Les Roms s’enfuient vers la “réserve”

De toutes les minorités qui vivent en Ukraine, les roms sont sans doute les moins bien lotis. Beaucoup d’entre eux ont été chassés de leurs campements à la veille de l’Euro 2012 et la plupart vivent dans des taudis en marge des grandes villes, dans la misère et l’indifférence des autorités et des autres habitants. Reportage.

Publié le 5 juillet 2012 à 11:42

À Berehove, ville de Transcarpatie située à la lisière de l’Union européenne [à la frontière de la Hongrie], des centaines de Roms vivent derrière un mur de béton. Dans des baraques en bois et en terre, au milieu d’une indicible misère.

Ici, des familles nombreuses habitent dans des pièces à l’odeur pestilentielle. Les murs moisis et éventrés sont colmatés au moyen de haillons et de cartons. Les plafonds sont troués, le plancher est en terre battue et des morceaux de plastique font office de fenêtres. Cette communauté, selon les organisations des droits de l’Homme ukrainiennes, n’est pour tout le monde qu’une source d’embarras.

Juste avant le début de l’Euro 2012, un campement Rom a été brûlé dans le quartier HLM de Bereznaky, à Kiev. Probablement parce que les habitants avaient construit leurs baraques à proximité des voies de chemin de fer où devaient passer des milliers de supporters.

400 000 Roms vivent en Ukraine

Mais même dans les ghettos fermés, où ils sont “entre eux”, les Roms ukrainiens n’ont pas la vie facile. Ceux qui habitent à Berehove dorment sur des lits superposés, constitués de foin, de cartons et de vieilles guenilles. Dans les cours jonchées d’ordures et d’un invraisemblable bric-à-brac, on fait bouillir une infâme potée à même le sol, dans de grands chaudrons suspendus au-dessus du feu.

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Les chiens errants viennent librement renifler les galettes de pommes de terre étalées sur le sol. On lave le linge dans des eaux souillées. “Mais au moins, ici, personne ne vient s’en prendre à nous”, disent les habitants.

Le seul signe de civilisation, ce sont les téléphones mobiles et les antennes paraboliques sur les toits déchirés.“Nous cuisinons dans une eau sale et puante. Tous les enfants ont la diarrhée. Nous prions pour que soit au moins installée une pompe”, dit Aranka, qui vit dans la “réserve” de Berehove avec ses huit enfants. Les adultes et les enfants sont atteints de dysenterie et de tuberculose.

Les baraques sont envahies par les rats, que les habitants s’efforcent de chasser en envoyant des chats faméliques qu’ils tiennent souvent en laisse. Tous, les jeunes comme les ancêtres, combattent les poux en se teignant les cheveux d’un rouge brillant.

Une vie "derrière le mur"

Selon les statistiques des organisations rom, près de 400 000 Roms vivent en Ukraine. Mais selon Rudolf Papp, conseiller municipal de Berehove, il est même difficile de déterminer le nombre exact d’habitants de ce petit hameau. Car dans leur quête d’une vie meilleure, les familles vont et viennent constamment.

Pour beaucoup d’entre elles, les seules sources de revenus sont les prestations sociales, comme la prime à la naissance, les allocations parentales et les retraites des membres plus âgés de la famille. Mais en Ukraine, beaucoup de Roms ne possèdent pas de documents d’identité. Ils ne peuvent donc pas bénéficier des allocations.

Les Roms ne se plaignent pas de cette vie “derrière le mur”. Selon Papp, le fait que le hameau soit isolé par un mur est une bonne chose, à la fois pour la communauté rom et pour la population locale. Personne ne les contraint à rester là-bas, ils peuvent circuler librement.

*“Nous avons les mêmes droits que les Ukrainiens et les Hongrois. Nos enfants peuvent aller à l’école et les femmes accoucher dans les hôpitaux”***, affirme Papp. Il admet toutefois que rares sont ceux qui profitent de ces avantages.**

Pour lui, le fait que les hommes n’arrivent pas à trouver un travail en raison de leur ethnie est la principale difficulté. Ce sont donc souvent les enfants mendiants et les vieilles femmes qui “travaillent” dans les marchés ou dans les gares qui nourrissent les familles. Une partie des Roms vit du commerce de la drogue. Leurs camps à eux rivalisent de luxe. Ils habitent des maisons crénelées et conduisent des limousines.

Plus de romantisme cinématographique

Pour Vitali Kulik, le directeur du Centre de recherche pour la société civile, l’intégration des Roms dans la société est un problème majeur. “À l’époque soviétique, les autorités essayaient d’agir auprès d’eux en passant par ceux que l’on appelait alors les barons. Mais ces procédures informelles ont échoué et cela a ouvert l’espace à une criminalisation encore plus grande de cette communauté”, explique-t-il.

Selon les défenseurs des droits de l’homme, les Roms en Ukraine constituent une communauté totalement laissée pour compte, dont personne ne se soucie. Comme le dit Volodymyr Batchayev, de l’Observatoire ukrainien des droits de l’homme, cité par Radio Liberty, “c’est un peuple que l’on a oublié. Le gouvernement ne veut pas s’occuper d’eux, parce que la solution qu’il faudrait mettre en œuvre aurait un coût trop élevé. Ils sont considérés comme un groupe ethnique marginal”.

A l’époque soviétique, les autorités ont tenté d’intégrer de force les Roms à la société. Le nomadisme a été interdit, les enfants ont été obligés d’aller à l’école et les hommes ont reçu un travail, principalement dans l’agriculture.

Il y a eu des actions de promotion de la culture rom. Le film du réalisateur moldave Emil Lotianu, Les tsiganes montent au ciel, tourné précisément dans ces villages de la Transcarpatie, est même devenu culte.

Mais le romantisme cinématographique a quitté depuis longtemps déjà les campements rom. C’est la criminalité et la misère qui y règne aujourd’hui. Comme dans les autres pays européens, la société ukrainienne méprise les Roms. Aujourd’hui, seuls les groupes de musique traditionnels tsiganes qui jouent dans les restaurants attirent la sympathie.

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