Le bois, le combustible du futur ?

Pour obtenir de l’énergie sans augmenter les émissions de CO2, quoi de plus simple que de brûler dans les centrales existantes des arbres que l’on replanterait au fur et à mesure ? Cette méthode amplement subventionnée n’est pourtant efficace que sur le très long terme.

Publié le 11 avril 2013 à 11:28

Quelle source d'énergie renouvelable est la plus importante pour l'Union Européenne ? L'énergie solaire peut-être ? (L'Europe possède les trois quarts des installations d'énergie solaire photovoltaïque). L'énergie éolienne ? (L’Allemagne a triplé sa capacité éolienne au cours des dix dernières années). La réponse est : ni l'un ni l'autre. Le combustible renouvelable le plus utilisé en Europe est de loin le bois.

Sous ses formes variées, baguettes, granulés, sciure, le bois (ou pour employer un terme à la mode, la biomasse) représente environ la moitié de la consommation d'énergie renouvelable d'Europe. Dans certains pays, la Pologne et la Finlande par exemple, le bois satisfait plus de 80% de la demande d'énergie renouvelable. Même en Allemagne, le pays de l'Energiewende (la transition énergétique), qui a injecté d'énormes subventions dans les énergies solaire et éolienne, il représente 38% de la consommation de combustible non fossile. Les gouvernements européens se sont vantés pendant des années de leur révolution énergétique high-tech, à faible émission de gaz carbonique, mais le principal bénéficiaire de celle-ci semble être le combustible principal des sociétés pré-industrielles.

Le bois pour atteindre les objectifs de 2020

L'idée que le bois dégage peu de gaz carbonique semble bizarre. Mais l'argument en faveur de son inclusion dans la liste des énergies renouvelables de l'UE était respectable : si le bois utilisé dans une centrale électrique vient de forêts correctement gérées, le gaz carbonique qui s'échappe de la cheminée sera compensé par celui qui est retenu et stocké par les arbres qu'on plantera. Le bois peut être neutre en carbone. Est-ce vraiment le cas, c'est une autre histoire. Or dès qu'on a décidé de considérer le bois comme une énergie renouvelable, son utilisation a monté en flèche.

Dans le secteur de l'électricité, le bois présente de nombreux avantages. La mise en place de champs d'éoliennes revient à cher mais on peut aménager les centrales électriques existantes pour qu'elles brûlent un mélange de 90% de charbon et 10% de bois (c’est la combustion combinée), sans faire de gros investissements. Contrairement aux nouveaux parcs solaires ou aux fermes éoliennes, les centrales électriques sont déjà reliées au réseau.

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De plus, l'énergie produite par le bois n'est pas intermittente comme celle produite par le soleil et le vent : elle ne nécessite pas de complément la nuit ou par temps calme. Et comme le bois peut être utilisé dans des centrales à charbon qui auraient risqué la fermeture en raison des nouvelles normes environnementales, il a beaucoup de succès auprès des compagnies d'électricité.

En conséquence, une alliance s'est rapidement formée pour soutenir l'attribution de subventions à la biomasse. Elle réunissait les verts, qui pensaient que le bois n'avait pas d'empreinte carbone, des producteurs d'électricité, qui voyaient dans la combustion combinée un moyen bon marché de sauver leurs centrales à charbon, et les gouvernements, pour qui le bois était le seul moyen d'atteindre leurs objectifs en matière d'énergies renouvelables. L'UE souhaite produire 20% de son électricité à partir de sources renouvelables d'ici à 2020 et serait loin d'y arriver si elle comptait uniquement sur le solaire et l'éolien.

L’argent pousse sur les arbres

Ces objectifs de 2020 sont en train de faire naître un nouveau secteur. Dans le passé, l'électricité produite à partir du bois était une activité de recyclage à petite échelle : les usines de papier scandinaves avaient une petite centrale à côté qui consommait des branches et de la sciure. Puis est arrivée la combustion combinée, un changement marginal. En 2011 cependant, RWE, un gros producteur allemand, a converti la centrale Tilbury B dans l'est de l'Angleterre, pour qu'elle fonctionne entièrement avec des granulés de bois (une forme courante pour les usages industriels). Et tout le monde s'est enflammé.

