Portraits de Călin Georgescu dans son échoppe, Buchetino, à Bucarest, février 2025. | Photo: ©Lola García-Ajofrín gerogescu-lola-garcia-ajofrin

Qui sont les “souverainistes” roumains ?

Nationalistes, eurosceptiques, anti-OTAN, pro-Trump (mais pas pro-Poutine), et admirateurs de Călin Georgescu. Que pensent celles et ceux qui soutiennent l'extrême droite roumaine et qui se revendiquent “souverainistes” ?

Publié le 29 avril 2025
gerogescu-lola-garcia-ajofrin Portraits de Călin Georgescu dans son échoppe, Buchetino, à Bucarest, février 2025. | Photo: ©Lola García-Ajofrín

Un panneau d'affichage lumineux accueille les clients du Buchetino, un fleuriste 24 heures sur 24 à Bucarest. Dessus, le visage du politicien d'extrême droite Călin Georgescu.

L’amour est un commerce nocturne”, plaisante Stefan Surubariu, le propriétaire de la boutique. À l’intérieur, on trouve des roses rouges et des ours en peluche, mais aussi un t-shirt représentant la tentative d'assassinat de Donald Trump, des écharpes de football et une machine à café décorée d’une photo. On peut y voir le président américain, son index pointé droit devant.

Tu veux un café Trump, où est-ce que tu es plutôt fan d’Ursula ?” demande le propriétaire, faisant référence à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. 

Fièrement vêtu d’une casquette rouge marquée du slogan “Make America Great Again“, l’entrepreneur explique que, lorsque Georgescu a gagné le premier tour de l’élection présidentielle (avant son annulation en décembre), Surubariu a incité ses abonnés TikTok à afficher le visage du candidat dans d’autres boutiques. “Si tu vas en Turquie, tu verras le visage d’Atatürk, le réformateur de la Turquie moderne, partout”. C'est en ces termes que le fleuriste décrit Georgescu : le réformateur du pays, “l’Atatürk de la Roumanie”. Parce que selon lui, “personne n’a hissé un seul drapeau” depuis la révolution roumaine, il y a 35 ans.

Pour Surubariu, Georgescu “a dit des choses que les Roumains n'avaient jamais entendues de la part d’un politicien. Il parle de foi, il parle de dignité, il parle de souveraineté, il parle de patriotisme. La culture du patriotisme s’est perdue, tout comme la tradition d’offrir des fleurs”.

Stefan Surubariu At Buchetino | Photo: Lola García-Ajofrín
Stefan Surubariu dans Buchetino, son échoppe. Bucarest, février 2025. | Photo: ©Lola García-Ajofrín

Le fleuriste compte parmi les milliers de Roumains qui se définissent comme “souverainistes”. Par opposition aux “mondialistes”, qui soutiennent les politiques de l’EU, eux sont nationalistes, eurosceptiques et anti-OTAN.

Comme l’explique Radu Magdin, analyste pour la société de conseil Smartlink, la Roumanie compte actuellement trois partis d’extrême droite populiste se revendiquant souverainistes : l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), S.O.S. Roumanie et le Parti de la jeunesse (POT).

Selon lui, la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis “a encouragé plusieurs personnalités politiques mainstreams à adopter l’étiquette ‘patriote’ ou ‘souverainiste’, y compris l’ancien Premier ministre social-démocrate Victor Ponta”.

La candidature de Călin Georgescu à l’élection présidentielle a finalement été annulée par la commission électorale roumaine. Le candidat indépendant pro-russe avait provoqué la stupeur en remportant une victoire au premier tour de l’élection de novembre ; le second tour avait ensuite été annulé à la dernière minute. 

Pour justifier cette décision, la Cour constitutionnelle roumaine invoque une ingérence dans la campagne électorale, notamment via des cyberattaques et la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux.

Plus de deux millions de Roumains ont voté pour Georgescu au premier tour du scrutin le 24 novembre, soit 22,94 % du total des voix. Les sondages prédisaient pourtant le passage au second tour d’un autre candidat souverainiste, George Simion de l’AUR.

Un peu plus tôt, en octobre, la candidature de l’eurodéputée d’extrême droite Diana Șoșoacă de S.O.S. Roumanie, célèbre pour s’être présentée au Parlement européen affublée d’une muselière et brandissant une image du Christ, avait déjà été invalidée. Le tribunal constitutionnel a déterminé que “par ses propos, Diana Iovanovici-Şoșoacă exhorte à altérer les fondements démocratiques de l’Etat et à violer l’ordre constitutionnel”.

La Roumanie, une colonie de l’Occident ?

L'étiquette de “souverainiste” n’est pas un élément central de la vie politique du pays. Mais pour Magdin, la rhétorique nationaliste et sans compromis fait historiquement partie des leviers utilisés par les politiciens de la droite radicale, particulièrement dans les années 1990-2000. L'exemple le plus frappant est celui de Corneliu Vadim Tudor, qui avait réussi à se hisser jusqu'au second tour des présidentielles de 2000 et dont le parti avait réuni près d'un cinquième des voix aux législatives la même année.

Cette montée de la droite radicale en Roumanie s'inscrit dans une dynamique européenne que le pays a commencé à suivre au début des années 2020. Magdin énonce plusieurs facteurs contribuant à ce phénomène. Premièrement, la déception envers les partis traditionnels, accentuée en 2021 par la coalition entre le parti social-démocrate (PSD) et le parti national libéral (PNL).

Le désarroi était d’autant plus grand que cette coalition contre nature venait s’ajouter au mécontentement concernant la gestion du Covid-19. En raison d’une forte campagne antivax, la Roumanie et la Bulgarie ont les taux de vaccination contre le coronavirus les plus faibles de l’UE (42,5 et 30,5 % respectivement), selon les données du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies. Ces chiffres contrastent avec la moyenne européenne de 75,6 %, et les 87,4 % de l’Espagne ou les 96 % du Portugal.

