L’Europe n’est pas prête pour l’austérité

Le plan de sauvetage de 750 milliards d’euros approuvé par les Vingt-Sept le 9 mai permet de gagner du temps. Mais sur le long terme, maintenir le généreux mode de vie des Européens s'annonce difficile.

Publié le 11 mai 2010 à 14:45

La majeure partie de l’Union européenne vit au-dessus de ses moyens. Les déficits publics filent, échappant à tout contrôle, et la dette publique ne cesse d’augmenter. Si les gouvernements européens ne profitent pas de la bouffée d’oxygène qu’ils viennent de recevoir pour maîtriser les dépenses publiques, les marchés financiers seront de nouveau saisis par une dangereuse nervosité. Hélas, électeurs et politiques européens ne sont tout simplement pas prêts à affronter les années d’austérité qui les attendent.

Je pensais que le continent avait fait le bon choix. Que les Etats-Unis jouent les superpuissances militaires, que la Chine devienne une superpuissance économique — l’Europe, elle, serait la superpuissance du style de vie. L’époque de la domination des empires européens sur le reste de la planète est révolue. Mais cela n’a pas d’importance. L’Europe continuerait à se targuer des plus belles villes, des meilleurs vins et cuisine, du plus riche passé culturel, des plus longs congés payés, des meilleures équipes de football. La vie pour la plupart des citoyens européens n’a jamais été aussi confortable. Brillante stratégie. Mais elle comportait un gros défaut. L’Europe ne peut pas se permettre sa retraite dorée.

Crise grecque : l'exemple extrême du problème européen

La crise grecque est malheureusement un exemple extrême du problème européen. Les investisseurs suivent depuis des mois avec inquiétude les niveaux de la dette et les déficits budgétaires de l’Espagne, du Portugal et de l’Irlande. Mais même les quatre grands pays — Royaume-Uni, France, Italie et Allemagne — ne sont guère à l’abri. La dette publique italienne représente environ 115 % du produit intérieur brut. Il faudra en refinancer quelque 20 % au cours de l’année 2010. Le Royaume-Uni connaît l’un des plus importants déficits budgétaires en Europe, à près de 12 % du PIB. George Osborne, le probable Chancelier de l’Echiquier du prochain gouvernement, a qualifié les prévisions économiques officielles pour le pays d’“œuvre de fiction”. Les gouvernements français, eux, n’ont pas présenté de budget équilibré depuis plus de 30 ans. Et l’une des raisons de la profonde amertume des Allemands face à l’idée de renflouer la Grèce, est la difficulté de leur propre pays à équilibrer ses comptes publics.

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Certes, Estoniens et Irlandais ont déjà avalé la pilule amère des réductions de salaires et des pensions de retraite. Mais ils ont encore fraîchement en mémoire la vraie pauvreté, suivie par une très forte croissance qui ne pouvait pas durer. Ils ont conscience que les dernières années ont été quelque peu surréalistes.

Des choix douloureux inévitables

Mais comme le montrent les émeutes à Athènes, tous les Européens ne réagiront pas avec autant de stoïcisme à un plan d’austérité brutal. Beaucoup en sont arrivés à considérer la retraite à un âge encore jeune, les soins médicaux gratuits et les allocations chômage généreuses, comme des droits fondamentaux. Ils ont cessé depuis longtemps de se poser des questions sur le financement de ces avantages acquis. Pour eux, ce sont des droits, et c’est ce sentiment qui rend si difficile la mise en œuvre de réformes. Comme les dernières élections britanniques l’ont amplement démontré, la classe politique répugne à dire la vérité aux électeurs sur les choix douloureux qu’il faudra faire inévitablement.

Pourtant, si les Européens n’acceptent pas de se serrer la ceinture aujourd’hui, ils courent le risque bien plus grave d’un défaut de paiement et d’un effondrement de leur système bancaire. Pour bon nombre d’Européens, c’est le genre de choses qui ne se produit qu’en Amérique latine. La découverte que les pays méditerranéens – et peut-être même l’Europe du Nord – ne sont pas à l’abri d’une catastrophe financière, risque de leur faire un choc.

