Les Européens rêvent-ils de voitures électriques ?

Alors que la nouvelle majorité au Parlement européen est la plus conservatrice de son histoire, le Pacte vert – ou Green Deal – revient sur la table, et beaucoup appellent à une révision du paquet de mesures qui avait été présenté il y a cinq ans comme un fleuron de l'action climatique, du progressisme et du courage. Les Européens rêvent-ils de voitures électriques ? Ou vivons-nous plutôt un cauchemar ?

Publié le 24 janvier 2025

Les véhicules particuliers et les camionnettes sont respectivement responsables d'environ 16 % et 3 % des émissions totales de CO2 dans l'Union européenne. Près de 330 000 décès prématurés dans l'UE peuvent être attribués chaque année à la pollution atmosphérique ainsi qu'à de nombreuses maladies, notamment les maladies cardiovasculaires, le cancer, l'asthme, les maladies pulmonaires et les accidents vasculaires cérébraux. Globalement, les coûts de santé imputables à la pollution de l'air causée par le transport routier ont été estimés entre 67 et 80 milliards d'euros par an dans l'UE.

Autant de bonnes raisons de trouver un accord sur une nouvelle loi, la dernière en date de celles élaborées en 2023 par les législateurs de l'UE. En vertu de ces nouvelles règles, les constructeurs automobiles seront tenus de réduire progressivement les émissions de CO2 de leur flotte entre 2025 et 2034, et toutes les nouvelles voitures vendues à partir de 2035 devront être zéro émission.

Malgré ses effets positifs presque évidents à long terme, la loi est aujourd'hui remise en question par le Parti populaire européen (PPE, droite) et des pays comme la République tchèque, l'Italie et la France. Un retour en arrière qui pourrait affecter quelque 14 millions de personnes en Europe employées directement ou indirectement par l'industrie automobile.

En décembre 2024, le constructeur automobile allemand Volkswagen a menacé de supprimer 15 000 emplois pour rester compétitif face à la Chine. Les coûts importants liés au passage aux véhicules électriques et la baisse de la demande ont entraîné une chute des bénéfices ces dernières années.

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En Italie, la démission de Carlos Tavares en tant que PDG de Stellantis (anciennement Fiat) a mis en lumière les dégâts de la stratégie de rentabilité poursuivie ces dernières années, et le cas de l'équipementier automobile GKN (qui n’a pas rémunéré les travailleurs de l'usine de Florence pendant plus d'un an avant sa fermeture) est également emblématique : la journaliste Silvia Giagnoni a écrit un livre sur leur expérience.

Nous nous approchons ici de la frontière du journalisme climatique, qui implique de questionner ce qui est juste, ce qui ne l'est pas et pourquoi.

C'est en juin 2024 que Matej Moravansky a abordé le sujet pour Deník Referendum : “L'idéologie politique de l'industrie automobile est en train de remporter une victoire majeure […] Posséder une voiture est pratiquement présenté dans notre société comme un droit humain fondamental. L'automobilisme est devenu une idéologie qui connaît un succès politique indéniable dans notre pays et dans l'ensemble de l'Union européenne”, écrit-il. Et d’ajouter : 

C'est peut-être en République tchèque que le phénomène de l'automobilisme politique est apparu dans sa forme la plus pure. La coalition électorale entre le mouvement Přísaha ("Serment", droite) et le parti Motoristé (“Automobilistes”), dirigée par Petr Macinka, employé de l'Institut Václav Klaus et bras droit de l'ancien président, a placé Filip Turek, propriétaire de chaînes de réseaux sociaux influentes et ancien pilote de course, en tête de la liste des candidats. Il a mené la coalition à 10 %, s'assurant ainsi un mandat pour lui-même et Nikola Bartůšek (députée pour Serment) en tant qu'eurodéputé."

L'esprit du parti des automobilistes est sans doute très bien illustré par le “Manuel pour l'élimination des obstacles éco-terroristes sur la route”, que le parti a publié sur son site web. On peut y lire :

Ce manuel a été créé dans une situation où le terrorisme contre la population générale s'est répandu dans des pays auparavant caractérisés par une démocratie de type occidental, dont le dénominateur commun est l'imposition du sentiment de culpabilité face à l’état de la planète Terre et l'incapacité, ou plutôt la réticence, des autorités publiques à affronter vigoureusement ce terrorisme, puisque les représentants [de celui-ci] sont souvent déjà membres des gouvernements au niveau national et [local]. Dans ce texte, un certain complotisme se mêle à une défense par la droite dure du monde ‘normal’ vis-à-vis des structures politiques gangrenées par l’‘écoterrorisme’.” 

C'était juste avant les élections européennes de juin 2024, début du violent retour de bâton qu’a subi – et subit encore – le Green Deal.

Pour Le Monde, Virginie Malingre résume bien la crise que traverse le secteur automobile : “L’Europe tâtonne pour sauver son industrie automobile. Les Etats membres cherchent la formule pour soutenir le secteur automobile, en pleine mutation vers l’électrique et menacé par la concurrence chinoise. […] L’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteurs thermiques en 2035 est notamment sous le feu des critiques.”

Pourtant, des solutions existent, selon Linnea Nelli, qui répond dans Altreconomia à une question fondamentale : “Que faire pour une transition juste dans le secteur automobile ?”. Selon elle, “les conditions d'une transition non équitable dans le secteur automobile européen sont toutes réunies. Une politique industrielle est nécessaire de toute urgence.” 

En général“, écrit Nelli, “le secteur automobile italien a des difficultés à gérer la transition en raison de la délocalisation des activités de production, non seulement celles à faible valeur ajoutée, vers les pays de l'Est (comme Stellantis en Pologne)”. Ce n’est pas la seule raison. Nelli souligne également “la vente d'entreprises et d'usines dans le secteur des composants à des multinationales étrangères qui investissent dans la recherche, le développement et la production pour l'électrification dans des usines situées dans d'autres pays, en particulier près des pôles de recherche et de développement et dans des pays à faible coût de main-d'œuvre”. Enfin, “le manque d'investissement et la réduction du personnel dans la transformation de l’entreprise Fiat en FCA [issue de la fusion de la société italienne et du groupe Chrysler Automobiles en 2014] puis en Stellantis. Dans ce contexte, l'intervention publique est faible et tardive”.

L'horizon 2025 n'est pas non plus très prometteur. Les élections législatives allemandes auront lieu le 23 février et la campagne électorale se déroulera probablement sur le champ de bataille industriel. Dans le cadre de la série d'articles de Clean Energy Wire (CLEW) sur 2025, Brigitte Knopf, directrice du groupe de réflexion Zukunft KlimaSozial, estime que l'accessibilité financière de la transition sera un sujet clé pour le prochain gouvernement.

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