Opinion Conseil européen du 19 juin

La crise du coronavirus donne un coup d’accélérateur à l’intégration européenne

Après avoir secoué l’UE, la crise du Covid-19 a catalysé un processus d’intégration de long terme rendu possible par le départ des Britanniques. Si le Conseil européen du 19 juin ne devrait pas être décisif, il fixera les bases du sommet de juillet qui, lui, pourrait bien être historique

Publié le 18 juin 2020 à 13:30

On n’a pas vu une telle dynamique européenne depuis vingt-cinq ans” me disait cette semaine un ancien membre du cabinet Delors à la Commission européenne. Oui, le moment est venu que nous prenions tous conscience que ce qui est en train de se jouer avec le plan de relance européen est un grand pas pour le continent. Ce n’est pas tant une rupture que l’accélération de la mise en œuvre du projet historique de Jean Monnet et de Robert Schuman un temps freiné par l’adhésion du Royaume-Uni et que le départ de Londres rend à nouveau possible. Ce qui se joue, c’est l’avènement d’une puissance européenne démocratique de rang mondial sous l’impulsion d’un quatuor de choc Macron, Merkel, Lagarde et Von der Leyen qui sont en phase avec l’opinion publique européenne et peuvent compter sur les bons offices du président du Conseil européen Charles Michel.  

Les bases d’une fédération d’Etats dotée d’une capacité et d’une autonomie budgétaires ainsi que d’un droit de lever l’impôt pourraient être jetées dès le mois prochain lors d’un sommet européen exceptionnel dont les chefs d’Etat et de gouvernement pourraient fixer la date lors du Conseil européen de ce 19 juin. Et la voie s’ouvrirait alors pour transformer l’Union européenne en une véritable puissance souveraine mondiale. Qui eût pu dire il y à peine trois mois que le cours de l’histoire pourrait à ce point s’accélérer ?

Dans cette affaire, la crise du Covid-19 agit comme un catalyseur, rendant possible et rapide une alchimie qui est en pratique en germination depuis plusieurs années. 

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Plusieurs phénomènes ont préparé le terrain. L’échec des solutions nationales à la crise économique et financière de 2008 a mis évidence la pertinence d’une réponse fédérale face aux conséquences d’une crise mondiale, c’est Mario Draghi qui a ouvert la voie en affirmant l’engagement illimité de la Banque centrale européenne en faveur de l’euro avec sa formule restée fameuse “whatever it takes” – quoi qu’il en coûte – prononcée le 26 juillet 2012.  Le vote des Britanniques pour sortir de l’Union européenne a paradoxalement suscité un renforcement de l’attachement des citoyens de presque tous les pays de l’UE en rappelant que le projet européen était mortel dans un contexte où les Etats-Unis la Russie et la Chine prennent des directions inquiétantes. 

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Tant que Londres aurait son mot à dire sur l’avenir de l’UE rien ne serait possible expliquait Michel Rocard avec raison. Son ami le président Emmanuel Macron a su le premier sentir ce “momentum” – cet élan – et saisir cette opportunité avec la chancelière Angela Merkel, la présidente Ursula von der Leyen et la banquière centrale Christine Lagarde pour relancer cette Europe dont l’ancien premier ministre français rêvait à voix haute encore quelques jours avant sa mort. Londres partie, la donne a changé : l’Union européenne se confond désormais à peu de chose près avec la zone euro. Et si le Danemark et la Suède n’en font pas formellement partie, les taux de change sont fixes et les deux pays suivent dans les faits scrupuleusement les règles de la zone euro et de l’Union bancaire. 

Quant aux autres pays de l’Est de l’Union, ils ont vocation à la rejoindre. Le débat politico-économique s’est donc largement simplifié et la division qui avait longtemps opposé la France et l’Allemagne sur un budget de la zone euro, a perdu son sens, rendant possible une convergence des deux pays.

Mais si la Commission a fait preuve d’audace, c’est aussi qu’elle a senti le soutien massif des citoyens de l’Union dorénavant conscients qu’ils partagent les mêmes intérêts vitaux. Ainsi la consultation WeEuropeans, qui a touché 38 millions de citoyens dans 27 pays et 24 langues quelques semaines avant les élections européennes de juin 2019, a mis en évidence une dynamique de fond. Les Européens ont en fait les mêmes préoccupations pour l’avenir : développement durable, démocratie européenne renforcée, mieux informée et plus inclusive, justice fiscale accrue avec notamment une taxation commune pour les multinationales numériques et les grandes entreprises, souci de solidarité en matière sanitaire et sociale et enfin appétence pour l’éducation, la formation et la recherche.

Cette convergence me rend optimiste, elle ouvre la voie à un destin commun et explique le retournement pro- solidarité des opinions publiques de pays jusque-là réservés comme l’Allemagne et les Pays-Bas.  Les propositions des forces populistes animent certes le débat public en agitant des peurs, mais leurs solutions ne convainquent pas au moment de voter. Un espace démocratique européen est possible. Le moment européen que j’appelle de mes vœux depuis le début de la crise sanitaire dans ces mêmes colonnes est en marche accélérée.  

Sursaut moral et budgétaire

La gravité de la situation sanitaire, économique et sociale issue du Covid-19 nécessitait un sursaut moral mais aussi budgétaire comme Jacques Delors et Jean-Claude Juncker l’ont respectivement rappelé ainsi qu’un fonctionnement institutionnel remettant la Commission au centre du jeu. La résurrection du couple franco-allemand, avec l’appel du 19 mai d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron pour une relance de 500 Milliards, a permis quelques jours plus tard à la Commission européenne de retrouver sa force de proposition audacieuse comme à l’époque de Delors. 

La présidente Ursula von der Leyen a ainsi proposé un plan de solidarité de 750 milliards d’euros, qui pourrait n’être qu’une première étape et qui a été accueilli très positivement par les citoyens, le monde de l’entreprise et les syndicats de toute l’Union ainsi que par les marchés du monde entier, rendant difficiles toute résistance durable. Les quatre Etats dits frugaux  – l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède – expriment des craintes que cette solidarité financière ne servent qu’à financer les besoins courants des pays du Sud et non à investir dans la transformation de leurs économies, mais comme, tout bon praticien des négociations européennes, je suis convaincu que les Européens trouveront un accord à la hauteur de l’enjeu historique d’autant que les pays du Sud, dont la Grèce, le Portugal et l’Italie ont donné des signaux clairs de modernisation de leurs économies.

Ce plan de relance de l’Union européenne inédit dans son ampleur (750 milliards d’euros levés par la Commission européenne), ses modalités et sa philosophie sera vraisemblablement adopté sous l’impulsion de la présidence allemande en juillet, toutes les étoiles sont alignées pour cela. Il redonnera un sens concret à la solidarité européenne en aidant les Etats les plus touchés à se relancer grâce à des transferts financiers massifs, le remboursement se faisant grâce à la création d’une fiscalité européenne, tout cela sous le contrôle démocratique du Parlement européen.

Un temps le covid-19 a fait craindre que chacun se replie sur soi et que la fermeture des frontières intra-européennes ne soit que la chronique annoncée de la fin de l’UE. C’est tout le contraire qui est en train de se passer : nous les Européens, nous sommes en train de répondre à cette crise par un sursaut de solidarité inédit et de reconstruire des liens profonds entre tous les citoyens, renouant avec notre tradition humaniste, le coeur de notre identité collective.

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