Revue de presse Cap Nord-Ouest

Un pas à gauche, un pas à droite : le nouveau centrisme européen

À quoi ressemble le nouveau centre européen ? Alors que la gauche comme la droite se radicalisent, un nouveau “juste milieu” semble se dessiner, incarné par des figures politiques européennes qui entrent – ou pas – dans le moule.

Publié le 16 mai 2024 à 11:48

L’un des gros titres les plus accrocheurs de ces derniers mois nous vient sans doute du média de la journaliste américaine Bari Weiss, The Free Press : “How Abortion Became ‘the Defund the Police of the GOP” (“Comment l’avortement est devenu le ‘Defund the Police’ du Parti républicain”). À l’apogée des protestations liées au mouvement Black Lives Matter” aux Etats-Unis, le slogan “Defund the Police” – “Définançons la police” – symbolisait les excès d’activistes détachés de la population globale et de la vie des personnes noires, qui n’étaient vues que comme des moyens pour poursuivre des objectifs politiques spécifiques – des objectifs qui avaient tendance à entacher l’image du Parti démocrate aux yeux de l’électeur moyen. Comme Olivia Reingold l’explique dans son article, le Parti républicain américain est désormais entrainé de la même façon vers une dangereuse position électoralement parlant sur un autre sujet : l’avortement.

En transposant cette image du centre et de ses extrêmes au contexte européen, nous pourrions dire que le conservatisme social ou religieux est à la droite populiste ce que l’immigration est à la gauche. C’est en tout cas la conclusion que nous pouvons tirer de la vaste et exhaustive analyse du politologue Olivier Roy dans Le Grand Continent, titrée “Le grand recentrement”. Roy y schématise les nouveaux paramètres de la politique centriste européenne. En examinant les différentes victoires et défaites des populistes européens au cours des dernières années, Roy constate que les partis les plus conservateurs sur le plan social, tels que Vox en Espagne (qui est opposé au mariage pour tous et à l’avortement) ou le parti Droit et Justice (PiS) en Pologne, ont eu tendance à avoir un destin bien pire que les socialistes libéraux – au moins sur le plan des moeurs – tels que Geert Wilders aux Pays-Bas ou même Marine Le Pen en France.

“Le populisme qui gagne est un populisme libertaire […]. Marine Le Pen l’a bien compris, qui définissait l’identité de la France par la laïcité et pas par le christianisme dans son programme de la campagne présidentielle de 2017. Elle ne remet en cause ni le droit à l’avortement ni le mariage pour tous. Elle monte dans les sondages tandis que Marion Maréchal ne décolle pas. Geert Wilders, vainqueur des élections hollandaises de décembre 2023, a un programme résolument libéral sur la question des mœurs.”

Pendant ce temps, alors que la droite populiste continue à gagner du terrain dans la course aux élections européennes 2024, le Danemark, où le gouvernement de gauche de Mette Frederiksen est connu pour son approche inhabituellement stricte (selon les normes européennes) constitue une exception à gauche. “Pour moi, il devient de plus en plus clair que le prix de la mondialisation incontrôlée, de l’immigration de masse et de la libre circulation des travailleurs est payé par les classes inférieures”, estimait Frederiksen en 2019, juste avant sa victoire décisive face au gouvernement de droite du Danemark, ici citée par The Guardian. Pour Roy, le gouvernement danois est typique de ce qu’est le nouveau centre en matière de politique européenne. "Le cas le plus typique de ce mouvement se trouve au Danemark, où le parti social-démocrate a mis sur pied la politique la plus restrictive d’exclusion et d’assimilation forcée de toute l’Europe, au nom précisément du modèle social et des valeurs libérales." 

