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Les travailleurs européens en quête d’un nouveau contrat écologique et social

Le climat change, les Européens aussi. Mais qu'en est-il de leurs emplois ? Face à un contexte politique, économique et sanitaire inédit, les travailleurs européens souhaitent occuper un rôle nouveau, qui soit à la fois juste pour chacun d'entre eux et respectueux de l'environnement.

Publié le 29 mars 2021 à 09:07

Cette année terrible m'a rappelé un vieil adage européen : ‘C'est en temps de crise que se forge l'Europe’. Les moments les plus sombres sont aussi ceux dans lesquels nous pouvons trouver le courage de mettre nos différences de côté et unir nos forces.” 

Ce sont avec ces mots que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a lancé la conférence sur le nouveau contrat écologique et social, qui s'est tenue du 3 au 5 février. 

Voilà ce qu'est l'Europe : trouver la force dans l'adversité”, a poursuivi Mme von der Leyen. ”Quand tout semble être contre nous, nous nous battons et ressortons encore plus forts des épreuves que nous avons surmontées. C'est pourquoi je crois fort que nous aurons bientôt vaincu cette pandémie et que de cette année naîtra, si nous faisons bien les choses, une Europe sociale encore plus forte.” 

L'Europe telle qu'on la connaît fait face à des circonstances inédites qui exigent un changement fort et profond. Une opportunité unique qu'il est essentiel de saisir. 

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Il est difficile de prévoir les conséquences d'une révolution. Il est en revanche possible de définir ce que nous pouvons en attendre, de “chercher non seulement à comprendre les défis à relever, mais aussi à identifier ce que nous pouvons entreprendre, aujourd'hui et dans l'avenir”. Voilà précisément quel était l'objectif de cette conférence.

Conjointement organisé par l'Institut syndical européen (ETUI) et la Confédération européenne des syndicats (CES), l'événement a rassemblé des hommes et femmes politiques de l'Union européenne (UE) et des Etats membres, des représentants syndicaux, des chercheurs, des universitaires, ainsi que divers responsables politiques. Outre le pacte vert pour l'Europe, les plans de relance et la nouvelle stratégie industrielle européens, tous à l'ordre du jour, le réchauffement climatique, la dégradation de l'environnement, l'accroissement des inégalités dû à la pandémie et l'impératif de croissance, qui subsiste malgré tout, ont également été discutés. 

Si les objectifs climatiques très ambitieux que l'UE s'est fixés impliquent une adaptation rapide dans tous les pans de notre société, la crise sanitaire liée au COVID-19 rend cet effort d'adaptation encore plus urgent. 

“La pandémie nous a une fois de plus appris que, dès que nous faisons face à un nouveau défi, ce sont toujours les plus vulnérables qui paient le prix fort.

Frans timmermans

Commissaire européen responsable du pacte vert pour l'Europe, Frans Timmermans est intervenu lors de la conférence et n'a pas caché son inquiétude : “Pour être franc, j'ignore si l'humanité a déjà dû faire face à de tels défis par le passé.

Je le vois dans mes échanges avec les acteurs des industries de l'acier, de l'automobile ou du charbon”, a expliqué M. Timmermans. “Les syndicats ont très peur que ce que nous sommes en train d'entreprendre revienne à les abandonner, à ne pas prendre en compte les intérêts des travailleurs, sans véritable stratégie pour les former ou les requalifier.” 

Mais il s'agit aussi d'un “moment décisif” qui déterminera l'existence des trois prochaines générations, au moins. “La pandémie nous a une fois de plus appris que, dès que nous faisons face à un nouveau défi, ce sont toujours les plus vulnérables qui paient le prix fort. Alors, au bout du compte, l'ère que nous vivons nécessite un véritable effort de redistribution. La politique, cela a toujours été une question de redistribution”, a conclu M. Timmermans. 

Le capitalisme a peut-être bien atteint ses limites : il ne permet pas un avenir durable et, comme beaucoup d'intervenants l'ont souligné, une planète détruite n'offre pas d'emplois. La protection de l'environnement ne devrait donc pas être perçue comme allant à l'encontre de nos intérêts. 

