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L’Europe peut-elle se montrer ferme envers l’adversaire russe extérieur et l’ennemi intérieur hongrois ?

La victoire du Premier ministre autoritaire hongrois Viktor Orbán aux élections législatives du 3 avril révèle quelque chose de pourri au cœur de l'Union européenne. Elle pourrait également rendre l'aide à l'Ukraine plus difficile.

Publié le 7 avril 2022 à 12:37
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Alors que je me tenais dans une foule froide et inconsolable dans le centre de Budapest, tard dans la nuit de dimanche à lundi, pour écouter Péter Márki-Zay, le chef de l'opposition hongroise, reconnaître sa défaite, le fil Twitter de mon téléphone s'est rempli d'images de civils ukrainiens assassinés dans la ville de Boutcha. Certains d'entre eux avaient les mains attachées dans le dos. À côté d'une femme assassinée gisait un porte-clés avec un pendentif représentant les étoiles jaunes sur fond bleu du drapeau européen. Les horreurs ukrainiennes sont évidemment bien pires que les misères hongroises, mais les deux sont fatalement liées. 

Quelle amère ironie : au moment même où nous découvrons certaines des pires atrocités de la guerre de terreur menée par le président russe Vladimir Poutine contre l'Ukraine, le plus proche allié de ce dernier parmi les dirigeants de l'UE, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, est réélu grâce à l’instrumentalisation de cette même guerre à son propre avantage politique.

En plus d'exploiter tous les avantages qu'il a déjà intégrés dans un système politique tourné à son avantage, comme les circonscriptions électorales truquées et une domination écrasante des médias, Orbán a gagné en disant aux Hongrois qu'il les tiendrait à l'écart de cette guerre – et que leurs factures de chauffage demeureraient basses grâce à ses accords de gaz privilégiés avec Poutine. 

Dans son discours victorieux, le dirigeant hongrois a énuméré les “adversaires” qu'il a vaincus. Parmi eux, les médias internationaux, les bureaucrates de Bruxelles et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui l'a violemment critiqué pour son opposition aux livraisons d'armes et aux sanctions supplémentaires dont l'Ukraine a désespérément besoin. Il nous montre ainsi exactement qui sont ses ennemis - et son ami Poutine s'est empressé de le féliciter pour cette victoire.

Si la coalition d'opposition de six partis emmenée par Péter Márki-Zay l’avait emporté, la Hongrie serait devenue un fervent allié occidental face à l'agression russe, comme d'autres pays d'Europe centrale tels que la Pologne et la République tchèque. “Les Russes, rentrez chez vous !”, scandaient quelques jeunes à la toute fin de cette veillée organisée par une opposition déconfite à Budapest, rappelant un slogan déjà scandé à l'époque de l'invasion soviétique de la Hongrie en 1956.


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En retournant à minuit sur la place des Héros déserte, je me suis rappelé qu'à cet endroit même, en juin 1989, j'avais entendu un jeune Orbán, apparemment idéaliste, réclamer lui-même le retrait des troupes soviétiques de Hongrie. Pourtant, aujourd'hui, ce cynique vieillissant refuse catégoriquement de laisser les livraisons d'armes occidentales transiter par la Hongrie afin d'aider l'armée ukrainienne à renvoyer les Russes chez eux. Je me demande ce qu'il voit quand il se regarde dans le miroir.

Un gouvernement d'opposition aurait également rejoint le Parquet européen, permettant de poursuivre la documentation les faits de corruption dans l'utilisation des fonds européens. Il aurait mis à la porte l’International Investment Bank (IIB), qui, selon l'opposition hongroise, serait étroitement liée au régime de Poutine. Et il aurait entamé le difficile processus de transformation de la Hongrie en une véritable démocratie libérale.

Au lieu de cela, le parti Fidesz d'Orbán a une fois de plus obtenu une majorité des deux tiers au parlement, ce qui lui permet de modifier la constitution à volonté. Quelles que soient les assurances mielleuses qu'il donne à Bruxelles ou à Washington, il continuera à consolider ce que les politologues décrivent comme un régime autoritaire électoral. Le système politique hongrois est désormais plus proche de celui de la Serbie, un autre État non membre de l'UE, où ce week-end a vu la victoire simultanée d'un autre nationaliste autoritaire, le président Aleksandar Vučić, que de celui d'une démocratie comme la France ou le Portugal. Orbán et Vučić sont d’ailleurs de proches alliés.  

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