Les investisseurs étrangers au lieu des armées étrangères

L’accroissement du pouvoir et de la taille de l’Europe s’est accompagné d’un certain laisser-aller. Pour les pays méditerranéens et d’Europe centrale – qui se sont greffés sur le noyau historique de l’UE –, "Bruxelles" était la police d’assurance ultime. Une fois admis au sein de l’UE, les nouveaux membres étaient convaincus que la guerre, la dictature et la pauvreté ne seraient plus que de lointains souvenirs. Tout le monde avait le droit d’aspirer au confort de vie et à la stabilité des Français et des Allemands. Pendant des années, le système a fonctionné à merveille et le niveau de vie s’est envolé dans des pays comme l’Espagne, la Grèce et la Pologne.

Ces dernières années, l’unité européenne a également été présentée comme la garantie ultime chez les membres fondateurs de l’Union. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel parlent tous les deux de l’Europe "qui protège". Une union de 27 pays qui serait suffisamment vaste pour préserver le modèle social européen des aléas de la mondialisation.

L’UE joue effectivement un rôle de protection sur certains aspects fondamentaux. Néanmoins, si les Européens ne craignent plus les armées étrangères, ils commencent à redouter les investisseurs étrangers. L’Europe en tant que "superpuissance du mode de vie" reposait largement sur l’abondance des crédits.

Des tensions politiques toujours plus fortes

Le plan de sauvetage européen adopté le week-end dernier constitue essentiellement une dernière offre massive de crédit à destination des gouvernements européens dans le besoin. Reste qu’en dépit de tous les discours sur la solidarité paneuropéenne, cette initiative devrait fortement augmenter les tensions politiques entre partenaires. Les Grecs regrettent déjà amèrement la perte de leur souveraineté nationale tandis que les Allemands déplorent ce que leur coûte l’irresponsabilité des Européens du Sud.

Je me suis entretenu la semaine dernière avec un membre estimé de l’establishment européen. Il secouait tristement la tête face aux récriminations des Grecs et des Allemands, se désolant de l’impact de cette crise qui est parvenue à "monter deux peuples l’un contre l’autre". C’est le maximum de tension que l’on puisse atteindre dans l’Europe d’aujourd’hui. Espérons que cela n’aille effectivement pas plus loin. Les Européens prennent aujourd’hui conscience que le "projet européen" ne les protège pas contre les difficultés du monde extérieur. La situation peut encore s’aggraver, même dans le jardin clos de l’Union européenne.

Opinion

Les Grecs sacrifiés sur l’autel du dogme

"Athènes a été frappée par une sévère pneumonie et Wall Street s'est mise aussi à tousser", constate dans Lidové novinyun spécialiste d'un cabinet de conseil en finances. Pavel Kohout rappelle que la Grèce, qui ne représente que 2,5 % du PIB de l’UE, a mis en péril les marchés financiers du monde entier. Pour éviter que la crise grecque ne se propage et ne s’aggrave, estime Kohout, l’UE aurait dû laisser la Grèce faire faillite et sortir de la zone euro. "Si les représentants de l’UE avaient dit dès le début qu’il s’agissait d’une affaire interne à la Grèce et que la zone euro survivrait à la faillite de l’un de ses membres, l’effet d’assainissement aurait été le même, car les autres pays auraient été plus vigilants pour tenter de maintenir leur système financier en équilibre“, constate l’expert.

"Avec le départ de son membre le plus faible, l’euro pourrait regagner la confiance" des marchés, pense Kohout. La Grèce pourrait ainsi gérer la crise en dévaluant sa monnaie, ce qui serait "la mesure la plus simple, nécessaire au redémarrage de sa croissance économique". Mais "la Grèce ne peut pas quitter l’euro", constate Kohout, qui souligne que la zone euro est devenue "un dogme", et sa vulnérabilité un véritable "tabou politique". Et la Grèce se trouve obligée d’accepter toutes les mesures d’austérité "douloureuses", imposées par l’UE.

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