L'Europe a consommé 13 millions de tonnes de granulés de bois en 2012 selon la International Wood Markets Group, une société canadienne. Si la tendance se poursuit, la demande européenne passera de 25 à 30 millions de tonnes par an d'ici à 2020.

L'Europe ne produit pas assez de bois pour satisfaire cette demande supplémentaire. Une bonne partie viendra donc de l'importation. Les importations de galets de bois dans l'UE ont augmenté de 50% rien qu'en 2010, et le commerce mondial (qui est également influencé par la demande chinoise) pourrait quintupler ou sextupler pour passer de 10 à 12 millions de tonnes par an à 60 millions de tonnes par an d'ici à 2020, selon le European Pellet Council. La plus grande partie viendra de l'ouest du Canada et du sud américain, où l'exportation de bois est en plein essor.

Les prix crèvent le plafond. Le bois n'est pas une matière première et il n'y a pas de prix unique, mais selon l'Argus Biomass Market, son prix est passé de 116 euros la tonne en août 2010, à 129 euros la tonne à la fin de 2012.

Les effets dans cent ans

Et est-ce que c'est efficace ? Non. Le bois produit du gaz carbonique deux fois : une fois dans la centrale, une fois dans la chaîne de distribution. Pour faire des granulés de bois, il faut moudre celui-ci pour en faire une pâte qu'on comprime. Tout ceci, plus le transport, demande de l'énergie et produit du dioxyde de carbone : 200 kg pour la quantité de granulés nécessaires à la production de 1MWH d'électricité.

Ceci entame la quantité de gaz carbonique qu'on économise en passant au bois et augmente donc le coût de cette économie. Avec une subvention de 45 livres par MWH, déclare Roland Vetter, l'analyse en chef de CF Partners, le leader européen du marché du carbone, il en coûte 225 livres (263,22 euros) pour économiser une tonne de CO2 en passant du gaz naturel au bois. Et à condition que le reste du processus (dans la centrale) ne produise pas d'émissions supplémentaires. Ce qui n'est probablement pas le cas.
Au cours des dernières années, les chercheurs ont conclu que l'idée originale – le gaz carbonique des forêts gérées compense le gaz carbonique des centrales électriques – était une simplification exagérée. En réalité, tout dépend du type de forêt utilisé, de la rapidité de la croissance des arbres, de la forme de bois utilisée (copeaux ou arbres entiers) etc.

L'Agence Européenne pour l'Environnement a déclaré en 2011 qu'il n'était pas exact de partir du principe que "la combustion de biomasse" était "par définition neutre en carbone" car on négligeait le fait que "si on affecte des terres à la culture de plantes destinées à produire de l'énergie, ces terres ne produisent pas des plantes destinées à d'autres fins et permettant entre autres de retenir le gaz carbonique."

D'après les calculs de Tim Searchinger, de l'université de Princeton, si on utilise des arbres entiers pour produire de l'énergie, ce qui est parfois le cas, on augmente les émissions de gaz carbonique comparé au charbon, de 79% sur vingt ans et de 49% sur quarante ans. La réduction des émissions n'intervient qu'au bout de cent ans, quand les arbres de remplacement ont poussé. Or, comme le fait remarquer Tom Brookes, de la Fondation européenne pour le Climat "c'est maintenant que nous essayons de réduire les émissions de gaz carbonique, pas dans cent ans."

En bref, l'UE a créé une subvention qui coûte une fortune, ne permet probablement pas de réduire les émissions de gaz carbonique, n'encourage pas la mise au point de nouvelles technologies dans le secteur de l'énergie, et va sans doute croître comme un cyprès.

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