu de pélerinage de l'art contemporain", ajoute Rariţa Zbranca. Le résultat de cette vision partagée a pu se voir entre 2009 et 2011, période pendant laquelle la fabrique de culture a abrité 40 spectacles, 50 expositions, 30 ateliers, 10 festivals et 15 conférences.

Premiers mécènes

Au-delà de l'esprit festif se trouve un besoin de soutien financier. "Les Roumains n'ont pas la culture du mécénat", souligne la manager culturelle. Les sponsors ne courent pas les rues non plus. Un artiste doit avoir un espace de création, mais il doit payer le loyer, acheter le matériel nécessaire. Il ne vit pas de son art. Alors ils prennent des petits boulots à côté. Daniela Cristina Gagiu, par exemple, est designer d'intérieur. Pour elle, "la condition de l'artiste contemporain en Roumanie, c’est essayer de survivre". Certains artistes travaillent effectivement jour et nuit : pendant la journée, ils ont leur petit boulot et le soir, ils rejoignent leur atelier.

Les premiers mécènes des artistes de Cluj ont été des étrangers, à travers l'engagement de la Norvège, du Liechtenstein et de l'Islande dans le cadre du mécanisme financier de l'Espace économique uropéen(EEE), avec un projet de 75 000 euros. Ce sont eux qui ont fourni par la suite diverses pièces d'équipement, comme les installations sonores ou les tapis de danse. Au début, les autorités locales n'ont pas aidé la fabrique, mais les choses ont changé, explique Rariţa.

Le maire de Cluj en personne a offert une subvention de 30 000 lei [environ 9 000 euros]. Les bonnes nouvelles ont commencé à tomber, avec un financement de la part de l'administration du Fonds culturel national, destiné à l'école d'été, qui sera organisée dans l'enceinte de la fabrique. "La Fabrique de pinceaux devrait devenir génératrice de politiques culturelles alternatives à celle de l'Etat, avec l'avantage que ses programmes peuvent être testés sur place", soutient Rariţa Zbranca. Evidemment, les idées doivent d'abord être "forgées" dans la fabrique. D'autant plus que la ville de Cluj aspire au statut de capitale européenne de la culture, en 2020 [du 9 au 20 mai, elle participe au Festival Transeuropa].

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