La plage de Sperlonga (Italie), en 2012.

Moins de vacances pour plus de croissance ?

Pour surmonter la crise, de nombreux pays européens envisagent plus ou moins sérieusement de réduire les congés payés. Une idée alléchante, mais qui s’avèrerait contre-productive.

Publié le 5 août 2013 à 15:47
La plage de Sperlonga (Italie), en 2012.

En plein été, le gouvernement français décide de supprimer les vacances du mois d’août et d’avancer la rentrée d’un mois pour remplir les caisses de l’Etat. C’est le scénario du récent film d’Antonin Peretjatko, “La Fille du 14 juillet”.

Il y a peu de chances pour que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ou n’importe quel autre gouvernement, prenne une décision aussi soudaine et drastique. Mais l’idée de réduire les vacances pour favoriser l’économie n’est pas l’apanage des scénaristes de cinéma.

En 2010, deux fédérations représentant les PME allemandes ont proposé de réduire d’une voire deux semaines le nombre légal de congés payés “pour préserver la reprise” économique. Plus récemment, le secrétaire d’Etat italien à l’Economie a proposé de réduire les congés d’une semaine pour sortir son pays de la récession, affirmant qu’une telle mesure entraînerait “un impact immédiat d’environ un point sur le PIB”.

L’idée ne vient pas toujours d’en haut: en mars 2012, les électeurs suisses ont rejeté à 66,5% un référendum fédéral issu d’une initiative populaire qui proposait d’instaurer deux semaines de congés payés supplémentaires, craignant les conséquences néfastes sur l’économie.

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Des bénéfices théoriques

Avec la crise économique que connaît l’Europe, les pays européens cherchent à gagner en compétitivité en réduisant leurs coûts de production, et notamment le coût du travail. Pour atteindre cet objectif, ils peuvent par exemple réduire les salaires, comme l’a fait l’Espagne en 2010. Une politique pour le moins impopulaire et qui comporte des risques importants.

Réduire les congés payés est théoriquement une autre solution. On peut même calculer les effets théoriques d’une telle mesure. "On estime qu’un jour ouvré en plus apporte entre 0,07 et  0,08 point de croissance supplémentaire, précise Ronan Mahieu, chef du département des comptes nationaux à l’Institut national de la statistiques et des études économiques (Insee). L’effet sur la croissance annuelle reste assez faible." Faible mais réel.

Malgré ces bénéfices théoriques de jours de travail supplémentaires, tous les pays de l’Union européenne offrent au moins 20 jours de congés payés à leurs travailleurs. [[Outre Atlantique, beaucoup estiment que les 20 à 30 jours de congés payés octroyés par les pays européens sont une aberration économique]] au même titre que d’autres avantages sociaux trop généreux.

Un salarié heureux est plus productif

Pourtant, l’impact négatif des congés payés sur l’économie n’a jamais été prouvé, et certains soutiennent même le contraire. “D’un point de vue théorique, plus un travailleur a de vacances, plus il est heureux et plus sa productivité au travail augmentera, explique Francesco Vona, économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques. Il y a aussi une explication cognitive: notre capacité de concentration est limitée et notre créativité est liée à notre capacité à voir les choses de l’extérieur, ce qui est difficile à faire quand on travaille trop.”

Mais attention, en accordant trop de congés payés, on risque aussi de faire augmenter la cadence de travail dans des secteurs comme l’industrie pour compenser la perte de temps de travail effectif des salariés. Or une cadence trop intense peut avoir les mêmes effets néfastes sur la santé (stress, fatigue, maladies) qu’un manque de vacances.

De manière générale, plus un pays est riche, plus son nombre d’heures travaillées par an est faible, mais cela ne veut pas forcément dire que la manière pour un pays de s’enrichir rapidement est de réduire le nombre d’heures travaillées, en réduisant le temps de travail par exemple. La Corée du Sud et le Mexique, qui travaillent encore plus d’heures annuelles que la Grèce, ont une croissance bien plus élevée que la France.

Pour une approche plus flexible

Il y a de bonnes raisons de penser que plus de vacances entraîne une hausse de productivité des travailleurs, mais ce qui intéresse un pays est avant tout la croissance économique, à savoir la production de richesse supplémentaire par rapport à la période précédente. Or, l’idée que des vacances supplémentaires puissent améliorer la production totale sur une année et donc créer de la croissance est beaucoup moins évidente: si c’était le cas, la meilleure manière de maximiser la production serait de n’avoir que des congés payés tout au long de l’année.

“Calculer l’impact réel d’un jour de congé en plus ou en moins sur l’économie est très difficile” résume Ronan Mahieu de l’Insee, qui rappelle que tous les travailleurs ne prennent pas tous les congés auxquels ils ont le droit.

[[Existe-t-il un nombre idéal de congés payés pour l’économie? Sans doute pas]], d’autant plus qu’un nombre légal minimum de jours de congés ne correspond pas aux jours de congés effectivement pris par les travailleurs, entre ceux qui ne prennent pas toutes leurs vacances et ceux qui travaillent dans des secteurs ou des entreprises qui proposent le double du minimum.

La solution réside peut-être dans une approche beaucoup plus flexible des congés et plus généralement du temps de travail.Ou encore imaginer un avenir avec un nombre de vacances illimité, comme les entreprises IBM ou Netflix. Le principe? Laisser ses employés prendre autant de vacances qu’ils veulent tant que le travail est fait en temps voulu. Une méthode qui semble porter ses fruits.

Vu de Grande-Bretagne

Contre le sacro-saint congé

The Economist estime que “les congés payés en Europe demeurent tout simplement sacrés”. Le quotidien observe que “cela est vrai, que l’on parle des pays anglo-saxons et germaniques ou des pays latins”.

Pour l'hebdomadaire, une plus grande productivité n’est pas forcément liée à une augmentation du nombre d’heures travaillées. Il souligne ainsi que, lors de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’heures travaillées - qui pouvait atteindre 100 heures par semaine -, a été diminué, ce qui a stimulé la production.

Les projets visant à réduire le nombre de congés n’ont pas eu beaucoup de succès, raconte le quotidien :

Quand l’Italie a essayé de déplacer certains jours fériés placés en milieu de semaine, les croyants à Naples ont déclaré que le miracle de San Gennaro - le saint patron dont on dit que son sang se liquéfie le 19 septembre - ne peut pas être décalé par un décret bureaucratique. Même les patrons ne sont pas enthousiastes à l’idée de faire travailler davantage leurs employés. Business Europe, la fédération patronale, a déclaré ne pas avoir discuté d’une réduction des congés payés. La présidente de l’organisation, Emma Marcegaglia, n’était pas disponible pour en parler. Elle était en vacances.

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