Parlons d’un été à la russe

Publié le 19 août 2014 à 19:55

Certaines choses ne changent jamais, quoiqu'on en dise. L'ours change de peau, dit-on dans les contes, mais pas de mœurs. C’est aussi le cas de la Russie. Avec Dmitri Medvedev président et Vladimir Poutine Premier ministre (2008-2012), on aurait pu croire à un dégel des relations conflictuelles entre la Russie et le reste du monde. Et de fait, on y a vraiment cru. Le mot dégel était à une époque sur toutes les lèvres.
Pourtant, nous voilà de nouveau devant l'ours retranché dans sa tanière, un ours russe qui se moque littéralement du reste du monde, qui n’en fait qu’à sa guise, qui traite l’Union européenne de “jeune fille” naïve, bref, qui s'exprime dans le geste et dans les actes, dans un théâtre de guerre où les Autres manient seulement les mots. Il s'agit, évidement, de ce qui se passe actuellement dans l’est de l’Ukraine. Tandis qu’un convoi humanitaire (réel cheval de Troie) russe force son entrée sur le territoire d’un pays voisin, tandis que Kiev essaye tant bien que mal de défendre son territoire déjà fragmenté (sécession de la Crimée), les leaders occidentaux se réunissent (pour la combientième fois ?) à Berlin, pour PARLER.
Pour tous les analystes il est évident que la situation est, de manière caricaturale et même ubuesque, semblable à celle d’août 2008. On dirait déjà que l'été sied si bien aux Russes, ou que Poutine se sentirait plus à l'aise pendant les sacro-saintes vacances estivales des européens. Du reste du monde. En août 2008, l’épisode Géorgie et les sécessions de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ont eu lieu selon le même schéma : petites embrouilles, convoi humanitaire, désir de défendre le petit personnel humanitaire etc., et puis, d’un coup, fragmentation de la Géorgie.
Passons sur une question simple mais légitime : pourquoi à chaque fois qu’il y a une fragmentation de territoire souverain (pour ne pas dire occupation ou vol, comme l’occupation de la moitié de l’île de Chypre) les leaders occidentaux parlent parlent mais à la fin l’occupant garde bien sa proie pour l’éternité ? On attend quoi, dans ces cas ? Que les leaders occupants en question meurent, que la question se résolve d’elle-même ? Passons donc, ce n’est que poussière dans le vent, mais posons alors une autre question : de quoi diantre avons-nous besoin pour comprendre une fois pour tout que les Russes (à part feus Dostoïevski, ou Tolstoï, ou Gogol…) ne connaissent pas l’art des mots et que le seul son qu’ils respectent, visiblement, est celui des armes ? Ou du moins celui d'une diplomatie plus musclée (voir la note de blog publiée en 2009 sur le site Presseurop.eu).

Depuis l’émergence de l’empire russe comme puissance continentale, l'Europe se demande : comment vivre avec ce grand et redoutable voisin, souvent inquiet pour la perte de son hégémonie, avare de gestes rassurants et atteint périodiquement par des poussées de fièvre belliqueuse ?
Nous nous posions cette question en 2009, un an après la guerre de Géorgie. La question reste valable. L’Europe n’a toujours pas de réponse, l’Europe paye toujours sa tranquillité avec l'absence de tranquillité de sa marche orientale, se prélassant sur son perchoir tant que la guerre n’est pas aux portes de Paris. L’Europe sursaute quand Moscou avance encore un pion sur cet immense échiquier qu’est l’Est, lance des paroles depuis Paris, depuis Londres, depuis Berlin, toutes commencent avec “nous demandons à Vladimir Poutine…”, mais hormis le fait qu’elles font parfois les Unes de journaux, elles n'impressionnent personne.
Le temps des mots est passé, depuis belle lurette, c’est bien dommage que depuis la Géorgie l’UE n’ait pas trouvé au moins des moyens économiques sérieux pour contrer Moscou, à défaut d'un terrain d'entente pour qu'elle lâche prise sur sa zone neutre (les ex-pays soviétiques). Tout simplement parce qu’elle n’est pas assez puissante pour compter. Ni en énergie, ni en défense, ni dans les secteurs financier ou bancaire. En rien. Trop occupée à faire face à ses propres égoïsmes nationaux et aux sempiternelles guerres pour "le déficit de moins de 3 % du PIB national”, le noyau puissant de ll’UE (zone euro) aurait raté encore une occasion de calmer le jeu des Russes.
Avouons tout simplement que la Russie continue à rester "une devinette enveloppée de mystère, placée à l'intérieur d'une énigme" (Winston Churchill), que l’UE n’a pas trouvé encore le magicien capable de donner la réponse, que Kiev fera ce qu’il pourra et que nous attendrons tranquilles que Poutine finisse enfin de faire valser le monde, vers ses 100 ans. Prions aussi que le futur président russe soit moins belliqueux et plus européen. Enfin, si nous ne sommes pas capables de “hausser parfois le ton avec Moscou”, comme nous l’écrivions en 2009, du moins “quand c’est nécessaire”, car ainsi nous n’en tirerons “que plus de respect”, si l’UE reste incapable de s’engager “dans une partie de poker avec les autres puissances mondiales”, notre seul espoir reste en Dieu (à l'instar des autorités russes, qui ont appelé des prêtres orthodoxes pour bénir le convoi en question). A moins que son cœur batte aussi pour la Mère Russie.

Photo: Radio Canada.

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