Actualité Intégration européenne

“SimEurope” n’est pas un jeu

Les dirigeants et les gouvernements européens sont occupés à dessiner l’avenir de l’Union européenne. Mais ces vues de l'esprit du type "Plus d’Europe" oublient une chose : la crise réelle qui agite la zone euro, déplore The Economist.

Publié le 24 septembre 2012 à 10:33

Quiconque a joué (ou regardé ses enfants jouer) à des jeux de simulation sur ordinateur comme SimCity ou Les Sims savent à quel point ils peuvent rendre accro. Le joueur passe des heures à créer un univers imaginaire complexe, à l’échelle d’une maison ou d’une ville entière, à inventer des personnages qui s’expriment dans un idiome bizarroïde appelé le simlish, à gouverner leurs actes et quelquefois à les châtier en cas de malheur. Or, une vogue similaire s’est emparée de Bruxelles : appelons ce jeu "SimEurope".

Guido Westerwelle et Radosław Sikorski, les ministres des Affaires étrangères allemand et polonais, ont passé le plus clair de l’année cloîtrés avec neuf de leurs homologues (presque tous des hommes) à faire jouer leur imagination. Ils ont dévoilé la semaine dernière les conclusions de leur "groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe". Le monde qu’ils ont imaginé se compose d’un président européen élu, d’un ministre des Affaires étrangères aux pouvoirs élargis, d’une police des frontières européenne et peut-être même d’une armée européenne. Les Britanniques, ces empêcheurs de tourner en rond, n’étaient pas conviés.

Vues de l'esprit

Seulement quelques jours plus tôt, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, prononçait son discours annuel sur l’état de l’Union, dans lequel il évoquait une future "fédération d’Etats-nations", une idée qu’il a serinée depuis dans d’innombrables tribunes dans la presse. M. Barroso a donc remis au goût du jour l’expression forgée par Jacques Delors, son prédécesseur, mais n’a pas expliqué le sens qu’il lui donnait, se contentant de déclarer qu’il présenterait un certain nombre de propositions à l’horizon 2014.

Ce faisant, José Manuel Barroso se démarque des trois autres "présidents" – Herman Van Rompuy, du Conseil européen, Mario Draghi, de la Banque centrale européenne, et Jean-Claude Juncker, de l’Eurogroupe – qui échafaudent ensemble une "véritable" union économique et monétaire. Un rapport d’étape devrait être présenté lors d’un sommet en octobre, et sa version finale publiée en décembre.

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A de multiples égards, c’est la chancelière allemande, Angela Merkel, qui, en appelant de ses vœux une "union politique" (laquelle verrait notamment un renforcement des pouvoirs d’un parlement européen aujourd’hui déficient), a été à l’origine de cette vogue des vues de l’esprit.

Toutes ces idées trouvent leurs racines dans un jeu qui date de longtemps et qui a pour nom "Plus d’Europe". Le but du jeu est d’éviter le cataclysme de la guerre ou la prédominance d’un pays en particulier, en s’unissant les uns aux autres tout en continuant à défendre ses intérêts nationaux. Chaque niveau d’intégration accroît la difficulté à mesure que les problèmes s’intensifient. Les joueurs ne doivent pas seulement négocier de nouveaux transferts de pouvoir au profit de l’Union mais ils doivent ensuite vendre les nouveaux traités à des populations réticentes.

Retour à la réalité

Les personnages de SimEurope sont fictifs, divisés entre les bons Européens d’un côté et les vilains nationalistes ou populistes de l’autre. Ces derniers peuvent être mis en déroute par "Plus d’Europe". Mais, dans le monde réel, les choses sont un peu plus compliquées. On observe une montée du scepticisme à l’égard du projet européen. D’après de récents sondages, une majorité d’Allemands estiment qu’ils se trouveraient mieux sans l’euro et ils sont également nombreux à vouloir se débarrasser de l’UE. En France, une majorité de ceux qui ont voté en faveur du traité de Maastricht ne feraient pas le même choix aujourd’hui. En Espagne, toutefois, une majorité de la population souhaite renforcer l’intégration de la zone euro.

En transposant dans la réalité une monnaie imaginaire, les dirigeants européens ont déclenché dans le monde réel une crise qu’ils sont aujourd’hui contraints de gérer.

Les gouvernants débattent au moins des bonnes questions. Mais le défaut d’un grand nombre des idées avancées récemment est qu’elles opacifient les questions clés plus qu’elles ne les clarifient. Les ministres des Affaires étrangères aiment peut-être l’idée de jouer avec une armée européenne, mais ce n’est pas là que se trouve la solution à la crise économique. De la même manière, la fédération d’Etats-nations de José Manuel Barroso passe à côté de la vraie nature du problème. Il rehausse d’un cran le degré de fédéralisme – ce qui ne manquera pas de créer des litiges – sans dire comment cette intégration peut être conciliée avec ce qui reste de l’Etat-nation.

Le pire des deux univers

La zone euro prend le chemin du pire des deux univers – les Etats-nations se sentent outragés par les pouvoirs croissants de Bruxelles, même si l’échelon européen demeure trop faible et opaque pour avoir une incidence ou gagner le soutien des citoyens. Il serait plus judicieux de mettre de côté les étiquettes et de réfléchir à l’intégration en profondeur d’un éventail restreint de fonctions essentielles. L’idée d’une union bancaire cohérente va dans le bon sens, tout comme la proposition de créer des obligations conjointes. L’Allemagne rejette la mutualisation de la dette au motif que les Etats-Unis eux-mêmes n’attendent pas de leurs Etats qu’ils se portent garants de la dette de leurs voisins.

Mais les Etats-Unis possèdent des obligations fédérales qui, adossées aux impôts fédéraux, constituent des actifs sans risque sur lesquels toutes les banques peuvent s’appuyer. Des Etats américains font faillite, comme le font nombre de banques. Quel que soit le nom que vous lui donnez – intégration, centralisation, fédération, confédération – son objectif devrait être de stabiliser suffisamment le système pour permettre aux banques et aux Etats mal gérés de faire faillite en toute sécurité.

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