La communauté Voxeurop Répression des Ouïghours

L’Europe doit sortir du silence sur les violations des droits humains au Xinjiang

De plus en plus de preuves de travaux forcés, torture, stérilisations forcées et détention arbitraires du peuple des Ouïgours dans la région du Xinjiang, en Chine, s’accumulent. Pendant que des entreprises internationales tirent profit du travail forcé dans les camps de détention et que la Chine s’efforce de réduire au silence tous les rapports sur ce génocide culturel en cours, et ce même au sein de pays européens, la communauté internationale et l’Union européenne font profil bas.

Publié le 31 octobre 2020 à 13:57

Les Ouïgours sont un peuple turcophone musulman qui vit dans la région du Xinjiang, aussi appelée Turkestan oriental, au nord-ouest de la Chine. À la frontière de la Mongolie, de la Russie, du Kazakhstan, du Kyrgyzstan, du Tadjikistan, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde, la région a joui de périodes d’autonomie et d'indépendance par intermittence, avant de passer sous domination chinoise au XVIIIe siècle. Après une indépendance de courte durée en 1949, le Xinjiang a obtenu un statut autonome sous contrôle chinois. Selon les chiffres officiels publiés par les autorités chinoises, les Ouïgours représentent 12 millions de personnes, soit la moitié de la population de cette région riche en ressources telles que le pétrole, le gaz naturel ou le cuivre. Sous couvert de combattre le terrorisme et le séparatisme, le gouvernement chinois cible les Ouïgours dans ce qui semble être une tentative d’éradiquer une culture entière.

Un nettoyage ethnique bien entamé

Depuis 2017, de nombreux rapports (dont les plus récents sont disponibles ici, ici et ici) relatent des traitements subis par les Ouïghours dans les camps de détention : endoctrinement, torture, stérilisation forcée, enlèvement d’enfants, travail forcé et prélèvements d’organes. Divulgués par des Ouïghours exilés, des documents chinois publiés en 2019 parlent de programmes de surveillance de masse basés sur l’intelligence artificielle, servant à cibler les personnes à interroger, ainsi que de manuels d’exploitation pour la gestion de milliers de “camps de rééducation”. Dans les médias, des images inquiétantes de personnes à genoux, les yeux bandés en attendant d’embarquer dans des trains ainsi que des analyses satellites de dizaines de camps suspects disséminés à travers le Xinjiang, réveillent les pires souvenirs du XXème siècle. 

En Juin 2020, la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde (USCIRF) a décrété que les mesures répressives de contrôle de la population en Chine avaient pour objectif concret de réduire génétiquement les populations de musulmans ouïgours, kazakhs et autres, et correspondaient donc aux critères légaux de génocide en vertu du droit international. Lors d’une conférence mi-octobre organisée par la Fondation Européenne pour la démocratie, basée à Bruxelles, Rushan Abbas, fondatrice de l’organisation Campaign for Uighurs, parle de nettoyage ethnique et condamne avec la plus grande fermeté “la plus grande opération de trafic d’êtres humains du monde”. Elle déplore également l'absence de mesures concrètes au niveau de l'Union européenne pour faire face à l'urgence en matière de droits humains, qui s'est aggravée depuis le début de la pandémie. 

Selon le récit officiel chinois, il n’existe pas de camps, seulement des “camps de formations professionnelles”, ou des “écoles”, dans lesquelles les “étudiants” s’inscrivent volontairement pour acquérir des compétences commerciales et apprendre le mandarin. Dans le Xinjiang, des points de contrôle, des caméras de surveillance et des agents de la sécurité de l’Etat tracent les journalistes, les militants ou les universitaires, ce qui entrave la recherche et les rapports indépendants. Les journalistes et leurs proches sont systématiquement intimidés pour s’assurer que le récit officiel de l’Etat soit le seul à être véhiculé.

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La violation des droits humains à grande échelle dans la région du Xinjiang doit être un signal d’alarme pour que l’Union européenne s’attaque enfin à la politique de deux poids deux mesures qui domine et affaiblit la politique étrangère européenne.

Dans un article récemment publié dans le journal francophone belge Le Soir, la directrice du Centre de recherche pour les études de l’Asie de l’Est à l’Université Libre de Bruxelles, Vanessa Frangville, dénonce la stratégie insidieuse du gouvernement chinois de réduire au silence les rapports sur la persécution des Ouïghours en intimidant les journalistes et en restreignant la liberté académique, non seulement en Chine, mais aussi en Europe. Elle décrit notamment comment l'ambassade de Chine intervient régulièrement dans les activités de recherche liées aux Ouïghours, au Tibet ou à Hong Kong dans les universités belges par le biais de lettres, d'invitations ou de visites à la direction de l'université, rappelant combien ces activités sont préjudiciables pour l'avenir de l'université. 

Autocensure

Tous ces facteurs conduisent à de l’autocensure chez les universitaires, qui craignent des répercussions pour eux-mêmes, ou pour leurs collègues en Chine. D’autres tactiques comme la mobilisation des étudiants chinois à l’étranger ou la menace de suspension de tous les partenariats avec leurs homologues chinois sont également utilisées par le régime chinois. Le Dr. Frangville a indiqué que Le Soir avait reçu une lettre de l’ambassade chinoise après la publication de son article.

De tels agissements constituent une sérieuse menace pour la démocratie européenne et les droits fondamentaux tels que l’accès à l’éducation, à l’information et la liberté des médias, ce qui ne peut être toléré au sein de l’Union européenne. Les journalistes et les universitaires doivent savoir qu'ils sont épaulés par leurs institutions, leurs universités, leurs médias et leur gouvernement pour mener des recherches indépendantes et objectives sans avoir à s'inquiéter des interférences étrangères.

Résolution de condamnation

En décembre 2019, le Parlement Européen a adopté une résolution condamnant entre autres, l'implication d’entreprises internationales dans les programmes de surveillance de masse et le travail forcé dans la région du Xinjiang. Les eurodéputés ont demandé la libération de toutes les personnes détenues, y compris le lauréat du prix Sakharov de l'année dernière, Ilham Tohti, un universitaire ouïgour luttant pour les droits des minorités, tout en demandant au Conseil d'adopter des sanctions ciblées et de geler les avoirs des fonctionnaires chinois responsables de la répression sévère des droits fondamentaux au Xinjiang. Malheureusement, la règle de l’unanimité a empêché toute mesure concrète dans ce sens au niveau du Conseil. 

Les Etats membres de l’Union européenne possèdent un grand nombre de preuves et d’informations qui ne justifient aucunement de garder le silence. En ne parlant pas, ils deviennent alors complices de ce que nous devons oser appeler un génocide. Ils ne peuvent plus laisser la Chine attaquer la liberté d’expression au sein de l’Union européenne et dans les pays tiers. La violation des droits humains à grande échelle dans la région du Xinjiang doit être un signal d’alarme pour que l’Union européenne s’attaque enfin à la politique de deux poids deux mesures qui domine et affaiblit la politique étrangère européenne.

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