Revue de presse Cap Nord-Ouest

De la rupture à la répression : les défenseurs de l’environnement et du climat dans le collimateur de la justice

Alors que Paul Watson, militant contre la chasse à la baleine, est libéré de prison et menacé d'extradition, nous nous interrogeons sur le traitement réservé aux défenseurs de l'environnement et du climat en Europe.

Publié le 3 février 2025

Selon la tradition danoise, le père Noël vit au Groenland et sa boîte aux lettres se trouve à Nuuk, sa capitale. À l'approche de Noël 2024, un habitant très en vue de Nuuk, à la longue barbe blanche et aux cheveux flottants, aurait pu être pris pour le père Noël, si ce n'est qu'il était enfermé dans la prison de la ville. 

Heureusement, Paul Watson a été libéré juste à temps pour passer Noël avec sa famille en France. L'écologiste et militant anti-chasse à la baleine, né à Toronto, était détenu à la prison de Nuuk depuis juillet 2024, dans l'attente d'une décision des autorités danoises concernant son extradition vers le Japon. Une notice rouge d'Interpol émise au nom du Japon accuse Watson d’“intrusion dans un navire, dommages aux biens, obstruction forcée des affaires, blessure” (ce que Watson nie).

Le navire en question, le Shonan Maru 2, faisait partie de la flotte baleinière japonaise. Watson et d'autres accusent depuis longtemps le Japon de contourner illégalement l'interdiction de la chasse commerciale à la baleine décrétée par la Commission baleinière internationale, en affirmant que ses opérations sont menées à des fins de recherche scientifique. En 2014, la Cour internationale de justice de La Haye a donné raison à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande en déclarant que les activités de chasse à la baleine du Japon étaient illégales.

Dans The Conversation, Gilles Paché, professeur en gestion de la chaîne d'approvisionnement à l'université d'Aix-Marseille en France, présente le contexte culturel, historique et économique des opérations de chasse à la baleine au Japon et conclut que “l'approche de Watson met en lumière le débat sociétal plus large sur la responsabilité mondiale de protéger la biodiversité et les limites du relativisme culturel.”

Au Japon, les actions de Watson sont souvent perçues comme une attaque provocatrice contre une tradition culturelle, un point de vue mis en avant  par certains médias européens”, explique Paché. “Toutefois, ce récit ne tient pas compte des puissants rouages industriels qui sous-tendent la chasse à la baleine au Japon. Si la tradition joue un rôle, les opérations de chasse à la baleine au Japon sont également pilotées par un complexe industriel soutenu par le gouvernement.” 

Comme l'affirme Paché, les invocations de l'“authenticité culturelle” japonaise ne résonnent pas lorsque l'on observe le déclin du marché de la viande de baleine (2 000 tonnes consommées chaque année, contre 230 000 tonnes dans les années 1960) ou que l'on compare les “techniques à petite échelle et à impact limité du passé” aux “opérations industrialisées que Watson critique aujourd'hui”. Pour la seule année 2023, la flotte baleinière japonaise a tué près de 300 baleines, et les autorités se sont fixé un objectif de 200 pour 2024.

Interviewé par Hortense Chauvin pour Reporterre en septembre 2023, Watson a également souligné la diminution de la consommation de viande de baleine (“moins de deux pour cent des Japonais en consomment”), tout en accusant une clique d'“ultranationalistes” et de yakuza de faire perpétuer l'industrie pour leur propre profit.

Dans une vidéo publiée par Vakita le 18 décembre, après que le ministère danois de la Justice ait rejeté la demande d'extradition du Japon, Watson remercie tout particulièrement le peuple français, Emmanuel Macron et Hugo Clément, le journaliste et écologiste français qui a créé Vakita en 2022 en tant qu'organe d'“enquête et d'action”. Depuis son arrestation en juillet, le média a mobilisé le public et mené campagne pour la libération de Watson, tout en publiant des vidéos exclusives sur l'affaire. 

Dans un article paru dans Libération à la fin du mois d'octobre, Thomas Legrand soutient que la France devrait renouer avec sa vieille tradition d'octroi de la citoyenneté aux combattants de la liberté, en particulier aux défenseurs de l'environnement comme Watson, qui devraient être placés “sous la même bannière héroïque” que ceux qui se sont battus contre le totalitarisme du vingtième siècle.

Compte tenu de la gratitude de Watson envers la France, il est quelque peu ironique que celle-ci soit “le pire pays d'Europe” en matière de répression policière des écologistes, selon Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement

La violence des forces de l'ordre est exceptionnelle”, explique Michel Forst à Emmanuel Clévenot pour Reporterre. “Leurs homologues étrangers ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ni comment ils peuvent faire usage d'une telle violence. Ici, les gaz lacrymogènes et les LBD sont utilisés sans discernement, et les nasses, pourtant interdites, sont toujours employées. Il s'agit là d'abus que l'on ne retrouve pas dans d'autres pays”, ajoute-t-il. Si la France est le pays le plus répressif en termes de gestion des forces de l’ordre, le Royaume-Uni l'est selon lui davantage en matière de répression judiciaire, en rappelant les peines d'emprisonnement de trois ans (environ) prononcées à l'encontre des militants de Just Stop Oil.

Forst attire également l'attention sur le rôle des journalistes : “C'est un mauvais signe quand les journalistes doivent prendre l'habitude de se protéger de la tête aux pieds pour couvrir des manifestations. Les journalistes, dont le travail remarquable met en lumière les liens entre les intérêts privés et les décisions nuisibles à l'environnement prises par les gouvernements, sont des défenseurs de l'environnement. À ce titre, ils méritent d'être protégés”. 

Les commentaires de Forst sur le Royaume-Uni semblent être confirmés par le rapport Criminalisation et répression des manifestations pour le climat et l'environnement, publié par l'université de Bristol en décembre 2024. Catherine Early explique dans The Ecologist que le rapport révèle comment “la police britannique arrête les manifestants pour le climat et l'environnement à un taux près de trois fois supérieur à la moyenne mondiale. La proportion la plus élevée de manifestants arrêtés se trouve en Australie, où un manifestant sur cinq a été appréhendé par la police, suivie par le Royaume-Uni avec un taux de 17 %, bien plus élevé que la moyenne internationale de 6,3 %.

Cité dans l'article de Damien Gayle pour The Guardian, Oscar Berglund, le chercheur qui a dirigé l'étude, déclare que “les manifestations pour le climat [ont augmenté] assez fortement, et la réponse à cela a été une répression qui doit être interprétée dans un sens politique plus large d’effondrement de l’action politique en faveur du climat.”

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