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Une source d’espoir pour l’Europe

L'élection de l'avocate pro-européenne et militante Zuzana Čaputová à la présidence de la République et l'intérêt croissant des électeurs pour les alternatives au populisme, l'atmosphère est en train de changer en Slovaquie. Et l'Europe centrale commence à se demander s'il n'y a pas que des désavantages dans la démocratie libérale et l'UE.

Publié le 16 mai 2019 à 21:18
Miguel Ángel García  | Bratislava.

Dans le village de montagne où j’ai pris l’habitude de me rendre pour m’échapper de la ville, le car fait demi-tour à l’auberge, au terminus de la route. En hiver, le soleil est masqué par les pentes escarpées qui surplombent le village. J’ai parfois l’impression que cet endroit n’est pas simplement coupé de la ville, mais aussi de l’Europe.

C’est là que je me trouvais en janvier 2009, quelques jours seulement après l’adhésion de la Slovaquie à la zone euro. Le patron de l’auberge m’a demandé 50 centimes pour une pinte de bière (le prix n’avait pas changé) et a détaillé la pièce de monnaie avec amusement. Puis il l’a rangée dans sa caisse avec l’assurance d’un homme qu’aucun événement historique ne saurait surprendre.

Les Slovaques se considèrent comme un peuple qui s’adapte facilement au changement : ils ont été les témoins passifs de plusieurs siècles d’histoire, parvenant à réchapper aux différents empires qui les ont régentés (hongrois, allemand et russe). L’Union européenne est cependant le premier que les Slovaques ont rejoint de leur plein gré, allant jusqu’à consentir de sérieux efforts pour obtenir le droit de le faire.

Dans les années 1990, l’autocratique Vladimír Mečiar, menteur notoire et précurseur des populistes d’aujourd’hui, préside aux destinées de la Slovaquie. Les Slovaques doivent le pousser vers la sortie pour avoir une chance d’adhérer à l’Union européenne.

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Après la défaite de Mečiar en 1998, la Slovaquie devient une "nation politique" consciente de la nécessité d’une Europe démocratique – et animée du désir sincère d’en faire partie. Or, quand elle finit par rejoindre l’Union en 2004, la passivité reprend le dessus : le taux de participation des Slovaques aux élections de 2014 est le plus faible de l’Union – 13 % seulement. Non pas qu’ils n’aiment pas l’Union européenne : ils ont simplement le sentiment qu’elle fera sans eux.

Or, la suite des événements oblige la société slovaque à accorder bien plus d’attention aux affaires européennes. En 2015, la peur des migrants s’empare de l’Europe entière et le Premier ministre d’alors, Robert Fico, n’a pas la partie facile. Depuis quelques années, des populistes aux accents autoritaires tiennent le haut du pavé dans les pays d’Europe centrale. En 2016, un parti ouvertement fasciste prend pied au parlement national. Bon nombre de Slovaques prennent conscience alors que la démocratie n’est pas quelque chose d’acquis mais qu’il faut sans cesse la reconquérir par la lutte, comme cela avait été le cas dans les années 1990.

Si la Slovaquie reste officiellement une démocratie libérale – c’est le pays le mieux noté d’Europe centrale pour la liberté de la presse – il n’en apparaît pas moins clairement, grâce au travail de médias indépendants, que la corruption gangrène l’ensemble de l’appareil politique depuis des lustres. Et que cela fait planer sur le pays une menace autrement plus grave que des migrants qu’on ne voit nulle part. Les scandales se multiplient et les jeunes finissent par descendre en masse dans la rue pour dénoncer la corruption en 2017.

Le 21 février 2018, le journaliste d’investigation Ján Kuciak et sa compagne Martina Kušnírová sont assassinés par un tueur à gages. Quelques jours plus tard, les places de la plupart des villes slovaques sont noires de monde. Ces manifestations dépassent même par leur ampleur celles de novembre 1989, qui marquaient la chute du régime communiste. Le Premier ministre, Robert Fico, qui était aux responsabilités depuis plus de 10 ans, démissionne en même temps que son ministre de l’Intérieur. La coalition en place reste cependant au pouvoir, sous la houlette d’un nouveau Premier ministre qui choisit de collaborer ouvertement avec la police. L’assassin et son commanditaire – un homme d’affaires slovaque – sont démasqués et mis en examen.

La “Révolution hipster” est en cours

L’opinion slovaque découvre peu à peu l’histoire de cet entrepreneur et de ses nombreux amis dans le milieu politico-judiciaire, apprend qu’il en soudoyait certains et en faisait chanter d’autres. Les journaux prennent des airs de polars à l’américaine et sont tout aussi difficiles à suivre, quand bien même ils relatent des faits.

Tout comme l’émoi suscité, les répercussions de l’assassinat de Ján Kuciak seront considérables et perdureront, pesant même sur les élections européennes. La Slovaquie bouge. Voilà six mois, de jeunes candidats libéraux, évinçant une génération de dirigeants cyniques et corrompus, remportent la quasi-totalité des villes aux municipales. Leur victoire surprend à ce point qu’on commence à parler de "révolution hipster"/

L’avocate et militante Zuzana Čaputová remporte l’élection présidentielle de mars et, du jour au lendemain, le pays n’a plus l’air aussi patriarcal et conservateur que beaucoup de Slovaques ne le pensaient. Ça se passe comme ça, une révolution sociale : une personne, une femme, prend la parole pour parler, entre autres, de l’égalité pour les homosexuels et de leur droit à aimer (et même à adopter). Et beaucoup d’électeurs s’aperçoivent qu’ils pensent la même chose.

Contre l’air du temps populiste

L’élection de Zuzana Čaputová marque le rejet d’une idée couramment répandue selon laquelle les élites libérales sont "déconnectées du peuple". De fait, la victoire de Zuzana Čaputová est la preuve que les électeurs sont prêts à soutenir des libéraux plutôt que des populistes, pourvu qu’ils soient crédibles, authentiques et charismatiques.

La victoire de Zuzana Čaputová prouve que les électeurs sont prêts à soutenir des libéraux plutôt que des populistes, pourvu qu’ils soient crédibles, authentiques et charismatiques.

Zuzana Čaputová était la vice-présidente d’un nouveau parti, Slovaquie progressiste. Ce dernier, conçu comme un parti alternatif europhile, plutôt à gauche et tourné vers la jeune génération, avait vu le jour moins de deux ans plus tôt. Aujourd’hui (en coalition avec un parti de la même mouvance, Ensemble), il se classe en deuxième position dans les sondages, à 14 %. Par souci de transparence, il me faut préciser que mon fils se présente sous les couleurs de ce parti aux Européennes.

Ce pourrait n’être qu’une coïncidence, mais la Slovaquie se prépare à un duel qui est emblématique de ce qui se passe en Europe. Jusqu’à une date récente, on avait l’impression que les nationalistes, les fascistes et l’extrême droite étaient dans l’« air du temps », avec Trump et le Brexit à l’avant-scène, et s’étaient assurés une place prépondérante à la fois en Slovaquie et en Europe.

Aujourd’hui, au vu de la victoire de Zuzana Čaputová et de l’intérêt grandissant des électeurs pour un mouvement progressiste et europhile, cet « air du temps » pourrait bien avoir du plomb dans l’aile. L’Europe centrale commence à se dire que la démocratie libérale et l’Union européenne n’ont pas que des inconvénients. Le vieux patron de l’auberge, quant à lui, aurait sans doute fait remarquer que ça ne vaut pas la peine de perdre sa salive à en parler.

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