Décryptage Liberté de la presse

Les médias coopératifs : indépendants, transparents et démocratiques

Les médias coopératifs, fondés sur une gouvernance démocratique, marquent une rupture dans l’industrie de la presse. Portant l’accent sur l’utilité publique plutôt que sur le profit, ces entreprises, propriété de leurs employés et lecteurs, mettent l’indépendance et l’implication directe du public au premier plan de leur politique éditoriale.

Publié le 13 décembre 2023

Premier média à être géré par une Société coopérative européenne (SCE), Voxeurop a d’emblée souhaité établir une gouvernance démocratique au centre de sa démarche éditoriale et économique. Dans une coopérative, chaque sociétaire n’a le droit qu’à une voix au sein de l’Assemblée générale, indépendamment de la part de capital qu’il ou elle détient. Le statut coopératif garantit également aux salariés d’être propriétaires du média pour lequel ils travaillent et leur assure une majorité de contrôle. Pour Voxeurop comme pour les autres médias coopératifs, le but de l’entreprise n’est pas de générer du profit, mais de répondre à un devoir d’utilité publique : celui d’informer. 

L’idée que les salariés détiennent une partie du capital de leur entreprise remonte au XVIIIème siècle. Les premières coopératives de l’époque représentaient pour les salariés un moyen d’assurer le contrôle de la richesse produite. Les travailleurs, dans l’impossibilité légale de former des corps de métiers, pouvaient ainsi influer sur leurs conditions de travail. 

Depuis, de nombreuses coopératives, y compris de presse, ont émergé. Le taz allemand en est un bon exemple. En 1977, un groupe de militants et d’étudiants s’inspire du modèle de Libération et fonde le Tageszeitung en s’appuyant sur des campagnes de dons. En 1992, des difficultés financières grandissantes contraignent les fondateurs à changer de modèle. Ils optent alors pour la coopérative, avec l’ambition de se reposer sur leurs lecteurs plutôt que de trouver un actionnaire prêt à les financer. Le journal gagne en sociétaires et en circulation avec les années : aujourd’hui, le quotidien papier affiche une circulation de 50 000 exemplaires par mois, la marque du taz est largement reconnue et la coopérative compte à ce jour près de 23 000 sociétaires. 

Le taz n’est qu’un exemple parmi d’autres : le mensuel français Alternatives Economiques s’est également constitué en une coopérative, tout comme le Bristol Cable britannique ou encore ElDiario.es en Espagne. Ces publications traitent de sujets variés à des échelles très différentes mais se retrouvent toutes dans cette manière de fonctionner. 

Le média espagnol ElDiario.es se porte garant d’une ligne éditoriale alternative et d’une véritable indépendance acquise grâce aux contributions de ses sociétaires. Lors d’une séance de question-réponses de lecteurs d’ElDiario.es, le directeur, Ignacio Escolar, commente : “​​Sans hésiter, je préfère mille fois dépendre de centaines et de milliers de sociétaires, de personnes qui font des réclamations, se plaignent, qui nous disent ‘j’aime bien ça, mais pas ça’; je préfère mille fois ce type-là de pression de la part de nos lecteurs plutôt que de dépendre d’une douzaine de sociétés publicitaires”. Selon lui, les contributions des lecteurs se sont révélées salutaires face aux difficultés financières auxquelles le média s’est heurté, le modèle coopératif restant relativement précaire. 

Les dons et subventions constituent des flux de revenus qui ne se révèlent pas toujours fiables dans la durée et la recherche de financements par les lecteurs est très chronophage. Lorsqu’un investissement de taille s’impose, le terrain devient rapidement glissant pour des entreprises qui ne font pas de profit et ne disposent donc pas de réserves financières conséquentes. De plus, la mise en place même d’une société de presse coopérative peut s’avérer semée d’embuches. Ce statut encore relativement méconnu requiert par conséquent un engagement important et une charge de travail supplémentaire de la part des fondateurs. 

Pourtant, les sociétés coopératives sont bien les entreprises qui aménagent le plus d’espaces d’écoute. Salariés co-propriétaires et lecteurs sociétaires peuvent influer sur la ligne éditoriale ou sur l’organisation du travail : dans un contexte de crise de confiance vis-à-vis de la presse, la société coopérative incarne une initiative rassurante et à contre-courant de l’élitisme et de l’opacité dont font preuve certaines rédactions plus classiques. Et si le modèle économique de la coopérative peut être précaire, ces nouvelles manières de générer des recettes constituent une alternative au siphonnage des revenus publicitaires par les plateformes de contenu. 

Pour être en mesure d’assumer pleinement son rôle de pilier démocratique, il est essentiel que la presse demeure libre et indépendante. Les sociétés coopératives garantissent cette liberté de manière pérenne, permettent une plus grande implication des lecteurs et luttent, à leur manière, pour redonner au public de bonnes raisons de faire confiance aux médias.

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