Des anciennes installations d'Olympic Airways à l'aéroport Elenikion, près d'Athènes, transformées en camp pour réfugiés.

Pourquoi les réfugiés ne veulent pas être transférés

Un grand nombre de réfugiés qui ont été évacués du camp de fortune d’Idomeni, près de la frontière avec la Macédoine, ont refusé d’être relogés dans les centres mis en place par le gouvernement grec. Et ils ont au moins huit bonnes raisons.

Publié le 8 juin 2016 à 16:36
Phil Le Gal  | Des anciennes installations d'Olympic Airways à l'aéroport Elenikion, près d'Athènes, transformées en camp pour réfugiés.

Le camp improvisé de réfugiés et de migrants d’Idomeni, près de la frontière avec l’ancienne république yougoslave de Macédoine, a été évacué fin mai. La plupart de ses 10 000 occupants ont été transférés vers d’autres structures, supposément mieux adaptées ailleurs en Grèce, ou se sont installés dans des logements de location. Mais nombre d’entre eux ont décidé de ne pas accepter ce transfert et ont planté leurs tentes ailleurs, notamment le long de la route qui mène de Thessalonique à Athènes.
La raison qu’ils invoquent le plus souvent pour ne pas s’éloigner des camps de fortune où ils ont passé des mois pour des centres gérés par le gouvernement, c’est qu’ils veulent rester près des frontières, au cas où celles-ci s’ouvrent à nouveau. C’est la principale raison pour laquelle il y a trois mois ils se sont postés près de la frontière, comme à Idomeni, qui est situé à cinq kilomètres du poste de Gevgelija, en Macédoine.
Plusieurs mois se sont écoulés depuis sa fermeture, et la plupart des réfugiés ont perdu espoir que les frontières s’ouvrent à nouveau un jour. Malgré cela, et malgré les conditions de vie déplorables, ils préfèrent rester là où ils sont ou ne pas trop s’éloigner que d’aller dans les centres récemment ouverts pour les raisons suivantes :

  1. Il ne peuvent pas choisir le centre où ils seront hébergés et n’ont pas la moindre idée d’où ils sont envoyés. Au cours des mois, ils ont tissé un réseau qui, bien que fragile, est la seule vie sociale dont ils disposent. Les adultes et les enfants ont noué des amitiés, les personnes se sont entraidées, de nouveaux couples se sont formés. Ils ont peur d’être dispatchés de manière aléatoire dans des centres différents et d’être séparés de leurs amis, voire de leur famille.

  2. Ils ont peur de la promiscuité et de l’absence d’intimité. Ils ont entendu dire que les nouveaux camps sont installés dans des bases militaires ou des usines désaffectées où des tentes de l’armée sont posées les unes collées aux autres. Les camps de fortune n’offrent pas davantage d’intimité, mais au moins les gens peuvent choisir où planter leur tente, s’organiser en grouper et se déplacer d’une zone à une autre du camp s’ils le souhaitent.

  3. Ils sont inquiets à propos de la nourriture, tant du point de vue de sa disponibilité que de l’absence de variété. Les ONG grecques fournissent trois repas par jour, mais ils sont très monotones (très souvent des pâtes) et ne sont pas forcément du goût des réfugiés de différentes nationalités qui cohabitent dans les camps. Cela peut sembler futile, mais l’alimentation revêt une importance fondamentale non seulement du point de vue de la santé, mais aussi du moral. Dans les camps de fortune, les réfugiés les plus entreprenants ont ouvert de petites échoppes qui vendaient de tout, des fruits et légumes frais et des produits cuisinés traditionnels, comme les falafels, les kebabs ou les pâtisseries. Ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter des plats préparés peuvent cuisiner leur repas sur des réchauds à gaz ou sur des feux de bois. Des femmes et des enfants ont souvent été vus en train de cueillir des herbes et des baies dans les champs aux alentours. Ça n’ajoute pas seulement à leur régime habituel, mais cela les tient occupés et donne un sens à leurs journées.

