Tapis dans un bazar d’Istanbul Photo : Markb120/Flickr

La foi, une valeur toute relative

Le référendum suisse sur les minarets a relancé le débat sur la place de l'islam en Europe. Au philosophe musulman Tariq Ramadan, qui met l’accent sur l'apport des musulmans à la culture du Vieux continent, le journaliste Arcadi Espada répond que la religion ne constitue pas un élément de supériorité morale.

Publié le 2 décembre 2009 à 13:38
Tapis dans un bazar d’Istanbul Photo : Markb120/Flickr

Je comprends (plus ou moins) Tariq Ramadan lorsqu’il affirme dans l’édition d’hier [d’El Mundo] qu’il est "fort difficile pour le citoyen lambda d’accepter la nouvelle présence musulmane comme un facteur positif". Pour M. Ramadan, cette difficulté s’inscrit dans ce qu’il appelle les "désagréables polémiques" au sujet de l’islam. Et le philosophe d’en citer quelques unes : "la violence, l’extrémisme, la liberté d’expression, la discrimination sexuelle, les mariages forcés". Mais Tariq Ramadan doit reconnaître que tout ce qui affecte la liberté et la vie n’est pas un débat futile, et que les polémiques qu’il cite les affectent pleinement. Dès lors, il n’est pas si insensé que l’opinion publique européenne se méfie des musulmans. C’est au nom d’Allah que l’on fait toutes ces choses désagréables, même si je ne doute pas que nombres d’actes de bonté puissent être faits en son nom. Néanmoins, là n’est pas la question fondamentale du débat, ni la raison des divergences européennes, voire du dédain que détecte M. Ramadan. Pour être sincère, et en m’analysant en tant qu’Européen, j’aimerais lui demander : pourquoi les musulmans seraient-ils un facteur positif ? Un musulman est défini par sa foi, et seulement par elle. Pourquoi la laïcité européenne devrait-elle admettre comme "positive" la présence de celui dont la seule carte de visite est la croyance ?

Admettrions-nous que quelqu’un se présente dans un espace public en disant "je suis catholique, ce qui est un facteur positif" ? L’une des valeurs importantes de l’Europe, durement acquise, est que la religion n’ouvre pas les portes du paradis moral. La religion n’est qu’un facteur, fort discutable. Je peux accepter, bien au-delà de toute généralisation ambigüe, que Tariq Ramadan qualifie de positive la présence arabe. Comme s’il me disait la même chose de la présence chinoise. Mais je ne parviens pas à voir en quoi peut l’être l’introduction de conduites définies par la religion. Il est probable que le rejet suisse des minarets soit le fruit du racisme et de l’intolérance que supposent certains croyants et laïques. Mais peut-être y a-t-il également une raison plus subtile et délicate, qui mérite d’être prise en compte. Aujourd’hui, de nombreux européens voient les vieilles églises chrétiennes avec un regard totalement dépourvu de foi. Ils les considèrent comme ce qu’elles sont également : de simples édifices culturels. C’est beaucoup plus difficile avec les minarets. A plus forte raison avec tous les vestiges architecturaux musulmans qui restent en Espagne. Dans les minarets, anciens et nouveaux, seule domine, despotique, la religion. Un facteur intrinsèquement négatif pour l’Europe.

DÉBAT

Perte d'identité et peur de l'islam

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

"Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, de nombreux Européens croyaient à leurs rois et reines, agitaient le drapeau, chantaient l'hymne national et apprenaient les épisodes héroïques de leur histoire. Leur pays était leur maison. 'L'identité' n'était pas encore vue comme un problème", affirme l'écrivain et journaliste Ian Buruma dans le Corriere della Sera. "La plupart d'entre nous vit aujourd'hui dans un monde laïque, libéral, désenchanté. Les Européens sont plus libres qu'ils ne l'ont jamais été : les curés ne nous disent plus ce que l'on doit faire ou penser. Mais cette liberté a un prix : l'affranchissement vis-à-vis de la foi n'a pas toujours comporté le bonheur, mais au contraire, il a souvent provoqué la confusion, la crainte, le ressentiment. Les musulmans sont enviés, car ils ont encore une foi, ils savent qui ils sont et ils ont des valeurs pour lesquelles cela vaut la peine de mourir", du moins dans la perception qu'en ont la plupart des Européens. "Les hauts minarets et les visages voilés représentent une menace, car ils remuent le couteau dans la plaie de ceux qui ont souffert la perte de leur foi". Ce que l'on peut espérer, c'est que "les démocraties libérales sortent de cette période de mal-être, qu'elles résistent aux pressions de la démagogie et qu'elles parviennent à contenir les pulsions violentes. Il vaudrait donc mieux qu'il y ait moins de référendums, parce que, contrairement à ce que l'on pense, ils affaiblissent la démocratie, obligeant les responsables à aller dans le sens des sentiments viscéraux des enragés, au lieu de gouverner de façon sensée".

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet