Des soldats néerlandais détectent la présence d'EEI (engins explosifs improvisés) dans la vallée de Chora, au sud de l'Afghanistan. Janvier 2010.

Cette guerre ne mène nulle part

Après la fuite de plus de 90 000 documents liés à la guerre en Afghanistan à la presse internationale, la situation semble encore loin d’être stabilisée dans le pays. L’Occident devrait plutôt renoncer à sa stratégie contre-insurrectionnelle et mieux se concentrer sur la lutte antiterroriste.

Publié le 27 juillet 2010 à 15:18
Des soldats néerlandais détectent la présence d'EEI (engins explosifs improvisés) dans la vallée de Chora, au sud de l'Afghanistan. Janvier 2010.

Lorsqu’ils se demandent ce qu’ils font en Afghanistan, les responsables politiques occidentaux reviennent presque toujours à la même réponse : “Nous sommes là pour empêcher que l’Afghanistan ne devienne un Etat en faillite et un refuge pour les terroristes”. Tant que l’Afghanistan ne sera pas stabilisé, les forces occidentales ne pourront donc pas en partir. Rien n’indique toutefois que le pays se dirige sur cette voie. Au contraire, les combats s’intensifient, le nombre de victimes augmente et les talibans se montrent de plus en plus téméraires.

Peut-être est-il temps de reformuler la question. Au lieu de nous demander “pourquoi sommes-nous en Afghanistan ?” nous devrions nous demander “si nous sommes en Afghanistan, pourquoi ne sommes-nous pas aussi en Somalie, au Yémen et au Pakistan ?” Après tout, ces trois pays sont eux aussi de potentiels refuges pour les terroristes.

Les repaires terroristes qui inquiètent

La Somalie, notamment, ressemble étonnamment à l’Afghanistan d’avant 2001. L’Etat n’est pas loin de la déliquescence et l’on sait que des ressortissants occidentaux y suivent des entraînements dans des camps terroristes. Le gouvernement central somalien ne contrôle guère plus que quelques pâtés de maisons autour du palais présidentiel de Mogadiscio et de l’aéroport. Le reste du pays est aux mains d’une insurrection radicale islamiste et de bandes de pirates qui sévissent sur les routes maritimes internationales. Le terrorisme somalien s’exporte également dans les pays voisins, comme l’a récemment montré un attentat à la bombe en Ouganda.

Pays limitrophe de l’Arabie saoudite, séparé de la Somalie par un bras de mer, le Yémen devient lui aussi une source d’inquiétude pour les agences de renseignement occidentales. Et l’on sait depuis longtemps que les derniers dirigeants d’Al-Qaida sont maintenant établis au Pakistan, et non en Afghanistan. L’Occident mène une guerre contre le terrorisme en Afghanistan. Mais les terroristes sont ailleurs. Entre-temps, notre capacité à combattre les menaces autour du monde est sapée par cette guerre afghane qui engloutit tant de moyens.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Dans un tel contexte, deux options se profilent. La première consisterait à appliquer le modèle afghan à la Somalie : intervenir massivement sur le terrain pour combattre le terrorisme et aider à reconstituer un Etat digne de ce nom. La deuxième serait d’appliquer le modèle somalien à l’Afghanistan. Ce qui reviendrait à admettre qu’une intervention militaire est parfois contraire au but recherché, que son coût humain est trop élevé, que la reconstruction de l’Etat a peu de chances de fonctionner et que l’Occident devrait se borner à refouler le terrorisme, au lieu d’essayer de le combattre sur des champs de bataille.

Les frappes aériennes affaiblissent la mission

Les responsables politiques occidentaux craignent d’être embourbés dans une nouvelle opération contre-insurrectionnelle sanglante en Somalie. L’histoire de ce pays depuis 20 ans n’est qu’une succession d’interventions étrangères manquées, qui l’ont laissé à chaque fois en plus mauvais état qu’avant. Au lieu de cela, l’Occident s’oriente vers une solution de rechange discutable : surveiller à distance l’activité terroriste, en recourant à la fois aux images satellite et au renseignement humain. Et quand ce sera possible et nécessaire, intervenir par des frappes militaires et ciblées.

