Sur le parking du supermarché Tesco à Mosonmagyaróvár, Hongrie. Photo de Miso – DR

La guerre des prix

De plus en plus, les Slovaques se rendent dans leurs pays voisins pour faire leurs courses. Les produits de base y sont nettement moins chers. Comment expliquer ce nouveau phénomène de tourisme économique ? L'adoption de l'euro y est pour quelque chose. Mais pas seulement, souligne l'hebdomadaire tchèque.

Publié le 18 mai 2009 à 15:55
Sur le parking du supermarché Tesco à Mosonmagyaróvár, Hongrie. Photo de Miso – DR

Mosonmagyaróvár, ville d’eaux hongroise, vit depuis de nombreuses années grâce aux touristes autrichiens qui s’y rendent depuis Vienne, toute proche, pour profiter de ses eaux thermales et de ses dentistes bon marché. Mais ces derniers mois, un nouveau lieu d'attraction a fait son apparition – l’hypermarché Tesco, à la périphérie de la ville.

Il attire une nouvelle clientèle. Vendredi après-midi, le parking de Tesco est saturé de voitures immatriculées à Bratislava, ville située à peine à vingt kilomètres de là. La langue slovaque résonne un peu partout. A l’intérieur du magasin, des familles baguenaudent entre les rayons. Elles regardent les prix avec attention, font la conversion du forint vers l’euro – avec une fébrilité manifeste - et entassent les marchandises dans leurs chariots. Presque tous les produits, du téléviseur aux lessives en passant par les chaussures ou le café, jusqu’au beurre, au fromage ou encore aux bouteilles de vin, coûtent environ 20% de moins qu’en Slovaquie. Et les caissières hongroises d’acquiescer avec le sourire : "Bien sûr, vous pouvez payer en euro !".

Il en va ainsi tout le long de la frontière slovaque, côté hongrois, côté polonais et parfois côté tchèque. Pour beaucoup, la situation est claire : tandis que les Slovaques ont adopté l’euro et que les prix locaux sont demeurés pratiquement inchangés, les mêmes produits dans les pays frontaliers sont désormais beaucoup moins chers, du fait de la dépréciation du zloty polonais, du forint hongrois et de la couronne tchèque. Mais la situation aurait pu être tout à fait différente.

Il est certain que l’ouverture des frontières et le fait que la majorité des Slovaques vivent justement dans les régions frontalières contribuent à cette immense vague de tourisme économique. D’après plusieurs enquêtes d’opinion, l’introduction de l’euro est vue comme une bonne chose pour les consommateurs slovaques. Les commerçants slovaques, quant à eux, font grise mine. Au premier trimestre de cette année, ils ont vu leurs bénéfices chuter de près de 7%.

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Dans les premiers temps, les grandes surfaces ont constaté, sans réagir, la fuite de leurs clients de l'autre côté de la frontière. La situation devenant économiquement intenable, elle se sont lancées depuis deux mois dans une guerre des prix. Elles ont littéralement cassé leurs prix – parfois de plusieurs dizaines de pourcents -, surtout pour les aliments de base. Elles diffusent aussi des publicités dans les journaux, dans lesquelles elles comparent leurs prix avec à ceux de la concurrence établie dans les pays voisins.

Une des solutions pour empêcher ce tourisme économique serait de diminuer la TVA sur les produits alimentaires (sauf cas particuliers, la Slovaquie pratique une TVA unique à 19%), mais le Premier Ministre Fico s’y refuse, arguant qu’avec la perte de recettes conséquente, les caisses de l’Etat se videraient un peu plus encore alors qu’elles ne sont déjà plus très pleines en raison de la crise économique (en l'espace de quatre mois cette année, les "réserves" de l’Etat ont diminué de près de 12% et les recettes au titre de la TVA ont baissé d’un tiers, comparativement à la même période en 2008).

Dans la situation actuelle de crise économique le pays ne serait-il pas en train de payer les conséquences d’une surévaluation de la couronne slovaque (30,126 Sk pour un Euro) au moment de l’adoption de l’Euro, s'interrogent les médias. Le sujet provoque la polémique. Le vice-gouverneur de la banque nationale slovaque, Martin Barto, a fait valoir qu’étant donné que la majorité des produits que les Slovaques achètent, par exemple en Hongrie, est également importée, la différence de prix s’explique plutôt par les politiques distinctes qu’ont ces pays à l’endroit des grandes surfaces. Selon lui, si les consommateurs slovaques ‘votent avec leurs pieds’, c’est aussi parce qu’en Slovaquie, il n'y a pas beaucoup de magasins de taille moyenne, généralement plus souples en matière de pratiques de prix. Pour lui, ce serait en fait l’ensemble de l’économie slovaque, reposant presque entièrement sur de très grandes entreprises automobiles ou sidérurgiques, qui souffrirait de cette particularité.

Il est tout à fait possible que ce phénomène de bas-prix des produits de consommation à l’étranger ne soient pas directement lié à l'adoption de l'euro par la Slovaquie. Les commerçants adaptent le prix de leurs produits en fonction de la monnaie (plus ou moins forte) mais aussi du pouvoir d’achat propre à chaque pays. Selon une enquête de l’agence de sondage GfK, le pouvoir d’achat en Slovaquie a augmenté de 20% dépassant significativement celui des Hongrois et des Polonais (et se positionnant juste derrière celui des Tchèques ).

Cela dit, comment expliquer qu’en Autriche où le pouvoir d’achat est trois fois plus élevé qu’en Slovaquie et où la monnaie en cours est également l’euro, les prix soient souvent identiques et même parfois plus bas ? Le fait que les Autrichiens aient pu tout simplement, par leur comportement de consommateur, provoquer une baisse des prix est sans doute un élément de réponse. Au demeurant, à Hainburg, petite ville autrichienne située à environ 15 kilomètres de Bratislava, on peut voir, devant le Billa local, un parking rempli de voitures immatriculées à Bratislava, comme c'est le cas à Mosonmagyaróvár.

Début mai, les grandes surfaces ont annoncé avec fierté que la baisse des prix avait provoqué le retour des clients en Slovaquie. Si c'est vrai, alors l’euro n’est pas le seul coupable dans cette histoire de tourisme commercial.

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