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  4. Et s’il n’y a pas la Wi-Fi ? Une connexion à internet est vitale non seulement car elle permet aux réfugiés de communiquer avec leur famille, leurs parents et amis, mais aussi parce qu’elle leur permet de s’informer et de se distraire. De plus, la connexion est essentielle pour la procédure de demande d’asile en ligne, y compris la toute première démarche, qui consiste à prendre rendez-vous avec l’Office grec pour l’asile à travers Skype. A Idomeni, la Wi-Fi est disponible dans plusieurs endroits, comme les tentes des ONG et des médecins. Il a été rapporté que certains des centres officiels n’avaient pas la Wi-Fi. De plus, les réfugiés craignent que les autorités décident arbitrairement de fermer les connexions.

  5. Ils craignent également que leurs enfants soient privés d’école. Il n’est pas clair à l’heure actuelle si des classes sont prévues dans les camps officiels. Certains n’ont tout simplement pas de place pour des salles de classe. Il n’y a pas d’enseignement officiel dans les camps de fortune, mais plusieurs ONG, comme les Bomberos espagnols, ont organisé des cours et des jeux qui pourraient ne plus avoir lieu.

  6. Leur liberté pourrait être restreinte. Certains centres ont déjà annoncé que les réfugiés seront libres d’aller et venir, mais qu’il y aura un couvre-feu, ce qui serait vécu comme une humiliation par les adultes.

  7. Ils pourraient ne pas avoir accès à une aide médicale adéquate. Dans certains des centres gérés par des militaires, les soins médicaux sont fournis par des médecins militaires qui n’ont pas d’expérience en matière de femmes et d’enfants. D’autres docteurs seront-ils disponibles ? Y aura-t-il des médecins femme ?

  8. Ils ont peur d’être oubliés. Seules les organisations et les personnes autorisées par le gouvernement grec ont accès aux centres. Les bénévoles indépendants et certains médias pourraient être interdits de visite. Plusieurs réfugiés ne croient pas que, contrairement à ce que le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés leur dit, leur demande d’asile sera traitée plus rapidement dans les centres. Ils ont le sentiment que leur attente est sans fin et craignent que le monde entier les oublie et les laisse croupir là pendant l’éternité.

C’est la peur de l’incertitude quant aux conditions qui les attendent ailleurs, en particulier au vu de ce qu’ils ont trouvé lors de leur arrivée qui les anime. Des conditions d’accueil très en deçà de leurs attentes, au vu de ce qui les a poussés à partir et de leur combat pour obtenir le statut de réfugié. Il se peut que certaines de ces craintes, de ces doutes et de ces appréhensions sont sans objet et injusifiées. Si l’on excepte un nombre limité de médias, du personnel médical et quelques fonctionnaires, très peu de personnes ont jusqu’à présent visité ces centres gérés par le gouvernement.
Ce que les réfugiés en savent, ils le tirent des récits de ceux qui en sont revenus, parfois au bout de quelques jours seulement. Les seules autres sources d’information comprennent la chaîne News That Moves, qui tente de dissiper les rumeurs sans fondement et de fournir une information objective et vérifiée, et la page Facebook de Are You Syrious, une organisation basée en Serbie.
Pour sa part, l’Office grec pour l’asile a annoncé mi-mai qu’il développe une application pour smartphone qui va aider à la dissémination des informations sur le processus pour obtenir l’asile en Grèce. Selon News that Moves, des chercheurs du Département d’informatique de l’Université Harokopio d’Athènes sont en train de développer un le logiciel, qui sera lancé début juillet.
Pendant ce temps, le département des Migrations grec devra faire des efforts pour mieux communiquer : expliquer aux réfugiés où ils sont emmenés et ce qui les attend sur place ; décrire quels services et installations seront disponibles ; s’assurer que les familles et les parents restent ensemble. Investir et faire des efforts sur la communication serait nettement plus efficace et moins coûteux que d’envoyer des centaines de policiers anti-émeute pour évacuer les gens et un hélicoptère qui survole le camp pendant des heures.

Ce reportage est publié en partenariat avec The New Continent, un projet journalistique sur le long terme lancé par le photographe français Phil Le Gal, et une plateforme collaborative, avec l’objectif de documenter les histoires des personnes qui vivent à cheval entre les frontières de l’espace Schengen.

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