Exotique, la Suisse ? La question a de quoi surprendre s'agissant d'un pays situé au coeur du continent européen. Mais posée par Carrefour de l'Europe, l'émission de RFI présentée par Daniel Desesquelle, dans une édition spéciale présentée depuis le Centre culturel suisse de Paris, elle prend tout son sens. Car au-delà des clichés sur les votations et le secret bancaire, c'est un pays complexe et inattendu que l'on découvre.Une émission à réécouter sur le site de RFI.
Partenaire de l'émission, Presseurop a contribué au débat avec un auto-portrait de la Suissepublié par Le Tempsavant les élections du 23 octobre dernier. Où l'on découvre un pays prospère, à la fois sûr de lui et conscient de ses limites :
“Une fois encore, la Suisse est le meilleur élève de la classe en Europe”, proclamait le 4 octobre un communiqué de la Promotion économique du Grand Zurich. Avec sa monnaie flamboyante et ses statistiques insolentes – un dixième des milliardaires de la planète y habitent, ses ménages sont les plus fortunés du monde avec un patrimoine moyen de 250 000 francs suisses [200 000 euros environ] , la Suisse a retrouvé un statut qu’on croyait perdu depuis les années 1990 : îlot de bien-être dans une Europe en crise, pôle de stabilité dans un univers en déliquescence. Alors que l’Occident tremble sous l’effet de la crise financière, que les Arabes versent le sang pour leur liberté et que l’Asie émergente bouleverse l’équilibre des puissances, les élections fédérales du 23 octobre vont s’y dérouler tranquillement, comme dans l’œil du cyclone.
Une Suisse contente d’elle-même, qui estime avoir “fait tout juste” : cette thématique a imprégné la propagande des partis. Le retournement est spectaculaire quand on pense aux remises en question qui ont suivi la fin de la guerre froide : division passionnelle du pays sur la question européenne, longue période d’atonie économique… “Dans les années 1990, il y avait un énorme déficit de croissance, qui a donné l’impression que les choses allaient mieux dans le reste de l’Europe”, rappelle Gerhard Schwarz, le patron du centre de réflexion libéral Avenir suisse.
Redresser la situation a été un effort de longue haleine. Cela a commencé avec le décloisonnement du marché intérieur et les privatisations, s’est poursuivi avec l’ouverture au marché européen, avant d’être parachevé avec la mise en œuvre d’une politique financière restrictive. “La Suisse a eu cette capacité de dire ‘stop, on dépense trop’ bien avant que la dette n’atteigne des niveaux catastrophiques”, observe l’économiste français Charles Wyplosz.
Dès 2002, le frein aux dépenses, un mécanisme de stabilisation automatique du budget, a permis de casser l’envolée de la dette, avant de la faire chuter dès 2005. Copié en Allemagne, en Espagne, en Irlande – et jusqu’au Chili ou au Brésil –, ce système est devenu une référence dans le débat européen comme remède aux déficits publics qui minent le Vieux Continent. Si la Suisse inspire l’Europe, à l’intérieur du pays, les grandes visions des vingt dernières années ont subi un déclin radical. Enterrée par les partis gouvernementaux, l’adhésion à l’Union européenne apparaît comme une incongruité : moins de 20 % de la population la soutient encore. L’idée de réunir des cantons pour en faire de vastes régions eurocompatibles paraît morte. La modernisation du Conseil fédéral [l’exécutif, formé de sept membres] semble gelée pour l’éternité, ou peu s’en faut.
Désormais, la petitesse, voire la médiocrité de certaines institutions apparaît comme une vertu. “On trouve même que le Conseil des Etats [l'équivalent du Sénat] est super”, s’étonne Jakob Tanner, alors que cette Chambre des cantons était depuis des décennies le symbole suprême de l’immobilisme.