Biscuits de Noël estoniens en pain d'épices. Photo de Nami-nami/Flickr

Le chômage fait mâle

Etre homme au foyer, ce n’est pas toujours drôle pour un Estonien. La crise économique, qui touche surtout les métiers masculins, entraîne une redéfinition des rôles au sein des familles. Et si c’était le moment de trouver un nouvel équilibre ?, interroge Eesti Päevaleht.

Publié le 21 septembre 2009 à 15:46
Biscuits de Noël estoniens en pain d'épices. Photo de Nami-nami/Flickr

Dans bien des familles estoniennes aujourd’hui, on peut observer la scène suivante : la mère se précipite au travail, le père traîne ses pantoufles jusqu’à la télévision pour tenter de passer la journée en compagnie de ses enfants et des grands-parents. Pour faire des économies, les enfants ont été retirés de la garderie, les grands-parents de la maison de retraite. Si l’on regarde cette scène avec des lunettes roses, la situation semble tout à fait idyllique : plusieurs générations vivent de nouveau ensemble, les grands-parents transmettent leur sagesse aux enfants. Pour le père de famille, la crise apparaît comme un défi permettant de passer plus de temps en famille et de redevenir un "être humain". La mère qui nourrit la famille a pris son envol, sa motivation et les possibilités de se consacrer au travail sont plus grandes que jamais.

Cette scène peut aussi illustrer un véritable enfer : la mère, qui rentre du travail épuisée, retrouve son mari qui a déjà ingurgité plusieurs bières pour soulager sa crise d’identité. Les enfants euphoriques qu’on a oubliés devant la télévision ont les yeux rouges, les couches pleines et meurent de faim. Les vieillards qui n’ont pas pris leurs médicaments sont inhabituellement excités.

L'"he-cession", quand la crise frappe les métiers d'hommes

D’après les chiffres de fin juillet, il y a 70 244 de chômeurs enregistrés en Estonie, dont 31 670 femmes et 38 574 hommes. Le chômage n’a aujourd’hui ni parti ni nationalité. Il a un visage masculin. La récession économique a porté un coup dur aux métiers d’hommes, dans le bâtiment, la construction et les métiers non qualifiés, et a préservé des secteurs comme l’éducation ou la santé, exercés principalement par les femmes. Le même modèle de récession touche les Etats-Unis. Dans un article d’economywatch.com, Vladimir Gonzales parle de l"he-cession" [lui-cession].

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L’impact de l’inversion des rôles dans le domaine professionnel concerne aussi l’identité et l’estime de soi des femmes et des hommes. Être celui qui rapporte de l’argent à la maison est aussi l’un des enjeux de pouvoir du quotidien. Le gagnant, qu’il soit homme ou femme, n’hésite pas en profiter. Dans l’organisation familiale, ce changement suscite beaucoup de tensions : les statistiques montrent une augmentation de la violence familiale en Estonie. Si la société accepte généralement que la femme qui perd son emploi se réalise dans la sphère privée, dans les travaux ménagers ou l’éducation des enfants, l’homme qui s’affaire à la maison est une situation plus difficile à accepter pour son entourage.

Le concept de l'homme doux

Une nouvelle donne économique fait toujours naître de nouvelles formes de pensées. En Finlande, au début des années 1990, quand la crise et le chômage ont affecté un cinquième des habitants en âge de travailler, les médias de divertissement ont rendu populaire l’idée de "l’homme doux", preuve que la définition du masculin était sur le point de changer. Derrière ce concept de l' "homme doux" se cachait moins une modification des rôles qu'une nouvelle catégorie marketing juteuse pour le marché des produits de beauté et de santé, mais cela convenait parfaitement à la crise finlandaise.

La publicité qui poussait les hommes à s’occuper d'eux et de leur ménage a peut-être contribué à éviter bien des tragédies. C’est justement à l’époque de cette crise qu’on a commencé à parler de l’importance du rôle du père et à évoquer en public le problème de la violence des hommes. C'est à ce moment là qu'on a également tenté d’implanter cette nouvelle catégorie masculine en Estonie. Mais cela n’a pas marché, car l’homme estonien profitait alors des fruits du redressement économique. Aujourd’hui, les conditions sont réunies en Estonie pour commencer à valoriser la paternité.

Vladimir Gonzales écrit probablement avec un brin d’humour que devant la faillite du pays, l’Islande a viré les hommes en choisissant une homosexuelle femme pour occuper le poste du premier ministre. Ce serait prématuré de dire que seules les femmes pourraient sauver le monde que les hommes ont conduit vers la catastrophe. L’économie mondiale n’est pas non plus comparable à notre quotidien où les femmes sont capables de mettre de l’ordre dans la maison suite à une soirée arrosée entre hommes. Il faudrait plutôt comparer l’économie mondiale à un lendemain de fête où les hommes, de nouveau sobres, nettoient eux-mêmes leurs saletés.

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