Idées Présidentielle française

Non, M. Macron, la Pologne ne doit pas être sanctionnée

Emmanuel Macron joue à un jeu dangereux en accusant Varsovie d’être responsable de la délocalisation de Whirlpool. Il remet ainsi en cause l’un des piliers de l’intégration européenne.

Publié le 3 mai 2017 à 21:45

Après avoir courageusement résisté face à dix candidats qui étaient ouvertement anti-européens ou favorables à une révision en profondeur de l’intégration du Vieux continent (qui passerait par une remise en cause du marché unique) avant le premier tour, en s’érigeant ainsi en rempart du projet des pères fondateurs, Emmanuel Macron succombe à présent aux velléités de repli. En effet, alors qu’il a défendu d’arrache-pied la directive sur les travailleurs détachés lors du débat télévisé à onze et qu’il se refusait de faire des promesses populistes aux ouvriers de Whirlpool, il rejoint à présent le cortège des chantres de l’anti-européisme en choisissant la Pologne comme bouc émissaire.
Le chef de file d’En Marche ! a déclaré dans les colonnes de ce journal que ce pays devait être sanctionné car il jouerait, selon son expression, des écarts fiscaux et sociaux pour attirer des investisseurs tels que Whirlpool, ce qui aurait conduit à la délocalisation. Il drague ainsi l’électorat de Jean-Luc Mélenchon qui maintient une certaine ambiguïté sur le choix à faire au second tour. Il faut savoir qu’Emmanuel Macron est en chute libre dans les sondages, que sa victoire n’est plus du tout acquise et qu’il se raccroche à ce qu’il peut pour sauver la mise. Il va donc faire des promesses électoralistes à gauche pour plaire aux uns, puis des propositions de droite pour séduire les autres. Pourtant cette campagne tous azimuts lui fait perdre toute cohérence et crédibilité.
Mais attention, Marine le Pen vient d’engranger un soutien “de taille” : Nicolas Dupont-Aignan, alors que “seuls” les ténors des Républicains, du Parti socialiste, des Verts et du Modem ont accordé leur soutien à Emmanuel Macron. Le combat est inégal, c’est la panique à bord dans le camp d’En Marche ! Plus sérieusement, l’ancien ministre de l’économie n’a pas besoin de changer de cap pour convaincre les électeurs d’autres sensibilités car ceux-ci veulent faire barrage au Front national et cette inflexion soudaine ne fait que nourrir des soupçons sur son honnêteté.

La Pologne ne fait pas le choix du dumping social

On ne peut tenir de tels propos désinvoltes, lorsqu’on se veut pro-européen et de surcroît pour l’économie de marché. En attaquant ainsi la Pologne, vous remettez en cause le marché unique européen, soit l’une des idées phares de l’intégration. Celui-ci prévoit la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux. Whirlpool a donc le droit de délocaliser en Pologne, que cela nous plaise ou non. Dans certaines situations, cette libre circulation est favorable à la France, dans d’autres non, mais notre pays ne peut pas souscrire à ce principe “à la carte”, lorsque cela l’arrange. Heureusement, dans l’ensemble, les avantages du marché unique l’emportent largement sur les inconvénients.
Les accusations qui vous portez à l’encontre de la Pologne, M. Macron, sont erronées : ce ne sont pas les écarts au niveau des impôts et des cotisations sociales qui sont responsables de la décision de Whirlpool mais le différentiel des salaires. Et je peux vous assurer que ce ne sont ni les Polonais ni leur gouvernement qui ont fait le choix de rémunérations moindres. Ce sont les 45 ans de communisme que le pays a connu après la Seconde guerre mondiale qui expliquent le PIB moins élevé de la Pologne et a fortiori les salaires plus modestes. Les 25 années de rattrapage économique qui ont suivi n’ont pas suffi pour remettre les salaires des Polonais au même niveau que ceux des Français.
Si la Pologne a été soumise au joug de Moscou depuis 1945, ce n’est pas à la suite d’une décision souveraine du peuple, mais d’une résignation des grandes démocraties occidentales – y compris la France – à laisser à Staline la moitié de l’Europe après la Seconde guerre mondiale. Un conflit dont la Pologne avait également été la première victime, envahie par l’Allemagne nazie le 1er septembre 1939. Paris n’avait d’ailleurs alors pas respecté son alliance qui la liait à Varsovie, laissant Hitler s’emparer de la Pologne en quelques semaines sans broncher.
La Pologne ne fait donc pas de dumping social et sa compétitivité actuelle est l’effet collatéral d’un passé douloureux dont elle se serait bien passée et auquel la France a contribué par sa passivité. Ce n’est donc pas elle qui est en « infraction sur tous les principes » de l’Union européenne mais c’est vous, M. Macron, qui remettez en cause son fonctionnement en voulant faire barrage à la libre circulation des capitaux.

