Les Balkans et la crise
Pendant les manifestations de Sarajevo, en février 2014.

La Bosnie dans l’impasse

Publié le 19 mars 2015 à 06:54
Luca Bonacini  | Pendant les manifestations de Sarajevo, en février 2014.

Il y a un an, la Bosnie était traversée par une vague de protestations […] déclenchées par la pauvreté et le chômage”, écrit Buka, un magazine de Banja Luka, dans l’entité serbe de la République de Bosnie. Parties de la ville de Tuzla, “les manifestations se sont rapidement étendues au reste du pays”. Des mairies et des ministères furent incendiés par des citoyens las de l’immobilisme, de la corruption et du marasme économique dans lequel le pays était plongé. Comme le rappelle Buka, selon Eurostat, la Bosnie partage avec l’Albanie le titre peu enviable de pays le plus pauvre d’Europe : “le pouvoir d’achat y est un tiers de la moyenne européenne, seul un habitant sur deux en âge de travailler est actif et, parmi eux, un tiers est sans emploi”.

Quant au gouvernement, ajoute le magazine,

que ce soit au niveau national ou local, il n’a pas de stratégie pour le développement du pays, si ce n’est le respect du pacte pour la croissance et l’emploi imposé par l’Union européenne – qui n’a pas donné de résultats au sein de l’Union par ailleurs. La Bosnie se trouve ainsi entre le marteau et l’enclume et vit un conflit semblable à celui qui oppose les pays du nord et du sud de l’Europe : enchaînés par le dogme de l’austérité et trop endettés pour parvenir à se financer sur les marchés.

Les comités citoyens qui avaient animé les protestations de 2014 ont quant à eux disparu ou ils ont été absorbés par des mouvements plus “institutionnels”.

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Face à cette situation, les partis populistes de droite, aujourd’hui au pouvoir à la fois dans la Fédération croato-musulmane et dans l’entité serbe, sont dans l’impasse, note Buka, car

le seul moyen d’obtenir la paix sociale serait d’obtenir d’autres crédits des bailleurs internationaux à un coût exorbitant, une solution qui deviendrait vite insoutenable. Ce qui fait penser que des manifestations semblables à celles de février 2014 sont à craindre prochainement. Et le gouvernement n’aura pas le choix : face à une diminution des recettes, il sera obligé à couper les dépenses publiques. […] A la fin, les manifestations, auxquelles ont participé jusqu’à présent les travailleurs et les petits entrepreneurs, pourraient s’amplifier et devenir imposantes. Les intellectuels de droite estiment que la Bosnie Herzégovine peut être sauvée uniquement avec des réformes radicales, comme le transfert de pouvoirs des dirigeants politiques vers les opérateurs privés qui, avec la libéralisation de l’économie, pourraient relancer la croissance. Mais pour que ce plan se réalise, il faut du temps. Et aujourd’hui, la Bosnie ne peut se permettre d’attendre.

A une situation économique difficile est venue s’ajouter un élément de déstabilisation aussi imprévu qu’inquiétant : l’arrivée de l’organisation Etat islamique (EI), ainsi que le relate le reporter de La Stampa, qui s’est rendu à Gornja Maoča. “Nettoyé” de sa population serbe lors de la guerre, ce village de l’Est de la Bosnie est devenu un fief du salafisme. Les moudjahiddines qui s’y sont installés après la guerre y appliquent la Sharia et, récemment, on a pu voir les drapeaux de l’Etat islamique aux balcons et aux fenêtres, avant que la police n’intervienne pour les ôter.

Gornja Maoča est “une base” pour les musulmans des Balkans qui souhaitent joindre les rangs de l’Etat islamique, explique pour sa part Le Temps. Selon les estimations officielles, citées par La Stampa,

130 Bosniaques sont partis combattre en Syrie et en Irak aux côtés de l’Etat islamique, et au moins une trentaine seraient morts. Mais il s’agirait de chiffres optimistes, pour ne pas provoquer de panique.

Pour Le Temps, “la Bosnie est (re)devenue une terre de mission” pour les recruteurs du djihad. Pendant la guerre,

ce pays avait été l’une des premières destinations du nouveau djihad ‘mondialisé’ qui a essaimé après la guerre d’Afghanistan, mais la ‘greffe’ islamiste n’avait pas pris – la tradition de tolérance propre à l’islam balkanique aurait servi d’anticorps, et la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine demeure une institution respectée. […] Le “garde-fou” d’une tradition particulière à “l’islam européen” des Balkans ne tient plus. Le défi est majeur car les communautés islamiques des Balkans occupent une position stratégique essentielle, servant de relais sur la route qui mène au Proche-Orient, tandis que les réseaux de la diaspora s’étendent partout en Europe.

L’appel du djihad est une conséquence directe de la situation économique, affirme au quotidien genêvois le responsable d’une ONG locale : “Avec le chômage endémique qui touche la région, l’islam est souvent la seule porte de sortie à la misère sociale”.

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