"Revenez, revenez ! Vous avez assez glandouillé dans ce pays chaud !" Dessin de la campagne "Talents, revenez !"

Le retour au pays, non merci

Le gouvernement de Tallinn vient de lancer une opération visant à faire revenir quelques uns des 200 000 Estoniens partis travailler à l'étranger ces dernières années. Mais cette initiative coûteuse laisse les expatriés sceptiques.

Publié le 21 avril 2011 à 13:37
Talendid koju  | "Revenez, revenez ! Vous avez assez glandouillé dans ce pays chaud !" Dessin de la campagne "Talents, revenez !"

Le programme "Talents, revenez !" vise à faire revenir en 2011 au moins 25 Estoniens sur les 200 000 qui vivent à l’étranger. Ce programme, placé sous le patronage du président estonien Toomas Hendrik Ilves et d'un budget de 125 000 euros, est-il un triomphe ou une farce ? Le prix pour chaque "talent" est de 5 000 euros, ce qui équivaut à 6 mois de salaire moyen en Estonie.

En Finlande, lorsque j’ai évoqué "Talents, revenez !" avec des Estoniens vivant sur place, le sujet a provoqué une réaction épidermique. Non pas que les Estoniens de Finlande ne rêvent jamais de revenir chez eux, mais parce que le nom de ce programme, "talents", les a blessé. Ce terme a vexé la femme de ménage comme le couvreur ou le chauffeur de bus. Ils considèrent que cet appel de la patrie est adressé aux Estoniens talentueux, aux génies, mais pas à la main-d’œuvre, qualifiée ou non.

Ce n’est pas la première fois que certains Estoniens de l’étranger se sentent offensés. La première fois, c'était lorsqu’ils ont du se séparer de leur famille pour aller vivre une vie pas forcément facile de travailleur étranger, car il n’y avait plus de travail pour eux. "Cette campagne n’a pas bonne réputation", estime Tiina Pintsaar, la rédactrice en chef adjointe du quotidien Eesti Päevaleht, publié en Suède. "Ici, on ne pense pas qu’une campagne réussira à faire revenir les gens, surtout si le travail se fait rare en Estonie". Selon elle, les Estoniens susceptibles de rentrer sont ceux qui vivent en Suède depuis quelques mois et ont encore des amis en Estonie.

Les jeunes Estoniens s'organisent via Facebook

Mais regardons plus loin. Dannar Leitmaa, un reporter d'Eesti Päevaleht qui s'est récemment rendu en Australie, a constaté que les Estoniens qui vivent dans ce pays se moquent totalement de ce programme. Il y aurait deux sortes de jeunes Estoniens en Australie : d'un côté, ceux qui travaillaient déjà au noir en Estonie, ce sont eux qui ont le plus souffert de la crise ; de l'autre, les jeunes avec une formation qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas voulu continuer à travailler en Estonie. "Dès que j’entends parler de ces absurdités en Estonie, ils peuvent me proposer ce qu’ils veulent, je préfère quand même rester ici", affirme une jeune femme qui, détentrice d'un master en Estonie, a quitté un bon travail pour être serveuse en Australie.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Pour les Estoniens qui avaient quitté leur pays après la Seconde Guerre mondiale, les sources d’information les plus importantes étaient les journaux estoniens locaux. Pour ceux d’aujourd’hui, c’est Facebook. Sur le réseau social, les Estoniens d’Australie, d'Århus, de Cambridge, de Dublin, de Hollande ou d’Italie se sont organisés en groupes. Mon idée d’initier avec eux une discussion sur cette campagne a rencontré un silence total.

Un appel patriotique peut créer de la confusion

"Je ne veux pas tirer un trait entre celui qui a du talent et celui qui n'en n'a pas", dit Aho Rebas, conseiller au ministère de l’Education et des Sciences, et représentant du conseil des Estoniens dans le monde. Il espère que cette campagne sera perçue comme un message sympathique que l’Estonie adresse à ses compatriotes à travers le monde pour leur dire qu’elle tient à tous. Aho Rebas admet cependant que les chances de l’Etat estonien de faire revenir les gens sont très modestes, voire nulles, ne serait-ce que parce que pour un même travail, les salaires sont trois fois plus élevés à l'étranger.

Selon lui, même si les Estoniens de l’étranger ne reviennent pas définitivement, il est important qu’ils préservent leur identité, qu’ils gardent des contacts avec leur pays et s’organisent à l’étranger. Dans ce but, Aho Rebas a créé un site internet avec l’aide du ministère de l’Education, "Les Estoniens à l’étranger",qui donne un aperçu d’environ 600 organisations des Estoniens à l’étranger.

Quitter son pays peut être un lourd fardeau à porter. Au lieu de rassurer, un appel patriotique – "Talents, revenez maintenant !" – peut créer de la confusion. Le message le plus important à communiquer devrait être celui qui rend hommage à ceux qui ont eu le courage et l’intelligence de partir loin pour trouver eux-mêmes la solution à leurs problèmes économiques, au moment où leur pays était en pleine crise et n’a pas pu les aider.

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet