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Un vote sous l’influence du Brexit

Le Brexit imprègne cette campagne des Européennes au nord comme au sud de la frontière et les résultats en Irlande du Nord n’auront servi à rien s’il se poursuit.

Publié le 20 mai 2019 à 19:23
Miguel Ángel García  | Dublin.

L’Irlande caracole actuellement en tête de l’Eurobaromètre, entre autres sondages, pour son engagement pro-européen et les regrets qu’elle éprouverait de voir disparaître l’Union européenne. Cette europhilie s’explique par le sentiment de sécurité et de solidarité procuré par Bruxelles pendant la crise du Brexit. En témoigne cette campagne des Européennes, qui a attiré des candidats d’assez haute volée, qui met sur la table un mélange de sujets européens, nationaux et régionaux et qui laisse augurer une participation plus élevée qu’à l’ordinaire.

L’enjeu du "backstop"

L’Irlande est particulièrement exposée aux répercussions politiques et économiques du Brexit, étant donné que la frontière qui sépare la République d’Irlande de l’Irlande du Nord deviendrait alors la frontière internationale de l’Union européenne avec la Grande-Bretagne. Pour éviter de faire capoter le processus de paix en Irlande du Nord (signé en 1998) et afin de protéger les avancées économiques et politiques entre les deux pays, Bruxelles s’est arrangée pour que le backstop, une clause de sauvegarde qui permet de laisser la frontière ouverte après le Brexit, soit intégré à l’accord de retrait négocié avec la Grande-Bretagne. Ce serait en effet un moyen de garder l’Irlande du Nord dans l’union douanière et dans le marché unique, quoi qu’il advienne du reste du Royaume-Uni.

Les unionistes et les conservateurs pro-Brexit rejettent ce backstop, arguant qu’il limite la possibilité de conclure des accords commerciaux indépendants et met en péril l’unité constitutionnelle du Royaume-Uni. Ce dilemme continue d’envenimer le débat politique. Les autres pays membres de l’UE qui s’intéressent au cas irlandais doivent bien comprendre ce contexte. Historiquement, la "question irlandaise" a toujours été une épine dans le débat politique britannique jusqu’à ce qu’elle soit retirée par l’accord créant deux États irlandais en 1921. Et la voici de retour.

Pendant la lutte pour l’indépendance de l’empire britannique, les nationalistes irlandais ont cherché à nouer des alliances sur le continent, en Espagne, en France, dans de plus petits pays aussi, ainsi qu’aux États-Unis. C’est ce qui explique que leur nationalisme soit teinté d’internationalisme et de progressisme – ce qui cadrait plutôt bien avec une appartenance à l’UE. Le fait pour l’Irlande de rallier une stratégie politique d’envergure européenne permet d’atténuer la puissance de la Grande-Bretagne dans leurs relations bilatérales et de rétablir quelque peu l’équilibre dans ses rapports avec le Royaume-Uni. Le Brexit vient menacer cet état de fait et rappeler aux électeurs irlandais ces problèmes et cette solidarité qui ne datent pas d’hier. En témoigne leur récent regain d’europhilie – malgré une position plus critique à l’égard de l’UE pendant la crise financière de 2008-2012.

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Priorités sociales

Le Brexit imprègne cette campagne des Européennes au nord comme au sud de la frontière et les résultats en Irlande du Nord n’auront servi à rien s’il se poursuit. En revanche, la campagne donne à ceux qui s’exaspèrent du vieux clivage entre les unionistes protestants et les nationalistes catholiques une occasion de faire entendre leur voix sur de nouvelles préoccupations. Ils souhaitent notamment recentrer le débat sur les priorités sociales, culturelles et économiques, sur le rétablissement du gouvernement d’union nationale suspendu depuis deux ans et sur la possibilité d’une Irlande unifiée qui resterait dans le giron de l’UE, sur la forme que prendrait un tel accord et sur la date du référendum au sujet de la frontière.

En République d’Irlande, la campagne coïncide avec les élections municipales, un référendum sur la loi sur le divorce et des législatives anticipées qui avaient été repoussées en raison du Brexit. De quoi ramener les questions européennes au centre de la table même si, comme ailleurs, elles sont court-circuitées par des questions nationales et régionales. Personne ou presque dans la République n’est favorable à une sortie de l’Irlande de l’UE et, jusqu’à présent, le pays ne compte pas de parti populiste de droite comparable à ceux qui peuvent exister ailleurs. Les sujets à caractère eurosceptique comme l’immigration et l’ingérence de Bruxelles sont donc portés par des candidats indépendants qui, s’ils font cavaliers seuls, n’en espèrent pas moins faire entendre leur voix.

Le nationaliste Sinn Féin est membre du groupe GUE/ NGL au Parlement européen et présente un visage social-démocrate à l’échelle nationale, concurrençant avec succès un Labour affaibli. Les deux grands partis de centre-droit et centriste libéral, le Fine Gael et le Fianna Fáil, sont tous deux europhiles, le premier au sein du groupe PPE et le second au sein de l’ALDE, et devraient se partager l’essentiel des sièges. Des candidats indépendants de gauche pourraient également rallier à eux certains électeurs.

Fiscalité avantageuse

L’Irlande prête le flanc aux critiques pour sa fiscalité des entreprises avantageuse et son supposé statut de paradis fiscal pour les géants du numérique comme Google, Amazon et Apple, qui y ont installé leur siège européen. La question est examinée de près mais les partis centristes rejettent toute idée de compromis en échange d’un soutien au Brexit. De la même manière, les questions européennes de défense et de sécurité bousculent la posture traditionnellement neutre de l’Irlande, même si le débat public est souvent faussé par de mauvaises informations et stéréotypé, malgré les états de service de l’Irlande en matière de maintien de la paix et d’aide au développement à l’international.

L’économie irlandaise a deux facettes, avec des multinationales qui exportent dans le monde entier d’un côté et de l’autre des entreprises locales plus modestes qui emploient davantage de salariés et sont bien plus tributaires du marché britannique, notamment les producteurs de bœuf et de produits laitiers. Les déséquilibres régionaux entre Dublin et le reste du pays se retrouvent dans les disparités en termes d’emploi et de prospérité.

Ces questions occupent une place importante dans les deux circonscriptions non-dublinoises, essentiellement rurales. Alors que les aides régionales de l’UE ne sont plus ce qu’elles étaient en raison du niveau global de richesse et de prospérité de l’Irlande, le débat n’en tourne pas moins, en grande partie, autour de l’optimisation des avantages qu’offre une appartenance à l’UE pour les régions sous-développées. On retrouve un paradoxe du même ordre dans le débat sur le climat. L’Irlande est à la traîne sur le volet pratique malgré le soutien de tout l’échiquier politique pour déclarer l’état d’urgence climatique. Les Européennes permettent de donner plus de poids à ces sujets dans le débat.

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