Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et l'ancien PDG de Microsoft, Bill Gates, à Bruxelles, en janvier 2012.

Microsoft et l’UE, un mariage de vingt ans

Partisanes de la concurrence et adversaires résolues des cartels et des monopoles, les institutions européennes sont pourtant liées par des contrats opaques au géant américain du logiciel. Le passage à des logiciels “open source”, qu’elles encouragent pourtant, serait trop compliqué et trop coûteux.

Publié le 17 décembre 2013 à 13:09
Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et l'ancien PDG de Microsoft, Bill Gates, à Bruxelles, en janvier 2012.

Les révélations, publiées récemment par Mediapart, sur le piratage dont a été la cible le service de messagerie du Parlement européen auraient pu être l'occasion d'une remise à plat de la sécurité informatique des institutions européennes.

Difficile d'imaginer moment mieux choisi. Pressée par des députés et des associations qui demandent depuis des années l'abandon des contrats les liant à Microsoft, confrontée aux révélations d'Edward Snowden sur le dispositif d'espionnage mondial mis en place par les Etats-Unis, ces institutions ont désormais la preuve de la facilité avec laquelle il est possible de s'introduire dans un service de messagerie. L'an prochain, la Commission européenne, qui contracte pour l'ensemble des institutions de l'Union, aura l'occasion de renégocier ses contrats passés avec le géant américain du logiciel, son principal fournisseur depuis vingt ans.

Pour l'instant, la Commission européenne fait la sourde oreille et ne veut pas voir de problème de fond, limitant le piratage du Parlement européen à un simple problème "technique". Interrogé par Mediapart sur ses motivations, le hacker avait pourtant insisté sur la dimension politique de son acte. Il ne s'agissait pas de s'attaquer à un logiciel en particulier. Outré par le manque de réaction des responsables politiques face au scandale Prism, il voulait "les secouer un peu" pour "améliorer la prise de conscience" et, "qui sait, améliorer les choses pour le prochain mandat".

Or c'est à cette même Commission européenne que reviendra la charge de négocier avec Microsoft ses deux principaux contrats arrivant à échéance en 2014. Pourtant, depuis 1993, la firme fondée par Bill Gates a réussi à rester le principal partenaire des institutions européennes. L'alliance a été reconduite à six reprises, sans aucune concurrence, car précédée d'aucun appel d’offres !

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Procédures négociées

La passation de marchés publics est pourtant encadrée par un "règlement financier" qui prévoit, par défaut, que tout contrat doit au préalable faire l’objet d’une mise en concurrence. Mais les textes prévoient également certaines dérogations permettant à la Commission de choisir directement une entreprise, dans le cadre d’une "procédure négociée", notamment lorsque celle-ci est capable de répondre à elle seule à l’ensemble de la demande. Et jusqu’à présent, Microsoft s’est toujours arrangé pour bénéficier de l’une de ces "procédures négociées".

Dans les années 1990, le principal argument avancé pour ce régime de faveur était que la société américaine était quasiment la seule sur son marché. Puis, au fur et à mesure qu’apparaissaient de potentielles alternatives, la commission a commencé à justifier son choix par le fait que changer de fournisseur coûterait trop cher et serait trop compliqué techniquement à mettre en place.

Ce dernier argument est justement celui avancé par les défenseurs du logiciel libre, c’est-à-dire ouvert et ne dépendant d’aucune licence propriétaire, qui réclament une véritable rupture avec le système actuel. "En fait, ce qu’ils disent, c’est [[‘nous ne pouvons rien acheter d’autre que du Microsoft car ça serait trop compliqué à faire fonctionner’]]. Et cela nous mène à la question du ‘lockin’, de l’enfermement", explique Karsten Gerloff, président de la Free Software Foundation Europe (FSFE).

Une procédure opaque

Ce quasi-monopole de Microsoft est d’autant plus étrange que les institutions européennes n’ont de cesse de vanter non seulement les vertus de la concurrence et la nécessité de marchés publics transparents, mais aussi les mérites des logiciels libres. De plus, les différentes équipes techniques semblent avoir pleinement conscience des enjeux.

Il existe ainsi, au sein du Parlement européen, une association des utilisateurs de logiciels libres, l’EPFSUG, qui travaille en collaboration avec la direction des services informatiques (DIGIT). Par ailleurs, les institutions européennes ont déjà mis en place plusieurs projets de logiciel, comme "AT4AM" permettant de gérer les amendements. De son côté, la Commission a bien mis en place, en 2011, une "stratégie pour l’usage interne des logiciels libres" sous la forme d’une déclaration d’intentions. Mais le document, qui s’arrête en 2013, n’a pour l’instant pas été mis à jour.

Les députés n’ont de cesse de questionner leur administration sur la question. En 2012, le Parlement a demandé des explications sur l’utilisation des logiciels libres à l’occasion du vote de la décharge, c’est-à-dire le contrôle du budget pour l’année 2011, durant laquelle ont été conclus les derniers contrats avec Microsoft. Depuis, le groupe Vert se bat pour obtenir des explications.

Contrats secrets

Les détails mêmes des contrats passés avec Microsoft en 2011 n’ont pas été rendus publics. "Ce qu’ils disent, c’est qu’ils ne peuvent pas donner les détails du contrat car cela violerait les intérêts commerciaux de Microsoft", explique Karsten Gerloff. "Personnellement, en tant que citoyen, je me moque des intérêts commerciaux de Microsoft. Ce qui m’intéresse, en tant que contribuable, ce sont les intérêts des institutions européennes, de savoir où va mon argent, s’il est utilisé d’une manière efficace ou non. Or, la tendance est plutôt à conserver les contrats de fourniture secrets."

[[A ce jour, la Commission européenne est liée à Microsoft par deux contrats]]. Le premier, passé via un fournisseur du nom de Fujitsu, est celui portant directement sur la fourniture des logiciels pour un montant de 50 millions d’euros. Le second, signé directement avec Microsoft pour un montant de 44,7 millions d’euros, porte lui sur le "support", c’est-à-dire l’entretien des logiciels vendus.
Or, ces deux contrats arrivent tous deux à échéance l’année prochaine. La Commission se décidera-t-elle à sauter le pas du logiciel libre en remettant en cause sa dépendance vis-à-vis de Microsoft ?

Interrogée par Mediapart sur son intention de lancer, ou non, un appel d'offres, la Commission refuse pour l'instant de se prononcer. Elle rappelle que "ses décisions dans le domaine du choix des logiciels, d’une part, respectent toujours pleinement la législation applicable en matière de marchés publics et, d’autre part, sont basées sur des analyses coût-bénéfice visant à déterminer le coût total de possession (et les risques) de chaque alternative".

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