Actualité Lutte contre la corruption

La force vient de l’action collective

La bonne gouvernance est aussi affaire de coopération : plus les citoyens sont connectés entre eux et l’Etat de droit est fort, moins la société tendra à être corrompue, explique la chercheuse Alina Mungiu-Pippidi dans son dernier livre.

Publié le 25 novembre 2015 à 09:35

Pourquoi parle-t-on de plus en plus de scandales de corruption dans les médias ? Dans des pays comme le Brésil, l'Inde, l'Ukraine ou dans les Balkans, plusieurs élections au cours des dernières décennies ont pu changer les dirigeants, mais jamais le système de pillage des ressources publiques dont les nouveaux élus héritent. Les espoirs du printemps arabe de se débarrasser des dictateurs corrompus semblent être bien loin : en Irak, après des années d'administration américaine, la corruption reste le problème numéro un.

La corruption s’est aggravée en Afghanistan avec l'afflux de l'aide étrangère, qui arrivait à flots dans un pays gangréné par les butins accumulés par l'armée et les puissants.
Des organisations internationales comme l'ONU ou la FIFA semblent avoir des problèmes systémiques et du mal à contrôler leur image publique.

Le commerce international, qu’on présente pourtant comme un instrument ad hoc pour faire jouer la concurrence, semble également engendrer la corruption, les scandales tels que ceux de Siemens et Volkswagen montrent que personne n’est au-delà de tout soupçon.

Contrôle social

Et personne ne devrait être au-delà de tout soupçon, car la corruption est un phénomène généralisé dans le monde. Peu de gouvernements et d’entreprises sont soumis à un contrôle social fort les obligeant à rester propre et honnête, affirme Alina Mungiu-Pippidi, politologue à la Hertie School of Governance de Berlin, dans un tout nouveau livre récemment publié par Cambridge University Press The Quest for Good Governance. How Societies Build Control of Corruption (“La quête de la bonne gouvernance. Comment les sociétés mettent en place le contrôle sur la corruption”).

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Au lieu de se conformer à l'approche moralisatrice normative habituelle, son livre oscille de l'histoire à la psychologie sociale et fait valoir que la gouvernance, qu'elle définit comme les règles du jeu pour déterminer qui reçoit quelles ressources publiques dans une société donnée, est beaucoup plus difficile à faire évoluer que les régimes politiques car elle est la résultante d'un équilibre des pouvoirs entre une société et ses dirigeants.

Dans le monde entier, soutient-elle, très peu de pays ont changé depuis les mesures de gouvernance des trente dernières années, et seulement une poignée d’entre eux, des petits États insulaires pour la plupart, a atteint le seuil de la bonne gouvernance. Ses champions sont l'Estonie, l'Uruguay, Taiwan, la Corée du Sud et le Chili - avec une mention également pour le Costa Rica, le Botswana, la Slovénie et la Géorgie, qui s’en sont rapprochés.

Monarques bienveillants

Pour résumer, elle soutient que le contrôle de la corruption dans une démocratie est un problème majeur de l'action collective que peu de pays ont réussi à résoudre. Si un pays organise des élections libres avant de parvenir à construire une bureaucratie solide, autonome et puissante (elle s’appuie sur l’exemple historique du Danemark, qui serait le pays le mieux gouverné du monde), il est voué à un système de partis qui politisent le secteur public et pillent les ressources publiques à tour de rôle. Ce n’est pas un cas de figure imaginaire : les États-Unis sont passés par là. Mais des monarques bienveillants, comme le roi du Danemark, ou des masses critiques dans les démocraties semblent être difficiles à trouver de nos jours.

La principale leçon politique de ce livre, financé dans le cadre de l'une des initiatives les plus importantes en sciences sociales soutenues par l'UE, le projet-cadre ANTICORRP, ainsi que par plusieurs autres subventions reçues par l'auteur, est qu'une stratégie de lutte contre la corruption doit se construire sur une approche globale, et que l'une ou l'autre des solutions-miracles promues par la communauté internationale ne fonctionnent pas en vase clos ou pas du tout. Elle présente des statistiques concrètes décourageantes établissant que les agences anti-corruption n’améliorent pas la situation dans les pays où l’État de droit ne les précède pas : pire encore, leurs pouvoirs exceptionnels sont utilisés par les puissants contre les faibles dans le système politique.

Ni l’existence de médiateurs, ni la réglementation sur la liberté d'information ne sont suffisants pour changer la donne, et les pays les plus corrompus selon les enquêtes internationales ont souvent le plus grand nombre de lois anti-corruption qui restent lettre morte. L'Estonie a réussi la transition post-communiste la plus “propre” en réduisant les possibilités de corruption à travers sa libéralisation économique et la simplification administrative, de sorte que le pouvoir d'appréciation du gouvernement est borné.

Liberté de la presse

Mais la société estonienne était aussi forte et exigeante, ce qui est un élément important de l'équilibre, avec une presse libre et des “e-citoyens” équipés d’outils électroniques. Plus un pays a de raccordements individuels ou de comptes sur Facebook, mieux il est gouverné, car cela montre la capacité d'action collective de ses citoyens. Alina Mungiu-Pippidi montre des preuves de l'efficacité des combinaisons de facteurs, plutôt que des facteurs eux-mêmes — la transparence fiscale et une société civile active, par exemple, ou la liberté de la presse et la transparence de la vie politique.

L’homme a toujours eu du mal à empêcher le gaspillage des ressources publiques ou le favoritisme dans les dépenses, dit Alina Mungiu-Pippidi. Le favoritisme est endémique, avec des études qui montrent des citoyens se plaindre, même dans l'Union européenne, que le chemin de la réussite passe par les relations politiques. Les pots de vin sont souvent un moyen de faire aboutir une demande. Les problèmes d'action collective sont difficiles à résoudre, le livre le concède, pour deux raisons principales. L'un est le problème des frontières : des communautés bien bordées et délimitées, comme à Sienne, une ville-État italienne du XIIe siècle, ont mis au point des systèmes préventifs où les membres se surveillent les uns les autres dans le cadre de leur devoir civique.

La méfiance était le mode par défaut : tout le monde était appelé à protéger les ressources de la communauté, nécessaires aux dépenses essentielles comme la défense. Chaque fois que les frontières sont trop larges, pas claires ou trop vagues, comme c’est le cas dans les organisations internationales ou dans le commerce mondial, les équilibres locaux durement acquis ne comptent plus. Les entreprises des pays les mieux gouvernés s’alignent sur les règles du jeu locales quand elles investissent dans des pays corrompus.

Action collective

Le deuxième problème, tout aussi pressant, consiste à trouver des exemples à suivre. Selon la publication, il faut d’abord se demander “qui” doit agir avant de s’interroger sur ce qui doit être fait. Qui est pénalisé par la corruption et comment peut-on mobiliser ces personnes pour qu’elles entreprennent des actions collectives efficaces ?

La lutte contre la corruption n’est pas un jeu gagnant-gagnant. C’est une partie engagée par les citoyens contre ceux qui profitent d’eux et un effort soutenu est nécessaire pour s’assurer du fait que les vainqueurs du changement ne vont pas à leur tour abuser de leur pouvoir. Trouver des modèles et les approuver pour bâtir une masse critique de personnes qui croient qu’elles peuvent gagner leur vie en respectant les règles de la concurrence et non en se basant sur le favoritisme est l’objectif à atteindre si nous voulons faire avancer les choses.

Cet article est publié en partenariat avec ANTICORRP

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