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Sauver Schengen pour sauver l’Europe

Contre les accusations simplistes qui font de Schengen le "coupable idéal" du bouleversement que traverse l’Union Européenne, les États membres doivent plus que jamais privilégier l’union à l’individualisme national.

Publié le 2 mai 2016 à 16:05

Contre les accusations simplistes qui font de Schengen le "coupable idéal" du bouleversement que traverse l’Union Européenne, les États membres doivent plus que jamais privilégier l’union à l’individualisme national. À la différence de la crise économique et financière qui a violemment secoué l’Europe et le monde, la déroute qui frappe l’Union Européenne menace le projet européen.

L’espace Schengen victime de l’immobilisme

L’espace Schengen – institué par l’accord et la Convention homonymes et signés respectivement en 1985 et 1990 – dégage une symbolique qui dépasse largement la simple libre circulation pour plus de 500 millions de citoyens européens. C’est un fondement du projet européen, l’avancée la plus singulière de la construction européenne. Unique au monde car irrationnelle en ce que vingt-six États aient renoncé à exercer leur prérogative la plus fondamentale, à savoir le contrôle de leurs frontières communes.

Les arguments qui dénoncent Schengen sont multiples. L’un d’eux, d’ordre géopolitique, consiste à blâmer l’élargissement aux nouveaux membres qui se serait produit de manière trop rapide et aurait rendu plus poreuses les frontières extérieures de l’Union. Or, si cet argument est discutable à l’échelle de la construction européenne, il est aisément réfutable tant l’immigration illégale et les flux de réfugiés touchent en premier lieu des membres de longue date voire des pays fondateurs de l’Union Européenne (Italie, Espagne et Grèce).

Une seconde critique vise à rendre les accords de Schengen coupables des récents attentats revendiqués par l’État Islamique sur le sol européen. Néanmoins, la plupart des terroristes se sont radicalisés à l’intérieur des sphères nationales et deux des trois terroristes de Bruxelles n’étaient pas passés par l’étape syrienne. Le danger pour l’Union européenne est moins la crise des réfugiés que les égoïsmes nationaux. Le rétablissement des contrôles ou le retour des murs à certaines frontières sont autant de mesures inutiles quand la gestion des frontières extérieures de l’Europe fait défaut. Le manque de cohérence et de cohésion, de solidarité est la véritable menace pour le projet européen.

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Repenser l’accès à l’Europe

Attendre d’un instrument – créé dans les années 1990 dans le contexte de l’après guerre froide et de la chute du mur de Berlin – qu’il apporte une solution aux problématiques actuelles paraît aberrant. Il est évident que Schengen, inscrit à l’origine dans une logique est/ouest plutôt que nord/sud, doit être repensé face à un tel flux de migration. Mais priver les citoyens européens de cet acquis serait un pas en arrière qui mettrait de facto le projet européen en péril.

Dans ce contexte de tension, où chaque événement semble donner raison aux populistes et europhobes en tout genre, il est impératif de repenser l’accès au territoire de l’Union Européenne, sans toutefois reculer sur la libre circulation.

Les accords de Dublin d’abord, qui stipulent que le pays responsable du demandeur d’asile est celui dans lequel la démarche a été effectuée, sont devenus inapplicables. L’initiative de la Commission visant à contraindre les États européens à harmoniser leur politique d’asile a échoué du fait de la non-coopération de certains pays au premier rang desquels se situe la France. Et voilà que les 28 tentent de se débarrasser du problème en signant un accord avec une Turquie accusée à plusieurs reprises d’indulgence à l’encontre de Daesh. Notons par ailleurs que la frontière entre le religieux et l’État turc est de plus en plus poreuse. Comme l’a si bien souligné Guy Verhofstadt, l’eurodéputé et Président du groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen, "nous donnons les clés de l’Europe au sultan Erdogan."

Assurer la sécurité des Européens

Les évènements tragiques et sanglants qui ont frappé Bruxelles le mardi 22 mars dernier nous apprennent par ailleurs que l’Europe est largement visée.
La survie de l’espace Schengen dépend essentiellement de la communautarisation du volet sécuritaire. Une fois de plus ce sont les rivalités et les égoïsmes nationaux qui rendent la coopération inefficace. La déficience sur l’échange d’informations entre les services de renseignements européens malgré l’existence de plusieurs instruments, pose un véritable problème.

Ainsi le Système d’Information Schengen (SIS) qui concentre les données de toutes les personnes recherchées par chacun des États membres, le casier judiciaire européen de l’agence communautaire Europol sont autant d’initiatives qui se révèlent inefficaces car mal utilisées. Dernière évolution en date, le Passenger Name Record européen (PNR) devrait être opérationnel dès la fin du mois d’avril. Cet instrument au cœur du débat européen depuis longtemps devrait réunir les données des voyageurs aériens permettant une meilleure coordination entre les États membres.

Toutes ces mesures impliquent mise en place d’une sécurité européenne commune, tout en conservant la liberté de circulation qui caractérise l’espace Schengen.

Défendre Schengen signifie défendre l’autorité de l’Europe sur son territoire et le contrôle de ses frontières extérieures. Défendre Schengen, c’est se battre pour un acquis du peuple européen, une liberté unique obtenue dans la progression de la construction européenne. La solution à la crise est avant tout communautaire. Seul l’intérêt commun devrait guider à la fois la volonté des États membres et les engagements des institutions de l’Union européenne.

Mais pour y arriver, le courage politique doit être au rendez-vous….

Jules Bejot

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