Roy inclut également la France d’Emmanuel Macron dans cette mutation : “En France, on inscrit l’avortement dans la Constitution au moment même où on vote la loi la plus stricte sur le plan de l’immigration. En ce qui concerne Macron et le centre politique, il est nécessaire de se rappeler de l’article de Didier Fassin publié dans la London Review of Books en 2019, dans lequel il explique que Macron (un “centriste extrême”) serait en réalité un genre de populiste : “Le populisme est typiquement vu comme une stratégie discursive qui oppose le peuple à l’élite, avec des populistes qui prétendent représenter les premiers auprès des seconds. Cependant, la théoricienne politique Chantal Mouffe, qui défend le populisme de gauche, soutient de façon convaincante que cela implique une forme de pouvoir verticale et la présence d’un leader charismatique. Macron accorde une grande importance à son rejet des élites politiques traditionnelles – qu’elles soient de droite ou de gauche – et à son souhait d’avoir une relation directe avec le peuple, ce qui fait assurément de lui un populiste.”


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Au sein de la gauche européenne, Sahra Wagenknecht (Alliance Sahra Wagenknecht - Pour la raison et la justice, BSW, extrême gauche) incarne sans doute une autre exception. La femme politique originaire d’Allemagne est certainement d’accord avec l’analyse sur l’immigration de masse de Mette Frederiksen. Julia Kaiser, qui écrit pour The Parliament Magazine, souligne l’ironie : la principale menace électorale pour l’Alternative für Deutschland (AfD, extrême droite) – outre bien sûr, des efforts pour complètement le bannir – vienne d’une femme politique qui se trouve ostensiblement à l’opposé du spectre politique. Dans un entretien avec Kaiser, un membre du conseil d’administration de l’institut allemand d’analyse électorale Forschungsgruppe Wahlen souligne le chevauchement entre l’AfD et le BSW : “Lorsque l’on regarde les groupes de soutien, on observe le plus haut potentiel dans la base de soutien de l’AfD : 43 % des soutiens de l’AfD envisagent de voter pour le BSW”. Fabio De Masi, la tête de liste du BSW pour les prochaines élections européennes, admet franchement la tentative du parti de se servir de la frustration des votants d’AfD : “Nous voulons proposer une offre sérieuse à ceux qui votent pour l’AfD par frustration et colère, car ils pensent que c’est la façon la plus visible d’exprimer leurs contestations.”

Cependant, pour plusieurs raisons, Wagenknecht ne fait pas partie du nouveau centrisme européen décrit par Olivier Roy. Parmi ces raisons, on trouve son euroscepticisme perceptible ainsi que son opposition à fournir une aide militaire à l’Ukraine. Alors que Frederiksen, tout comme Donald Tusk par exemple, ont sûrement rompu avec le consensus libéral ou de gauche sur l’immigration, ils sont fermement pro-OTAN et pro-Ukraine et n’ont pas un gramme d’euroscepticisme dans leur corps. On n’imaginerait pas un média comme EU Observer publier un article annonçant que quelqu’un comme Wagenknecht devrait être la prochaine présidente du Conseil de l’Europe, mais il n’est pas surprenant de les voir publier un article soutenant que Mette Frederiksen devrait occuper ce poste.

Pour Hugo Blewett-Mundy, chercheur au think tank EUROPEUM, Frederiksen est la candidate idéale pour remplacer Charles Michel lorsque son mandat prendra fin en juillet 2024 et que c’est précisément sa position ferme envers la Russie qui devrait lui valoir ce poste. Le Danemark est le “deuxième plus grand donateur bilatéral à Kiev proportionnellement à son produit intérieur brut (derrière l’Estonie). Malgré les répercussions économiques dues à la guerre, le Danemark a affecté 60,4 millions de couronnes danoises (soit 8,1 millions d’euros) à un fonds national pour l’Ukraine. Frederiksen a également dirigé personnellement les efforts communs visant à accroître les investissements en ce qui concerne la défense. Blewett-Mundy met aussi en avant le talent de Frederiksen pour la recherche de consensus : le gouvernement de Frederiksen a mené une campagne de référendum réussie en juin 2022 dans le but de mettre fin à l’option de retrait du Danemark de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne.“Une décision courageuse pour un pays traditionnellement eurosceptique.”

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