Idées Discours sur l’Europe

Les dirigeants européens, muets et inaudibles

Les discours des dirigeants européens sur l'Europe et son avenir font rarement les gros titres des médias nationaux. La récente passe d'armes entre la chefe de l'extrême droite française et le président de la République au Parlement européen en est une fois encore la preuve. Est-ce parce qu'ils n'ont pas grand-chose à dire ?

Publié le 14 octobre 2015 à 14:47

La chaîne d'information en continu BFM TV a diffusé, comme beaucoup de ses concurrentes en Europe, le discours de François Hollande au Parlement européen. Jusque là, tout est normal. C'était l'événement politique du jour pour une chaîne française. En effet, c'était un "grand" discours du président de la République, annoncé en plus comme étant historique, à une heure où de toute façon il ne se passe pas grand chose, voilà de trois bonnes raisons de le diffuser. D'autant plus que pour la première fois, il allait être confronté en direct à une autre grande figure de la politique française, la championne de l'extrême-droite, Marine Le Pen. On remarquera au passage que l'enceinte européenne honnie par la présidente du Front national permet un affrontement démocratique qu'elle n'aura jamais en France au sein de l'Assemblée nationale...

Cerise sur le gâteau, "la femme la plus puissante du monde", Angela Merkel, allait s'exprimer à la suite de François Hollande. Apparemment, cette dernière raison n'a pas du tout intéressé BFM TV. A la fin du discours de François Hollande, la chaîne "d'information" a décidé de ne pas diffuser le discours de la chancelière allemande, alors que sa concurrente française iTélé l'a fait. Il s'agit donc d'un choix éditorial fort. Ou alors il existe une raison très prosaïque : BFM TV ne voulait peut-être pas payer de traducteur ? Possible, mais cette chaîne a tout simplement fait le choix éditorial de suivre le contenant au contenu : l'affrontement Le Pen - Hollande au Parlement européen plutôt que le discours sur l'Europe.

Comme l'a très bien démontré l'émission Le Petit Journal de Yann-Anthony Barthès, la plupart des journaux du soir ont fait de même. Il est très regrettable que l'information à la télévision soit tellement centrée sur la campagne présidentielle que même deux ans avant on ne parle que des futurs acteurs déjà connus. Encore une fois, le grand public français va passer à côté de choses passionnantes : la vision allemande de l'Europe avec Angela Merkel, le rejet de la construction européenne par Nigel Farage, l'opposition Europe contre nationalismes avec Guy Verhofstadt, le souverainisme de Marine Le Pen...

François Hollande en avait conscience : les points les plus marquants de son discours l'ont été sur le rejet des nationalismes, et donc de la présidente du Front national, avec son "à la phrase de Mitterand 'le nationalisme, c'est la guerre' j'ajouterai 'le souverainisme, c'est le déclinisme". Sa réponse à Marine Le Pen, bien moins ampoulée que son discours, fait aussi le buzz sur les réseaux sociaux.

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A quand des propositions concrètes pour mettre l'Europe au cœur de l'agenda médiatique ?

C'est peut-être aussi pour cela que les médias nationaux ne s'intéressent pas à ce qu'il se passe au niveau européen : les politiques sont tellement obnubilés par leur calendrier électoral national, qu'ils en oublient de vraiment se lancer dans le fond du débat européen. Le discours de François Hollande était certes plus passionné que celui d'Angela Merkel, mais quelle proposition ou calendrier concrets a-t-on pu en retenir ? Qu'il faut aller plus loin dans l'intégration. D'accord, mais sa tribune d'hommage à Jacques Delors en août 2015 était bien plus précise sur ce qu'il voulait faire de la zone euro.

Alors que pouvaient faire les médias français de différent ? Le président de la République n'a pas fait devant le Parlement européen de proposition explicite pour faire une avant-garde de la zone euro. Quel autre angle plus intéressant que le premier affrontement Le Pen – Hollande pouvait-ils choisir ?

Les politiques se plaignent souvent de la place prise par les partis populistes dans l'espace médiatique national et européen. Mais face au retour en arrière souverainiste, ils ne proposent rien de nouveau, en dehors du traditionnel "divisés, nous serions moins forts". Ils devraient constater que l'écho médiatique de cet argument est quasi nul. Les médias se sont intéressés au discours Merkel – Hollande à l'origine car on leur avait promis un moment historique.

Il ne l'était pas beaucoup plus que le discours du roi d'Espagne Filipe VI, intervenu quelques heures plus tôt, en dehors du symbole du couple franco-allemand s'exprimant côte-à-côte. Or le tempo médiatique a horreur du vide et le comble par autre chose, même si c'est aussi nauséabond que le discours de Marine Le Pen.

Photo : Angela Merkel s'adressant au Parlement européen à Strasbourg, le 7 octobre 2015. © European Union 2015 - source:EP

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