Comprendre les manifestations des agriculteurs : émotions, politique et lutte pour l’avenir de l’alimentation européenne

Chaque mois, en partenariat avec Display Europe, nous passons en revue la couverture médiatique européenne des questions environnementales. Aujourd'hui, nous suivons les manifestations des agriculteurs et posons une question difficile : comment comprendre la répartition inégalitaire du pouvoir dans les systèmes alimentaires ?

Publié le 13 mars 2024 à 17:47

Selon certains observateurs, l'une des raisons expliquant l'écho rencontré par les manifestations d’agriculteurs dans toute l'Europe est que les gens ont tendance à être plus émotifs lorsqu'il est question de ce qu'ils mangent. Ces analystes pensent que notre comportement à l'égard de l'alimentation est en quelque sorte distinct de notre volonté de renoncer aux combustibles fossiles pour chauffer nos maisons. Je ne suis pas d'accord avec cette vision, que je trouve personellement assez bourgeoise.

Je reviens d’un voyage de recherche aux Pays-Bas organisé par Clean Energy Wire afin d'en savoir plus sur ce sujet. Ce n'est pas un hasard si les leaders et les partis populistes ont (à nouveau) le vent en poupe dans de nombreux pays européens. Aux Pays-Bas, l'homme politique d'extrême droite Geert Wilders (Parti pour la liberté, PVV) pourrait devenir le prochain Premier ministre, avec le BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) comme partenaire de coalition potentiel. Pour compliquer les choses, une grande partie du soutien à l'agriculture est assurée par la politique agricole commune (PAC) de l'UE, et accuser Bruxelles de nuire aux intérêts des agriculteurs reste un procédé rhétorique courant dans de nombreux Etats membres.

Le journal allemand tageszeitung a suivi le sujet de près. L’expert de l’extrême droite Andreas Speit écrit que les politiciens et les médias qualifient volontiers les manifestations pour le climat de "terrorisme", mais sont plus indulgents à l’égard des protestations des agriculteurs, qui devraient pourtant être considérées comme de “l’extrémisme de centre”.


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 Selon Speit, les défilés de tracteurs qui ont eu lieu ces deux derniers mois dans toute l'Europe sont "une bataille pour la distribution des droits". "Actuellement, la sévérité des réactions politiques et étatiques est inversement proportionnelle au danger que représente un mouvement de protestation", commente Jonas Schaible dans Der Speigel. En effet, les manifestations d'agriculteurs les plus agressives sont accueillies avec "le plus d'indulgence", abondent les activistes du mouvement Fridays for Future. Une indulgence qui alimente également le ressentiment de la droite, comme les privilèges de l'establishment, conclut Speit.

Sofia Sánchez Manzanaro note dans Euractiv le revirement de l'actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui se prépare à lancer sa campagne électorale pour un second mandat. "Sans surprise, von der Leyen a été couronnée candidate principale aux élections du Parlement européen de cette année par son Parti populaire européen (PPE) de centre-droit lors d'un congrès qui s'est tenu cette semaine à Bucarest, en Roumanie", explique Sánchez Manzanaro. Cependant, pour s'assurer le titre de "reine des agriculteurs" lors des élections de cette année et s'aligner sur la stratégie du PPE, "von der Leyen doit faire campagne contre les vestiges de son propre héritage agroalimentaire".

Le Danemark a été plus ambitieux dans ce sens, avec une proposition de taxe climatique sur l'agriculture qui a ramené les extrêmes dans la politique nationale. Lars Trier Mogensen, pour Information, l'explique à sa manière : "la menace d'un soulèvement paysan met la pression sur les bourgeois, mais il s'agit en réalité d'un bon vieux chantage".


Sur d’autres sujets

Gary Fuller, dans The Guardian, se penche sur les chiffres de la pollution atmosphérique qui ont fait la une des journaux ces dernières semaines, à la suite d'un débat sur la ville italienne de Milan où, selon Valigia Blu, “tout a mal tourné”. Selon les chiffres de l'Agence européenne pour l'environnement, environ 253 000 décès dus à la pollution atmosphérique pourraient être évités chaque année si les 27 Etats membres respectaient les lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de pollution atmosphérique. Et plus de 400 000 décès pourraient être évités si la pollution aux particules pouvait être complètement évitée.

Alors que le Parlement européen est devenu le premier organe international à criminaliser la destruction à grande échelle des écosystèmes, en introduisant des peines pouvant aller jusqu'à dix ans pour les PDG, les auteurs de Disclose Xavier Deleu, Marianne Kerfriden, Pierre Leibovici, Sílvia Lisboa et Maurício Brum, démontrent comment le géant de l'ameublement Ikea fuit ses responsabilités. Au Brésil, l'entreprise a travaillé avec l’entreprise Artemobili, accusée de multiples infractions environnementales entre 2018 et 2022.

Il serait peut-être temps que la Commission européenne adopte une approche diversifiée de la modélisation économique afin de concevoir des politiques de transition écologique économiquement réalistes, écologiquement souhaitables et socialement justes. Dans L'Echo, quelque 200 économistes appellent à "une transformation profonde" pour que le futur imaginé il y a cinq ans avec le Green Deal devienne réalité.

Enfin, revenons à notre point de départ avec One World : tandis qu'Esmée Koeleman nous encourage tous en montrant que les militants du climat peuvent atteindre un consensus pour le changement si la sensibilisation s'accompagne d'une bataille juridique et politique "là où se trouve le pouvoir", Marthe van Bronkhorst donne neuf conseils pour faire des Pays-Bas le meilleur élève de l’Europe en matière de climat.

Sur le même sujet, Angelo Romano, toujours sur Valigia Blu, commente la condamnation par le Comité des droits de l'homme des Nations unies des gouvernements qui répriment les activistes climatiques. Romano souligne le rôle essentiel des militants dans la sensibilisation et la mise en place d’actions contre le changement climatique, et reproche aux Etats de privilégier les intérêts économiques au détriment de la protection de l'environnement et des droits humains. Il conclut en soulignant la nécessité d'une solidarité internationale et d'efforts concertés pour protéger les activistes et faire progresser la justice climatique au niveau mondial.

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