La Pologne n’est pas responsable du manque de compétitivité de l’économie française

La tendance aux délocalisations est un fait et il est impossible d’y remédier, si ce n’est en contestant le bien-fondé de l’intégration européenne, la mondialisation et l’économie de marché. Ce n’est pas votre programme, à ce que je sache. Ne faites pas du pied à Jean-Luc Mélenchon dont le programme économique conduirait à la faillite de l’économie française. Ses idées sont proches de l’idéologie communiste qui a provoqué le retard économique de la Pologne par exemple.
Les délocalisations ne sont pas la fin du monde. Ce n’est pas un phénomène nouveau : il a été entamé dans les années 1970. Et pourtant, bien que des sites ferment en France, il y a encore de l’emploi dans ce pays car d’autres secteurs émergent et embauchent. L’Hexagone a la chance d’être un pays développé dans lequel les salaires et les compétences des travailleurs sont élevés. Donc forcément, il n’est pas rationnel, du point de vue des multinationales, d’y produire des biens qui ne nécessitent pas ces qualifications, à des coûts plus élevés, comme les sèche-linges de Whirlpool. Ce sont les entreprises qui créent les emplois et les pouvoirs publics ne peuvent pas leur imposer leur choix. Les consommateurs seront l’arbitre final car soit il choisiront les sèche-linges moins chers produits en Pologne, soit ils boycotteront la marque. Bien sûr, la délocalisation en question est un drame pour les salariés d’Amiens et ces derniers devraient être accompagnés dans le cadre d’un plan social et être formés pour changer de métier. D’ailleurs, Emmanuel Macron mise sur la formation et c’est la voie à suivre.
En outre, le prochain locataire de l’Élysée devra se préoccuper de la compétitivité de l’économie. La loi El-Khomri et la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, qui porte d’ailleurs le nom d’Emmanuel Macron, étaient un premier pas dans ce sens. La poursuite de la baisse des charges sociales et la transition numérique – évoquée d’ailleurs par le candidat centriste – devraient également permettre à la France de renouer avec la croissance. Plutôt que d’attaquer la Pologne sur le dumping social, M. Macron ferait mieux de permettre à notre pays d’entrer en concurrence avec elle !

M. Macron devrait revenir à son programme initial, relancer l’Europe et les relations franco-polonaises

Si le candidat d’En Marche ! s’emploie trop à attirer des électeurs de tout bord, en renonçant à ses fondamentaux, il risque d'appauvrir son principal vivier de voix : le centre. Il doit donc assumer ses convictions et incarner le libéralisme décomplexé, imprégné d’une touche sociale et humaniste.
Emmanuel Macron mélange des problèmes de nature différente dans sa déclaration en réclamant également des sanctions contre la Pologne pour le non-respect des valeurs fondamentales de l’UE, notamment sur la question des réfugiés, comme si ce point était lié d’une quelconque manière au dumping social. Certes, la Pologne est dirigée par un gouvernement réactionnaire depuis 2015, après des élections remportées par le parti Droit et Justice, par contre-coup aux huit années de libéralisme qui ont précédé. Mais le président d’En Marche ! ferait mieux de se concentrer sur son propre rendez-vous électoral avant de jeter l’opprobre sur Varsovie car une victoire de Marine Le Pen mettrait la France dans une posture bien plus délicate en ce qui concerne le respect des valeurs de l’Europe. Je remarque par ailleurs que vous voulez instituer un budget de la zone euro. Or, une fois le Royaume-Uni hors l’UE, tous les grands pays de l’Union feront partie de la zone euro, mis à part la Pologne, ce qui montre que vous voulez l’exclure du noyau dur de l’Europe. Ce n’est pas en isolant la Pologne et en brandissant des menaces que l’on convaincra ce pays d’adhérer au projet européen.

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Il convient bien au contraire d’écrire une nouvelle page dans la belle histoire des relations franco-polonaises. C’est l’histoire des légions polonaises dans l’armée de Napoléon, de Victor Hugo qui a plaidé pour la cause de la Pologne indépendante, du compositeur franco-polonais Frédéric Chopin, de Marie Skłodowska-Curie qui a été accueillie à Paris pour mener ses recherches à l’époque de la Pologne occupée, de la défense commune de l’Europe face à l’envahisseur soviétique en 1920 et du soutien français à l’opposition de Solidarność à l’époque communiste.

Je compte sur vous, M. Macron, pour raviver nos liens avec la Pologne et relancer la machine européenne. Le site amiénois s’est invité dans la campagne pour des raisons de calendrier mais ce pays n’en n’est nullement responsable. Ne faites pas comme Marine le Pen qui s’est engouffrée dans la brèche pour dénoncer la mondialisation. Ne cédez pas aux sirènes des populistes que vous avez battus au premier tour et renoncez aux surenchères sur le cas Whirlpool. C’est ainsi que vous deviendrez président.

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