Philippe Thureau-Dangin nous a quittés le 12 septembre, prématurément. Nos pensées les plus sincères vont d’abord à sa famille, sa femme et ses enfants. Nous pensons ensuite à la perte pour le monde des médias, celui des idées, de l’édition, de la création littéraire, tant de domaines mêlés, dont il était l’une des figures, singulière et inspirante ; il faisait incontestablement partie des précurseurs dans le journalisme de la transversalité des approches et des regards, des bâtisseurs d’un monde dans lequel les limites de l’esprit et des frontières éculées auraient enfin cédé. C’était un pourfendeur né d’idées reçues.
En tant qu’anciens journalistes de Courrier international et aventuriers de l’extraordinaire saga de ce journal pas comme les autres, nous voulons rendre hommage à Philippe Thureau-Dangin, qui nous a non seulement en partie formés en tant que jeunes journalistes européens, mais a également contribué à aiguillonner ce décentrage de la pensée qui demeure une boussole.
De la rédaction en chef de Courrier international à la direction de la rédaction et de la publication, Philippe Thureau-Dangin bousculait en effet l’approche traditionnelle du journalisme, ne se contentant jamais des vieilles ficelles du métier. L’esprit fin, curieux, rapide, aimant la contradiction, tout en ayant ses rugosités, et bien sûr ses détracteurs, il prenait les choses de la presse et de l’information au sérieux et avec exigence mais sans se prendre, lui, au sérieux. Le journalisme, en quelque sorte, comme un art.
Grâce à lui, un projet de média européen voit le jour, Presseurop, financé via un appel à projet européen, au sein même de Courrier international, un site précurseur d’information quotidienne en 10 langues, qui rassemblera des journalistes de toute l’Europe. Cinq ans plus tard, le projet s’éteint faute de financements, mais inspire Voxeurop, qui naît à sa suite et en reprend le flambeau. Voilà près de dix ans que nous faisons vivre l’héritier de Presseurop. Philippe Thureau-Dangin soutenait notre projet, dont il était donateur.
Il est très difficile de parler de Philippe Thureau-Dangin au passé. Il ne se situait jamais dans le passé bien qu’il aimât l’Histoire, il était résolument tourné vers l’avenir. Vers les signaux faibles, les clés plus souterraines, du monde en devenir, des évolutions qui émergeaient, l’anticipation au quotidien (les anciens de Courrier comprendront) et que nous essayions de repérer dans nos presses “étrangères” respectives.
Nous savions intuitivement que nous construisions ensemble brique par brique un journalisme résolument moderne et affranchi des barrières linguistiques, davantage transnational d’ailleurs qu’international. Un journalisme différent, collaboratif plus que comparatif, dont la trame disait que nos destins et nos défis par-delà les frontières sont avant tout communs. Un “pari humaniste et pluriel”.
Le pari était audacieux. Mais Philippe Thureau-Dangin n’était pas à un pari audacieux près. Dans cette complexité par nature insondable, il semblait naviguer particulièrement avec aisance et élégance, avec le lendemain pour phare, comme nous l’avions consigné dans le livre des 20 ans de Courrier international :“1991-2011. Une contre-histoire”.
Ce fut une époque formidablement foisonnante et inspirante de nos vies professionnelles respectives. Nous lui devons beaucoup, lui qui approchait seulement le “sommet de la vie”*. Nous sommes honorés d’avoir travaillé à ses côtés. Merci, l’Ami.
*Son dernier essai, paru aux éditions Les Presses de la Cité, en 2024 Au sommet de la vie, est un hommage aux forces vives de la vieillesse.
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