Nous devons comprendre que nous faisons partie des écosystèmes dans lesquels nous vivons et rompre avec cette vision qui fait de l'environnement une sorte d'extérieur lointain se limitant aux océans et aux forêts. C'est seulement en nous réconciliant avec la planète que la transition écologique peut réussir. 

Le rapport Dasgupta sur l'économie et la biodiversité, publié début février, souligne que le PIB ne permet plus de mesurer la réussite économique de manière pertinente. L'étude appelle à son remplacement par un outil de mesure valorisant la rareté des ressources naturelles et établissant un lien indissociable entre la préservation de la nature et le développement économique.

Pour Luc Bas, qui dirige le bureau européen de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), “un nouvel outil de mesure peut aider à résoudre les problèmes ; une autre façon de procéder serait d'appréhender notre capital naturel et la biodiversité sous un angle nouveau et de les inclure dans le grand débat sur l'économie”. L'IUCN a développé un concept où les solutions fondées sur la nature constituent, sinon un remède miracle, du moins un moyen de créer des emplois décents à l'échelle locale. “Si nous y parvenons au niveau de l'Union européenne, au sein des différents Etats membres et en dehors de l'Europe, nous pourrons obtenir d'importants bénéfices à partir d'investissements très faibles.

Pour passer de la parole aux actes, il faut que l'ensemble des parties prenantes jouent leur rôle, en particulier les syndicats, essentiels pour ce qui a trait aux plateformes numériques de travail, à la réduction du temps de travail et à la transition vers une mobilité durable.

Agnieszka Piasna, chercheuse expérimentée à l'ETUI, a présenté une étude qui montre que la réduction du temps de travail permet dans certains cas d'améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et, par conséquent, la solidité du tissu social dans son ensemble. Selon elle, “à ce stade, je pense que plus personne ne devrait avoir besoin d’être convaincu que réduire le temps de travail est à la fois nécessaire et bénéfique”.

Mais les vieilles idées sont inévitablement tenaces, bien qu'elles vacillent.  

“Nous devons trouver une nouvelle forme de prospérité ne reposant pas sur la croissance économique et combattre l'idée selon laquelle la justice sociale serait un luxe.”

Pierre Larrouturou

Nous nous trouvons à des niveaux de chômage jamais vus depuis les années 80”, a observé Anna Coote, chercheuse principale à la New Economics Foundation. Pour elle, il n'est pas sensé de croire qu'un retour aux habitudes d'avant est possible. 

Nous pourrions plutôt nous inspirer de notre façon de travailler aujourd'hui, tout en nous débarrassant de ce qui ne fonctionne pas. Juliet Schor, économiste au Boston College et spécialiste de l'économie à la tâche, a reconnu que “ce que le travail à la tâche suppose d'exploitation n'est pas ce qui le rend noble”. Elle y voit néanmoins des aspects positifs, comme les “possibilités technologiques et la liberté qu'elles offrent aux travailleurs”. 

Souvent perçue comme “la question qui fâche”, la réduction du temps de travail sera au cœur de la bataille pour le progrès dans l'ère post-Covid. Le député européen Pierre Larrouturou (S&D) a synthétisé cet enjeu majeur : “Nous devons trouver une nouvelle forme de prospérité ne reposant pas sur la croissance économique et combattre l'idée selon laquelle la justice sociale serait un luxe.

Les décisions critiques seront prises à Bruxelles, où le Parlement européen présente actuellement sa stratégie de lutte contre la pauvreté au travail, contre laquelle il propose notamment la mise en place d'un salaire minimum.  Le dernier mot revient désormais aux Etats membres, ce qui s'avère généralement problématique. 

Nous avons besoin de savoir que des solutions vont être mises en place dans un délai raisonnable, mais ce problème peine encore à être résolu”, a dit en conclusion Esther Lynch, secrétaire générale adjointe au CES. Mme Lynch a par ailleurs insisté sur le fait que l'établissement d'un nouveau contrat social, économique et écologique passait d'abord par un effort de cohésion entre les différentes parties. C'est seulement lorsque les citoyens pourront réellement croire que “personne ne sera laissé pour compte” qu'un tel objectif “dépassera le stade de promesse pour devenir une réalité”. 


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