Les inégalités sociales participent aussi au mécontentement, et ce “en dépit d’une forte croissance économique générale”, signale Magdin. Malgré les 8 000 Teslas en circulation dans le pays, dont la valeur de certaines dépasse même les 125 000 euros, un Roumain sur six ne dispose pas des toilettes avec chasse d’eau dans son domicile

Les Roumains se plaignent de la mauvaise qualité des services publics, ressentent une frustration croissante à l’égard du gouvernement et d’un “scepticisme grandissant envers l’intégration européenne et la mondialisation, déployant un discours qui dépeint la Roumanie comme une colonie économique de l'Occident”.

À ce cocktail déjà explosif, s’ajoute l’héritage historique des mouvements d’extrême droite, en particulier pendant l’entre-deux-guerres. Près de neuf millions de Roumains utilisent TikTok, soit environ la moitié de la population.

Le média d'investigation Snoop, en association avec Hotnews, a interrogé plusieurs personnes ayant voté pour Georgescu afin de connaître les motivations derrière leur choix. Les entretiens ont permis d'identifier douze mots clés particulièrement fréquents : six connotés positivement – spiritualité, santé, foyer, amour, calme, diplomatie – et six négativement – Ukraine, USR (Union sauvez la Roumanie, un parti libéral), LGBT/gay/homosexuel, PSD, sioniste/juif et vaccin/covid-19.

Je n’ai pas de problème avec les autres orientations sexuelles, mais je ne suis pas d’accord avec leur promotion agressive”, explique Surubariu. “Nous avons perdu beaucoup de notre essence, nous n’avons plus cette pureté spirituelle, nos traditions sont en train de disparaître”, continue-t-il. 

Il ajoute que “tout cela se produit à cause des politiques de l’UE, parce que Mme Ursula oublie que nous sommes des peuples avec des cultures différentes, des gens différents, des croyances différentes, des histoires différentes. On a besoin de changement et de soulagement : soulagement fiscal, soulagement social, soulagement dans tous les sens du terme”.

Souverainistes contre trumpistes

“Make Romania Great Again”, pouvait-on lire sur la pancarte d'un manifestant lors de la grande marche organisée le 1er mars par l'AUR dans le centre de Bucarest. Pour Magdin, certains pans de l’extrême droite se rangent du côté de Donald Trump et s'inspirent de son succès électoral. De fait, les points de convergence ne manquent pas.

Par exemple, les souverainistes roumains critiquent souvent George Soros, la culture progressiste, les “sexo-marxistes”, les droits des personnes LGBTQIA+, tout en vantant le patriotisme et l'économie donnant la priorité au capital national.

Cependant, Magdin précise que des points de divergence existent également. En effet, “Là où Trump prône l’autarcie (America first), la Roumanie dépend lourdement des fonds de l’UE et des investissements étrangers, ce qui rend une politique économique fortement nationaliste moins viable”. 

Depuis qu’elle a rejoint l’UE, la Roumanie a reçu plus de 100 milliards d’euros de la part de l’UE, selon les données de Marcel Boloș, ministre des Investissements et des Projets européens. La plupart de ces fonds ont été investis dans les infrastructures et le développement.

Pour ce qui est de l’attitude pro-russe, elle ne trouve pas le même écho dans l’ensemble de la population, tempère Magdin. “La méfiance envers la Russie est extrêmement haute : des enquêtes montrent que seuls 5 % des Roumains admettent avoir confiance en la Russie”. Surubariu, lui, déclare : “Je ne suis pas pro-Poutine, je suis pro-Trump. Même si en toute logique, pourquoi accuser quelqu’un qui ne fait aucun mal ?”.

Pour lui, “Poutine voulait simplement récupérer certains territoires où des citoyens russes ont vécu ou vivent actuellement”. Donald Trump, ajoute-t-il, traite l'Amérique comme s'il s'agissait de l’une de ses sociétés. “Dans une entreprise, si les employés sont bien payés et ponctuels, il y a automatiquement des profits et de la prospérité”.

En ce qui concerne l'euroscepticisme des partis en question, Surubariu ironise : “La Roumanie ne peut pas quitter l'Europe parce que son territoire, son extension de terre, se trouve ici depuis que Dieu a créé le monde. L'Union européenne est venue et nous a trouvés en Europe. Ni Georgescu, ni Trump, ni Poutine, ni personne d'autre ne peut prendre la Roumanie et la déplacer de 20 000 kilomètres, à côté de l'Australie ou au milieu de l'océan”.

Avant de se dire au revoir, Surubariu nous demande de prendre une photo de lui portant le bonnet de laine traditionnel roumain. Certains partisans de Georgescu participent à des manifestations vêtus de peaux de mouton ou de l'ancien costume dace – en référence au royaume ancêtre de la Roumanie moderne – “comme lors de l'assaut du Congrès américain”, souligne le fleuriste.

Vsquare révèle que les forces illibérales en Pologne et en Hongrie auraient envoyé une série de propositions au think tank le plus influent de l’administration Trump, the Heritage Foundation, pour définir ce à quoi devrait ressembler, selon eux, l’avenir de l’UE. Ces suggestions incluent le démantèlement des institutions clés du bloc européen et le changement de son nom, qui ne serait plus “Union européenne” mais “Communauté européenne des Nations”.

👉 L'article original dans El Confidencial
🤝 Cet article fait partie du projet PULSE, une initiative européenne visant à promouvoir la coopération journalistique internationale. Laurențiu Ungureanu, Alexandra Nistoroiu et Sebastian Pricop ont contribué à cet article.

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