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Face au Kremlin, l’heure n’est pas à la faiblesse

La politique d'ingérence de la Russie à l'égard de l'Union européenne et de ses voisins, et l'invasion de l'Ukraine ont montré que l'apaisement et le compromis ne fonctionnent pas avec l'élite dirigeante actuelle et que, si elle n'est pas arrêtée, elle continuera à représenter une menace pour la paix et la sécurité dans la région, met en garde un groupe de politologues ukrainiens.

Publié le 16 juin 2022 à 09:34

Une guerre à grande échelle au cœur de l’Europe du XXIe siècle est une réalité difficile à digérer – elle doit néanmoins être confrontée. Cette guerre n’est pas seulement menée par la Russie contre l’Ukraine, mais contre toute l’Europe et le monde démocratique occidental dans son entièreté.

Si la Russie n’est pas stoppée dès maintenant, d’autres pays européens seront à leur tour sous la menace d’une invasion. Éviter à tout prix le conflit avec la Russie pourrait bien mettre un terme aux désirs de l’Ukraine d’échapper à l’impérialisme étouffant de sa voisine mais aussi à l’éventualité d’une Europe sûre et prospère.

Cette invasion est une conséquence directe de la métamorphose de la Russie moderne en régime fasciste sous l’influence de Vladimir Poutine ; c’est un fiasco non seulement pour la démocratie occidentale, mais aussi au nom de toute la dernière décennie de politique orientale européenne.

Ces dernières années, la Russie a détruit l’UE de l’intérieur avec l’aide de ses "amis" européens. Elle a utilisé tous les moyens à sa disposition : pots-de-vin, chantage, corruption. L’anti-américanisme s’est révélé être une idée attrayante pour de nombreux groupes politiques, de droite comme de gauche, et ce même en Europe. Cette Europe qui avait été habituée à vivre selon les normes du 21e siècle s’est retrouvée totalement démunie face à des pratiques politiques héritées du 19e. Mais ce serait une erreur de penser qu’un dictateur fou est le seul problème ; les crimes de guerre commis contre l’Ukraine le sont avec le soutien absolu de toutes les branches du gouvernement russe et d’une grande partie de la société civile. Plus le régime de Poutine au Kremlin persistera, plus les conséquences seront graves pour les Russes eux-mêmes et pour le monde entier.

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Les sanctions adoptées après le début d’une attaque russe à grande échelle contre l’Ukraine auraient pu contribuer à empêcher cette guerre – si elles avaient été prises avant l’attaque, et non après. Aider l’Ukraine à gagner la guerre maintenant pourrait empêcher le bombardement de la Pologne ou d’un autre pays européen, mais ne fera jamais oublier les bombes larguées sur Marioupol.

Il est illusoire de penser que l’Europe ne doit pas s’impliquer dans cette guerre ou peut éviter une confrontation avec la Russie. Le Kremlin croit qu’il est en guerre avec l’OTAN, pas avec l’Ukraine – voilà le problème. La plupart des Russes sont convaincus que combattre en Ukraine signifie combattre l’Occident dans sa totalité. La mauvaise nouvelle pour les Européens est que par "Occident", le Kremlin entend non seulement les États-Unis "démoniaques", mais aussi l’Europe "trompeuse et hypocrite". 

La politique d’apaisement de l’agresseur est essentiellement devenue un permis d’agresser. Si les dirigeants occidentaux avaient osé arrêter la Russie en 2014 lorsqu’elle occupait la Crimée, peut-être n’aurions nous jamais vu une guerre à grande échelle sur le territoire ukrainien huit ans plus tard.


Toute volonté de compromis est perçue comme une faiblesse et le pouvoir russe en profite pour demander toujours plus


Pourquoi l’Ukraine ne peut-elle pas arrêter cette guerre ? Parce qu’elle ne l’a pas commencé. Pourquoi une confrontation directe avec la Russie ne peut-elle être évitée ? Parce que la réaction du Kremlin ne dépend pas de ce que vous faites réellement, mais uniquement de la façon dont Poutine perçoit la réalité. Pour le Kremlin, la Fédération de Russie est d’ailleurs en guerre contre "l’Occident" depuis de nombreuses années déjà.

Toute volonté de compromis est perçue comme une faiblesse et le pouvoir russe en profite pour demander toujours plus. Seules les réponses fortes sont prises au sérieux – Moscou ne recule que quand une ligne claire est tracée.

La volonté de l’OTAN de ne pas entraîner la Russie dans une nouvelle escalade ne fait que prouver au Kremlin qu’il peut aller de l’avant. Le refus de l’alliance de défense de fermer le ciel au-dessus de l’Ukraine ne fait que nous rapprocher de l’invasion russe des pays baltes ou d’une attaque sur un État membre de l’OTAN.

L’Union soviétique parlait de lutte pour la paix et d’”aide fraternelle” quand elle menait des guerres. Dans la plus pure tradition du KGB, Poutine a pratiquement appelé aide humanitaire les troupes envoyées en Ukraine, et il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas détruit toute l’Europe, même si ses actions laissent penser qu’il ne vise aujourd’hui que l’Ukraine.

Une autre erreur serait d’espérer un retour à la normale en évitant un conflit direct avec le Kremlin. En 2014, la réponse occidentale avait été trop tardive ; la réaction semble plus forte en 2022, mais est-ce bien suffisant pour empêcher le pouvoir russe de détruire complètement l’Ukraine aujourd’hui et le reste de l’Europe demain ?

Personne ne sera en sécurité en Europe tant que le régime du Kremlin existera. La guerre que la Russie a déclenchée "contre l’Occident" n’épargnera personne.

Certains propos de Poutine doivent être pris au pied de la lettre. Depuis de nombreuses années, il déclare ouvertement qu’il est en guerre contre l’Occident et que ses principaux adversaires sont les États-Unis et l’OTAN. Par conséquent, il est naïf de penser qu’il se contentera de l’Ukraine à l’avenir.

Il y a quelques années, Poutine s’est vu poser une question lors d’un de ses bains de foule en compagnie du "peuple" : "Où sont les frontières russes ?", à laquelle il a répondu : "Nulle part". Cela pourrait être pris comme une blague, une "blague" qui a déjà fait des milliers de victimes. Et qui en fera des millions de plus si nous ne l’arrêtons pas.

Les frontières de la Russie n’existent que là où elles sont stoppées. Malheureusement, le pouvoir est le seul langage que le Kremlin est à même de comprendre ; toute tentative de trouver un compromis sera perçue comme une faiblesse et ne fera que provoquer une nouvelle agression.

Semantic Corpus est une plateforme d'information formée par un groupe de volontaires ukrainiens dont les objectifs sont de développer une société civile plus consciente par le biais de projets éducatifs et culturels, ainsi que de fournir des informations et des analyses fiables à l’aide d’experts.

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