Opinion Présidence de l’UE

La méthode Merkel à l’épreuve

Crise sanitaire en cours, crise économique à l’horizon, Brexit et budget de l’UE : la chancelière entame la présidence de l’Union dans un contexte on ne peut plus défavorable. Pourtant, estime Guillaume Klossa, sa méthode, basée sur la pondération, le consensus et une appréhension des problèmes et des solutions à l’échelle européenne, pourrait lui permettre d’en sortir par le haut.

Publié le 1 juillet 2020 à 08:30

On ne peut qu’admirer la manière dont Angela Merkel se donne les moyens de réussir sa deuxième présidence du Conseil de l’UE. Cette occasion pourrait être contre toute attente l’apothéose européenne d’une carrière politique au sommet. 

C’est un retournement qui n’avait rien d’évident tant les hésitations de la chancelière lors de la crise grecque, ses décisions solitaires en matière nucléaire ou migratoire et son absence de réponse au discours de la Sorbonne du président Macron ont pu jeter un doute sur la profondeur de son engagement européen.

La chancelière a pris acte d’une nouvelle donne tant mondiale qu’européenne et allemande qui l’a amenée à réexaminer ses positions. Il faut dire que la solitude géopolitique de l’Europe évidente lors de la crise de la Covid 19, les risques d’effondrement du marché intérieur, base arrière de l’économie allemande, et le retournement en faveur d’une solidarité européenne accrue de l’opinion publique de la république fédérale ont favorisé le réveil de la responsabilité européenne de l’Allemagne. Il ne manquait que la décision de cour de Karlsruhe qui a agi comme un catalyseur pour resusciter la dynamique franco-allemande avec un président français très proactif qui a su créer l’opportunité. 

Et si le décisif plan franco-allemand de relance de l’économie européenne du 18 mai n’est pas encore le moment Hamiltonien dont les fédéralistes se réjouissent, au moins est-ce le moment européen d’Angela Merkel et le retour, sans délai, de sa fameuse méthode.

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La chancelière n’a pas attendu le 1er juillet, début de la présidence allemande du Conseil de l’Union, pour s’adresser à l’ensemble des citoyens de l’Union dans une vidéo courte, sous-titrée dans les différentes langues de l’UE et diffusée sur les réseaux sociaux. Cette vidéo très sobre, voire ennuyeuse, est intéressante car elle illustre en tous points la méthode Merkel, clé de sa réussite politique tant au niveau national qu’européen, de sa longévité mais aussi de son extraordinaire popularité quinze ans après son entrée en fonction.

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Tous ensemble pour relancer l’Europe”, la devise qu’elle a choisie pour la présidence est en soi un discours de la méthode et un programme. C’est d’abord le collectif qui prime, lequel doit s’inscrire, non pas dans une refondation – point de nuance avec la France – mais dans un processus dynamique de relance tourné vers l’avenir. Cette relance doit se concevoir avec tous les membres de l’Union et de la même manière, que ces derniers soient membres de l’eurozone ou du Schengen ou non, peu importe.

Pour la chancelière, qui ne cesse de le répéter, il n’y a pas d’Europe à géométrie variable mais des valeurs qui fondent l’Union et qui doivent être respectées par tous : démocratie, droits de l’homme et Etat de droit. En termes de méthode également, la chancelière évite de monter la barre trop haut quand elle fixe les objectifs de la présidence allemande en même temps qu’elle ne dramatise pas la difficulté du contexte sans pour autant la cacher. Tout est mesure dans les propos d’Angela Merkel, il faut éviter à tout prix de créer des attentes trop élevées qui risqueraient de créer la déception. 

La réalité est que cette présidence est l’une des plus compliquées de la décennie et que la chancelière devra être sur tous les fronts si elle veut mener à bien son programme. En matière de politique étrangère, il lui faut donner le sentiment qu’il n’y a pas de pression afin de se laisser la plus grande marge de manoeuvre face aux grands partenaires et concurrents que sont la Chine, la Russie, la Turquie et les Etats-Unis avec lesquels les relations n’ont jamais été aussi tendues depuis la chute du mur.

Pour en revenir aux défis qu’elle a fixés pour sa présidence européenne, ils sont d’abord internes : s’assurer d’une bonne gestion de la crise sanitaire qui pourrait rebondir à l’automne et tout faire pour chacun prenne ses responsabilités ; Obtenir l’accord des 27 sur le budget et le plan de relance européen de 750 milliards qui ouvre une nouvelle page de l’histoire de l’intégration européenne ; Accélérer la mise en œuvre du Green deal et de la transition numérique et nouer l’accord avec les Britanniques quant à la relation future entre l’UE et Londres. La tâche est titanesque et sa réussite concrétiserait un nouveau contrat politique européen fondé sur un accroissement majeur des ressources communes, des transferts financiers considérables et la création de ressources européennes propres, ce n’est pas rien.

Mais afficher l’ampleur du saut politique compliquerait l’obtention rapide d’un accord entre les 27 ainsi que le processus d’adoption parlementaire qui doit le suivre, Merkel le sait. Il est donc clé de jouer profil bas et de donner le sentiment de la plus grande neutralité. Merkel sait aussi que ce n’est qu’une fois l’accord de relance ficelé et la relation avec Londres redéfinie, que l’Union sera en mesure de jouer le rapport de force avec ses grands partenaires, c’est pourquoi elle a repoussé à la fin de l’année le sommet UE-Chine qui devait se tenir en septembre, tant elle considère dangereux de négocier tant que l’unité des Européens n’est pas garantie.

Merkel est adepte de L’art de la guerre de Sun Tzu ; elle sait que ce qui fait la différence, ce sont la préparation, l’agilité et le sens tactique et qu’il est important de pouvoir compter sur ses alliés européens, et en premier lieu sur la France d’Emmanuel Macron, un des rares dirigeants continentaux à porter une forte ambition pour l’Europe. D’où l’extrême importance de l’accord du 18 mai sur la relance budgétaire avec le président français et cette rencontre au sommet entre les deux dirigeants deux jours avant le début de la présidence allemande de l’Union européenne. Pour réussir, rien ne doit être négligé. Force est de constater que l’Allemagne se donne les moyens d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire européenne, on ne peut que s’en réjouir.   

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