Lors d'une manifestation à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, le 1er décembre.

Ceci n’est pas une garden-party, c’est une révolution !

Le jeune poète ukrainien Taras Malkovitch a galvanisé les manifestants de la place de l'Indépendance de Kiev en récitant ses vers. Où l'allégorie d'une famille de bourreaux décrit les événements qui secouent son pays depuis deux semaines.

Publié le 6 décembre 2013 à 16:21
Lors d'une manifestation à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, le 1er décembre.

"Au fait, vous ai-je déjà raconté la véritable origine des violences qui ont émaillé les manifestations contre Ianoukovitch ? Non ? Il est important que ce soit bien compris. Car tout se joue là, aujourd’hui. Nous voulons renverser le chef d’Etat, mais nous sommes pacifiques". Né en 1988 à Kiev où il vit, Taras Malkovitch est un jeune poète ukrainien, actuellement boursier de la Villa Decius de Cracovie. Bientôt, il partira pour New York avec son père Ivan, qui est lui-même l’un des grands poètes d’Ukraine.
Mais ce qui travaille surtout Tara Malkovitch aujourd’hui, c’est le sort de son pays. Voilà quelques jours, un rassemblement d’écrivains a eu lieu dans le cadre d’une manifestation organisée sur la Place de l’indépendance de Kiev. Devant 50 000 spectateurs, Taras Malkovitch y a présenté son dernier poème. C’est l’histoire d’une famille de bourreaux qui officie depuis des générations. Or, voilà que le petit dernier s’écarte du rang. Le fils du bourreau ne joue même pas à la guerre avec les enfants du voisin, et ne supporte pas la vue du sang. Son père tente alors par tous les moyens possibles de le remettre dans le droit chemin.

Langue superflue

"J’étais dans un état de nervosité extrême de me trouver devant tous ces gens. Mais lorsque je leur ai dit, en conclusion, que ce n’était pas une garden-party, il ne fallait pas l’oublier, mais que c’était ‘une révolution’, la foule a exulté. Même les gens qui n’étaient pas politisés voient enfin à leur tour [[ce que la Russie représente pour nous : le statu quo permanent]]. Une simple alternance de périodes d’oppression et de soumission de l’Ukraine sous diverses formes. Beaucoup l’ont compris le 21 novembre, jour de la première vague de répression sanglante des manifestations. Mais c’était clair depuis longtemps. Le camp prorusse ne s’en cache même pas".
Sur le plan culturel, on le voit ainsi à l’attitude de Dimitri Tabachnik, le ministre de l’Education et de l’Enseignement. "Pendant son tour d’Ukraine, cet été, il a donné une interview dans laquelle il a expliqué textuellement que l’ukrainien était ‘une langue superflue’. Et cela se dit ministre de l’Education de l’Ukraine ?"
Pour Taras Malkovitch, le vrai danger vient cependant d’ailleurs : de l’homme d’affaires Viktor Medvetchouk, qui influence la vie politique ukrainienne depuis des lustres, même s’il se tient en retrait depuis quelques années. Lorsque Vladimir Poutine s’est rendu en Ukraine cet été, il ne s’est entretenu qu’un quart d’heure avec Ianoukovitch, et beaucoup plus avec Medvetchouk, que l’on surnomme ici "le cardinal" ou "le parrain". Poutine est d’ailleurs le parrain de sa fille. "Medvetchouk était déjà connu du milieu littéraire avant ma naissance", explique Taras Malkovitch. En 1980, le jeune Medvetchouk avait été désigné avocat du poète ukrainien engagé Vasil Stus (né en 1938), lors du procès de ce dernier. Une quarantaine d’années après Varlam Chalamov, Stus sera envoyé dans un goulag sibérien près de Magadan, où il mourra après une grève de la faim en 1985. "Il a tout fait pour que Stus soit condamné à mort".
Viktor Medvetchouk, qui ne vaudrait guère mieux que Ianoukovitch au pouvoir, a l’épouse qui sied à son personnage. Il s’agit de la présentatrice de télévision Oksana Marchenko, 30 ans, qui anime des émissions comme la version ukrainienne de "Danse avec les stars". "Pendant le dispersement des manifestations pacifiques, des hommes de les Berkout – forces spéciales du régime, connues pour leur brutalité – sont sortis d’une voiture frappée du nom de l’émission. Difficile d’y voir une simple ironie du hasard,"explique Taras Malkovitch.

Gare aux mensonges !

[[C’est pendant les périodes de troubles politiques, marquées par la manipulation de l’information, que le principe d’indépendance de la littérature prend toute son importance]]. Le concept de "littérature engagée", qui fait depuis longtemps sourire en Occident, prend ici tout son sens. Depuis le jour de son arrivée dans les rues paisibles de Cracovie, Taras Malkovitch, qui a déjà traduit un recueil de poésie irlandaise, mais aussi des poèmes allemands de Heine, Goethe et Brecht, n’a qu’une hâte : retourner à Kiev soutenir ses amis.
"L’un d’eux m’a appelé à 4 heures du matin de la cathédrale Saint-Michel, où il avait trouvé refuge avec d’autres blessés. Mais peut-être puis-je agir d’ici aussi et veiller à ce que le reste du monde ne soit pas abreuvé de mensonges. Au cours de la semaine du 30 novembre au 3 décembre, le procureur général d’Ukraine a déposé 53 plaintes contre des manifestants pacifiques, dont certains se trouvaient sur un lit d’hôpital. Ils étaient tombés sur les hooligans enrôlés pour provoquer les Berkout avant de disparaître dans la nature. Or, non loin de ces hooligans rémunérés se trouvait souvent une caméra russe pour montrer toute la brutalité de ces manifestants".
Pour Taras Malkovitch, on ne saurait sous-estimer l’importance vitale de Vitali Klitschko pour l’Ukraine. "Nous n’en sommes pas encore arrivés au point où nous pouvons faire du premier venu notre chef. Pour autant, rien ne produit une impression plus forte que de voir Klitschko attraper un hooligan par le col pendant une manifestation et lui demander des explications. Un démocrate convaincu est le meilleur symbole de ralliement possible".

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi
Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet