Photo: Andrey

Les filles du communisme à la conquête du monde

Nées dans ce que l'on appelait encore "les pays de l'Est", elles ont aujourd'hui 20 ans et profitent sans complexe de l'ouverture de leur société au capitalisme. Rencontre avec les nouvelles "working girls" de l'Europe.

Publié le 26 juin 2009 à 13:46
Photo: Andrey

Cécilia, 22 ans, vient de Bulgarie, a grandi à Erlangen, a étudié le théâtre et la médiation culturelle. Katharina, 20 ans, est originaire de Slovaquie et a pour ambition de devenir diplomate. Anna habite en République tchèque, a 28 ans et est doctorante à l’Université de Brno. Ces profils sont représentatifs du nouveau visage européen de l’Europe.

Quel est le point commun entre ces jeunes femmes, 20 ans après la chute du Mur, et le communisme ? A l’heure de la mondialisation et de l’ouverture européenne, le lieu de leur naissance importe-t-il encore ? "Les circonstances qui ont fait que, par hasard, je suis née dans un pays communiste, n’a pas un grand impact sur moi. Mes parents me parlent parfois de cette époque, mais moi, je ne connais que le système capitaliste", explique Katharina. Aussi indifférente qu’elle puisse être, l’image de son pays à l’extérieur la choque : "Quand je lis la presse internationale, et particulièrement des articles américains sur la Slovaquie, on en parle toujours comme un pays postcommuniste. C’est comme une marque qui ne s’effacera jamais."

Cécilia, plus douce mais déterminée est encore plus radicale dans son approche du passé communiste de son pays : "Les gens doivent définitivement arrêter de vivre dans le passé." La vision socialiste de l’Etat est selon Cécilia une "utopie" bien qu’elle comprenne les intentions à l’origine de la doctrine. "Je ne pense pas que l’on puisse rendre les hommes totalement égaux. Il y en aura toujours certains avec plus d’ambition, chacun doit pouvoir se construire comme il l’entend." Anna est quant à elle persuadée que son passé ne la marque pas plus que si elle était née dans un autre pays : "Presque chaque pays a une histoire qui est susceptible d’influencer négativement ses habitants."

Ces jeunes femmes tirent leur force de leur objectif de carrière et des possibilités qui leur sont offertes. C’est avec passion et une envie sanguine qu’Anna, habituellement posée, nous explique que ses aspirations professionnelles sont venues naturellement à elle : "Parfois, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui ai choisi mon métier mais que c’est mon métier qui m’a choisie." Après des études en filmographie, de l’endurance et de la curiosité, Anna est désormais doctorante à 28 ans à l’institut Masaryk (Université de Brno). Elle publie des essais sur les films muets et sur l’histoire du développement des technologies filmographiques en plusieurs langues. Malgré des embûches, des décisions fructueuses et d’autres moins, le chemin qu’elle a suivi était le bon : "Mon métier reflète ce que je suis réellement."

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Oui à l'émancipation, non à l'égalisation

Pour Cécilia, quitter la Bulgarie a été un moyen de s’émanciper. "C’était moteur de devenir indépendante et de ne plus être obligée d’habiter chez mes parents." Elle considère le travail pas seulement comme gagne-pain, mais aussi comme un moyen d’apprendre "ce qui se passe autour de nous, quels sont nos droits et nos privilèges. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut changer les choses." Cette conception de leur avenir professionnel s’explique, selon Dr. Christina Klenner, maître de recherche sur les genres à la fondation Hans Böcker, par la forte proportion de femmes sur le marché du travail dans les pays postcommunistes. Selon les statistiques de 2005, la proportion de femmes dans la part totale des actifs depuis le passage à l’économie capitaliste a certes reculé, mais au global, la moyenne des femmes actives dans les pays de l’Europe centrale et l’Europe de l’Est reste au dessus de la moyenne de l’Europe des 15.

Aucune des jeunes femmes citées ne se définissent comme des féministes : leur façon de vivre et de travailler suffit. "Je me sens bien en tant que femme et suis heureuse de ce que je suis", commente Katharina. Anna affirme aussi : "Je me considère comme une personne honnête. Je ne me suis jamais posée la question de savoir si j’agirais différemment si je n’étais pas une femme. J’ai été élevée ainsi." L’inégalité entre les hommes et les femmes ne s’exprime que sur un plan : le marché du travail. Katharina s’en énerve : "Quand pour le même travail, les hommes sont mieux payés que les femmes, ça m’est insupportable. C’est comme si les hommes obtenaient un bonus pour leur pénis."

Une étude lancée par l’université Friedrich-Willhelm en 2005, sur le thème "Compréhension du rôle des genres en Europe de l’Est et de l’Ouest", fait ressortir que les femmes d’Europe de l’Est ont le sentiment que l’égalité entre hommes et femmes, et particulièrement sur le marché du travail, n’est pas une réalité dans leur pays. Une réelle égalité ne résiderait pour elles pas en une égalité entre hommes et femmes, mais en l’accès aux mêmes droits.

La flexibilité et la mobilité, avec laquelle Cécilia, Katharina et Anna font bouger l’Europe, peut être aussi un frein au développement de leur pays d’origine. "Beaucoup d’habitants de l’Europe de l’Est auraient été heureux de pouvoir revenir dans leur pays d’origine, précise Anna, s’ils avaient la possibilité de pouvoir vivre, travailler, et survivre." Katharina ne se sent pas seulement européenne, mais aussi une citoyenne du monde. "Je n’aime pas quand les gens sont trop attachés à leurs origines. Cela ne peut que mener à des conflits ethniques et nationaux." Cécilia résume à merveille le grand écart entre ce que son pays et l’Europe peut lui offrir : "L’unité est peut être la valeur qui fait que je suis suspendue entre deux cultures."

Christiane Lötsch, traduit en français par Anne Fargeas

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