Le même modèle a été appliqué avec un certain succès dans les zones tribales du Pakistan. Les Américains prétendent que les tirs de missiles par des drones ont infligé de lourdes pertes à la hiérarchie d’Al Qaïda et pratiquement empêché l’organisation d’avoir recours aux communications électroniques ou de s’entraîner. Il est vrai que ces frappes tuent des innocents. Mais il est courant que des innocents perdent la vie dans la guerre en Afghanistan.

La leçon de la Somalie et du Pakistan, c’est que la lutte antiterroriste n’est pas la même chose que la lutte contre-insurrectionnelle. Il est possible de combattre des groupes terroristes sans se retrouver entraîné dans un conflit majeur tout en s’efforçant de reconstruire un Etat comme l’a fait l’Occident en Afghanistan. Par conséquent, on peut penser que l’OTAN devrait envisager de retirer ses unités d’Afghanistan beaucoup plus vite que ce qui est aujourd’hui prévu - et de recentrer plus clairement sa mission sur la lutte antiterroriste.

L'issue de la guerre est une question de morale

D’aucuns évoqueront des arguments, bons ou mauvais, allant à l’encontre de cette évolution. Le meilleur de tous veut que, s’étant engagé à mettre en place des structures étatiques dignes de ce nom en Afghanistan, l’Occident ait l’obligation morale de continuer. Incontestablement, beaucoup d’Afghans courageux et honnêtes ont une grande foi en la guerre menée par l’OTAN. Mais il apparaît sans doute évident qu’il n’est pas possible de défendre les droits de l’homme dans le pays à la pointe de baïonnettes étrangères. Seul le développement interne de la société afghane pourra donner des garanties à long terme pour une bonne gestion du gouvernement.

L’autre grand argument contre un retrait d’Afghanistan est que la crédibilité de l’Occident se joue dans ce pays. Si nous échouons, l’OTAN risque de se désintégrer et tous les ennemis des Etats-Unis dans le monde vont s’enhardir. On verra se rejouer la chute de Saigon en 1975, avec cette fois les talibans entrant dans Kaboul. Mais cet argument ne tient pas vraiment non plus. Des forces étrangères sérieusement réduites aideraient le gouvernement afghan à garder le contrôle de la capitale - tout comme les forces de l’Union africaine ont jusqu’ici empêché les islamistes de s’emparer de Mogadiscio. Même la chute de Saigon n’a pas représenté pour les Etats-Unis la catastrophe qu'on imaginait à l’époque. A peine seize ans plus tard, l’Union soviétique s’est effondrée, un événement en partie accéléré par une guerre épuisante en Afghanistan.

Lorsque que les politiques occidentaux parlent de “crédibilité” à propos de l’Afghanistan, c’est souvent de leur propre crédibilité qu’ils se préoccupent avant tout. Le calendrier militaire des Américains en Afghanistan a d’ores et déjà été visiblement fixé de manière à ce que les Etats-Unis ne “perdent” pas la guerre avant la prochaine élection présidentielle. Mais continuer à demander aux soldats de se battre et de mourir en Afghanistan pour éviter des désagréments électoraux défie toute morale.

Wikileaks

Qui manipule qui ?

Après la publication par Wikileaks des documents secrets sur la guerre en Afghanistan, deux conclusions sont possibles, constate la Berliner Zeitung : "A) Nous avons besoin de plus de temps qu’annoncé publiquement pour mater le pays. Donc nous devons rester plus longtemps, avec davantage de troupes. B) Nous n'avons pas atteint nos fins ces dernières années. Nous n'allons pas plus réussir dans les années à venir. Il nous faut donc partir au plus vite."

"Il est possible que ces rapports aient désormais touché le public, pour lui suggérer la première conclusion. La source de Wikileaks n'est peut-être pas si éloignée du gouvernement américain qu'on a voulu le croire dans un premier élan d'enthousiasme", écrit le quotidien en évoquant l’idée que "nous sommes utilisés pour créer un climat propice à l'annonce du retrait." Mais dans cette "jungle des intrigues", la vérité reste insaisissable, remarque la Berliner Zeitung car l'opinion publique pourrait aussi bien opter pour la conclusion B. "En tout cas, le jeu avec le public est dangereux pour tous les acteurs. Le public, ce n'est personne d'autre que nous", rappelle le quotidien, et faute de savoir comment agir, l’opinion a tendance à "renoncer à la vérité pour laisser faire les puissants".

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet