Affirmation à vérifier: “Les politiques climatiques sont trop coûteuses”, tel est le refrain répété dans le discours politique européen visant à présenter la transition écologique comme un fardeau et un objectif indésirable. Elles représentent pourtant un coût encore plus élevé pour la société que les conséquences de l'inaction, et sont associées à des accusations d'“élitisme” et à une focalisation sur les inconvénients à court terme.
Contexte: Des chercheurs ont constaté que les déclarations politiques mettant l'accent sur les inconvénients de l'action climatique et son poids pour la société peuvent trouver un écho auprès des personnes à faibles revenus et des communautés marginalisées. Ce type de discours peut viser à retarder l'action contre le changement climatique et à semer le doute quant à la faisabilité des mesures d'atténuation. Dans un climat d'inquiétude croissante face à l'insécurité économique et physique, les discours en faveur de la déréglementation des industries polluantes ont contribué à l'idée que les politiques en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique seraient trop coûteuses. Par exemple, les populistes exploitent de plus en plus la résistance aux politiques perçues comme “élitistes” dans certaines zones rurales où les habitants ont le sentiment d'être les premiers touchés par les mesures de lutte contre le réchauffement climatique.
Les Européens “perdent confiance” dans la capacité des gouvernements à mener à bien une transition énergétique “juste et efficace”, selon une récente étude du centre de réflexion indépendant Bruegel. Dans toute l'Europe, les citoyens continuent de soutenir l'action climatique, mais beaucoup sont de plus en plus préoccupés par l'insécurité économique et physique, exacerbée par la pandémie de Covid-19 et l'invasion russe de l'Ukraine, le tout dans un contexte de montée en puissance de l'extrême droite et des mouvements populistes.
En particulier, une étude du groupe de réflexion économique indépendant Bruegel a révélé qu’en France, en Italie, en Allemagne, en Suède et en Pologne, les cas de déni et de scepticisme climatique sont plus nombreux parmi les partisans des partis d'extrême droite, malgré les rôles différents qu'ils occupent dans ces cinq pays.
Peu de partis d'extrême droite nient ouvertement le changement climatique, même si certains, comme l'AfD en Allemagne, continuent à avoir une attitude de rejet vis-à-vis de la science. Plus généralement, ces partis s'opposent aux politiques climatiques en invoquant les risques économiques ou les intérêts industriels.
En mai dernier, Giorgia Meloni, présidente du parti d'extrême droite Frères d'Italie et Première ministre italienne, a déclaré : “J'ai souvent dit que dans un désert, il n'y a rien de vert. […] Nous devons lutter contre la désertification de l'industrie européenne”, a-t-elle ajouté.
Le Rassemblement National (RN), parti d'extrême droite de Marine Le Pen, a également fait valoir que la protection de l'environnement pénalisait la croissance économique, qualifiant le Pacte vert européen d'outil d'“écologie punitive”.
L'insécurité et la protection sociale comme arguments anti-climatiques
Souvent, la propagande anti-climat ne porte pas sur le changement climatique ou les politiques climatiques en soi.
“C'est un outil utile pour polariser l'opinion contre une élite scientifique considérée comme progressiste et pour rallier l'opposition à des politiques jugées anti-libérales”, explique Alexander Ruser, professeur au département de sociologie et de travail social de l'université d'Agder en Norvège et coauteur du récent ouvrage The Global Rise of Autocracy ("La montée mondiale de l'autocratie", Routledge, 2025, non traduit). “Cela va de pair avec le rejet croissant des autorités scientifiques. Les gens se méfient des motivations des politiciens”, ajoute-t-il.
Des études confirment qu'en adoptant une “position antagoniste”, les partis d'extrême droite ont de plus en plus politisé le changement climatique, en faisant de celui-ci un “sujet clivant”, remettant ainsi en question le consensus des partis traditionnels et alimentant les inquiétudes des électeurs à l'égard des politiques environnementales.
Les déclarations politiques qui soulignent les inconvénients de l'action climatique et mettent l'accent sur son poids pour la société peuvent trouver un écho auprès des citoyens à faibles revenus et des communautés marginalisées, ont constaté plusieurs experts. Ce type de discours peut également avoir pour objectif de retarder l'action en faveur du climat et de semer le doute sur la possibilité même d'atténuer le changement climatique.
Toutefois, lorsque les représentants politiques apportent des réponses à la crise climatique tout en répondant à d'autres préoccupations des électeurs, comme le coût de la vie, ils sont davantage susceptibles de gagner du soutien, affirment-ils.
Ces conclusions concordent également avec des études montrant que l’opinion publique européenne et mondiale continue de soutenir fermement l'action climatique, mais que ce soutien s'affaiblit face à la crise du coût de la vie ou lorsque ces politiques sont perçues comme injustes.
“Lorsque les politiques [climatiques] ne sont pas conçues dans une optique de justice sociale, elles peuvent très facilement être utilisées comme arme contre l'action climatique au sens large”, explique John Hyland, chargé de communication chez Greenpeace Europe.
Selon une autre analyse publiée sur la plateforme spécialisée Clean Energy Wire (CLEW), si l'action climatique reste une priorité pour la majorité des électeurs européens, les partis populistes tentent d'exploiter le scepticisme à l'égard de mesures spécifiques.
Par exemple, ils capitalisent de plus en plus sur la résistance aux politiques considérées comme “élitistes” dans certaines zones rurales, où les habitants ont le sentiment d'être les premiers touchés par les mesures climatiques, comme l'expliqué Daphne Halikiopoulou, titulaire de la chaire de politique comparée à l'université de York, dans un entretien avec CLEW.
Selon une étude publiée en mai, les agriculteurs des pays à “PIB élevé” sont confrontés à une pression croissante pour augmenter leurs coûts en raison des réglementations environnementales, ce qui peut nuire à la confiance et au soutien en faveur de l'action climatique. Selon les chercheurs, cette pression croissante sur les agriculteurs a été un facteur important lors des manifestations des agriculteurs aux Pays-Bas, en Belgique, en France et en Allemagne.
“Lorsque les manifestations des agriculteurs ont commencé en France et se sont propagées dans toute l'Europe, nous avons commencé à voir apparaître une fracture dans le discours contre la protection du climat et de l'environnement”, explique Hyland.
“Simplification” et “compétitivité”, quand les discours de la politique et de l'industrie s’alignent
Au cours des dernières années, les responsables politiques européens ont également “repris” les arguments de l'industrie.
Les partis conservateurs, comme le Parti populaire européen de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et les lobbies économiques s'alignent de plus en plus pour s'opposer aux réglementations environnementales de l'UE, employant souvent des termes tels que “simplification” et “compétitivité” pour justifier la déréglementation. Une étude du cercle de réflexion sur les politiques climatiques InfluenceMap montre comment les dirigeants européens ont repris les discours de l'industrie, en particulier dans les secteurs agricole et chimique.
Avec la “simplification”, l'autre “grand mantra” de la politique européenne est la “compétitivité”, selon Kenneth Haar, chercheur et militant pour la justice économique et sociale au Corporate Europe Observatory (CEO), une ONG spécialisée dans les pratiques d'influence des grandes entreprises. Pour Haar, le programme politique de l'UE s'apparente à une “campagne pour la déréglementation” menée par l'industrie. Le terme “compétitivité” apparaît en effet 42 fois dans le rapport de la Commission présentant les orientations politiques d'Ursula von der Leyen pour les cinq prochaines années.
“Lorsque les politiques [climatiques] ne sont pas conçues dans une optique de justice sociale, elles peuvent très facilement être utilisées comme arme contre l'action climatique au sens large” – John Hyland, Greenpeace
“[L'agenda actuel de l'UE] donne une idée des priorités politiques par rapport au [mandat] précédent. Il est clair que le climat n'est plus au cœur de l'agenda pour de nombreuses raisons. La compétitivité est l'une des principales priorités à l'heure actuelle”, note Elisa Giannelli, responsable du programme économie propre et politique européenne du centre de réflexion sur le climat E3G. La stratégie de l'UE reflète également le discours de l'industrie selon lequel “la politique climatique menace la compétitivité”, comme le révèle un autre rapport d’InfluenceMap.
Les associations représentant des secteurs tels que la chimie, la construction et l'automobile au niveau de l'UE, ainsi que les associations intersectorielles défendant les intérêts des entreprises dans certains pays de l'UE, notamment l'Italie, l'Allemagne et la France, se sont opposées à cette politique. Elles ont mis en avant les effets potentiellement négatifs des politiques climatiques sur la “compétitivité” européenne et ont fait la promotion d'une terminologie ambiguë dans les politiques afin de “laisser la porte ouverte” à la poursuite du développement des énergies fossiles.
Par exemple, Confindustria, le MEDEF et Airlines for Europe ont fréquemment souligné la nécessité de protéger la “compétitivité” lorsqu'ils ont fait pression pour un assouplissement des politiques européennes en matière de tarification du carbone et de réduction des émissions, comme le souligne l'étude d'InfluenceMap.
Lors d'une conférence de Confindustria en mai, Giorgia Meloni a déclaré : “Il est crucial pour la compétitivité de l'ensemble du système de production européen d'avoir le courage de remettre en question et de corriger une approche idéologique de la transition énergétique qui a causé d'énormes dommages sans produire les avantages environnementaux promis.”
“La droite et l'extrême droite répètent sans cesse que la réglementation est synonyme de coûts élevés et que, par conséquent, la déréglementation est synonyme d'accessibilité financière”, observe Pascoe Sabido, chercheur et militant sur le climat et le lobbying chez CEO.
“Dans un contexte de crise du coût de la vie, où les familles et les PME ont du mal à payer leurs factures d'énergie, cela trouve un écho, mais c'est une représentation complètement fausse de l'origine des coûts élevés et de la manière dont la réglementation peut en fait nous protéger contre une exploitation encore plus grande par les grandes entreprises”, a-t-il ajouté.
Sur la base des conclusions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en 2022, il n'y avait aucune preuve d'un impact de la politique climatique sur la compétitivité internationale.
“Pollueur-payé”
La ligne politique européenne qui prône la “compétitivité” et la “simplification” est le résultat “des échanges qui ont eu lieu ces deux dernières années entre la Commission, le Conseil et les groupes de pression du monde des affaires”, affirme Corporate Europe Observatory.
Les grandes entreprises ont joué un rôle clé dans l'élaboration des récentes initiatives de l'UE, telles que le Clean Industrial Deal (CID) publié en février 2025, qui met l'accent sur les industries à forte intensité énergétique et vise, entre autres, à réduire les prix de l'énergie, à stimuler la demande de produits à faible intensité carbone et à financer la transition vers une économie propre.
Ce plan découle de la Déclaration d'Anvers, un appel lancé par 73 entreprises de différents secteurs fortement émetteurs de carbone, dont BASF, Bayer, Equinor et Shell, un an avant la publication du CID.
“Les industriels se sont réunis à Anvers. Ils ont lancé un appel très clair à la Commission européenne en lui disant : ‘Vous devez soutenir davantage l'industrie’, [...] et dans une certaine mesure, cela est compréhensible, car la transition verte comporte de nombreux défis [...] d'un autre côté, il s'agit très clairement d'une initiative menée par l'industrie”, a fait valoir Silvia Pastorelli, responsable de la campagne sur la pétrochimie au Centre pour le droit international de l'environnement (CIEL).
Selon CEO, le CID est “un manifeste rédigé par les pollueurs, pour les pollueurs”, qui, au lieu du principe du “pollueur-payeur”, “donne la priorité au pollueur-payé, laissant aux citoyens le soin de payer la facture exorbitante des conséquences sanitaires et environnementales de la pollution chimique”.
“La protection sociale est un autre point faible récurrent de la politique, de manière générale. Et nous n'avons pas vraiment vu de changement radical dans la manière d'aborder ces défis structurels, [...] espérons que cela apparaisse dans d'autres propositions [de l'UE] que nous attendons cette année”, estime Elisa Giannelli d'E3G.
Les défenseurs du climat et les chercheurs s'accordent pour dire que les politiques climatiques axées sur la justice sociale peuvent contribuer à lutter contre la menace croissante que représentent les politiciens qui s'opposent à l'action climatique.
Selon E3G, la transition européenne se déroule de manière inégale, les gouvernements nationaux privilégiant souvent les intérêts à court terme plutôt qu'une approche coordonnée au niveau de l'UE. En outre, l'extrême droite et les intérêts particuliers exploitent les tensions sociales et les questions socio-économiques “pour saper la transition verte”.
En Allemagne, par exemple, le désenchantement politique a permis aux populistes de remettre en cause et de discréditer les opinions dominantes, notamment sur le changement climatique.
Les discours qui jouent sur l'idée que ce sont les citoyens qui font les frais des politiques climatiques ne tiennent absolument pas compte du fait que ces politiques peuvent et doivent s'aligner sur la protection socio-économique.
Les politiques environnementales doivent tenir compte des impacts sociaux et économiques sur la société afin de garantir l'équité et la protection de toutes ses composantes lors de la transition vers une économie plus verte et plus propre, souligne un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sans ces considérations, les politiques risquent de laisser pour compte les populations vulnérables.
Selon une autre analyse du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) en France, des politiques climatiques équitables et redistributives peuvent renforcer l'inclusion sociale en protégeant les ménages les plus vulnérables. D'autres recherches menées par E3G au Danemark et en Pologne montrent qu'il est possible de fournir des logements à la fois abordables et durables.
“Dans les régions qui ne disposent pas des capacités humaines nécessaires pour gérer la transition énergétique et financière, les efforts en faveur d'une économie plus propre s'avèrent déjà bénéfiques”, s'enthousiasme Elisa Giannelli : “Le climat peut faire partie de la solution pour relever tous les défis.”
Cet article a été rédigé avec le soutien du Fonds européen pour les médias et l'information (EMIF). La responsabilité du contenu soutenu par le Fonds européen pour les médias et l'information incombe exclusivement à son ou ses auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l'EMIF et des partenaires du Fonds, la Fondation Calouste Gulbenkian et l'Institut universitaire européen.

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