Actualité Partenariat oriental

Non, l’UE n’a pas perdu la bataille

L’UE a peut-être perdu l’Ukraine pour l’instant, mais en transformant la signature de l’accord d’association en guerre diplomatique la Russie a fourni à l’Europe un avantage moral et, à terme, a consolidé son influence dans la région.

Publié le 28 novembre 2013 à 12:48

La décision que vient de prendre l’Ukraine ne pas signer l’accord d’association ambitieux que lui proposait l’Union européenne doit-elle être vue comme un échec de la politique étrangère européenne ? Même si certains se désolent de la nouvelle à Bruxelles, ce qui se conçoit, il convient pourtant de répondre à cette question d’un "non" franc et massif. S’il est vrai que le sommet qui se tient cette semaine à Vilnius sur le Partenariat oriental ne débouchera pas sur l'intégration triomphante de l’Ukraine dans la Politique européenne de voisinage, ces six mois de bras de fer diplomatiques ont été particulièrement profitables aux Européens.

Pour commencer, le doute est désormais levé. Plus personne n’a d’illusion sur la nature de la partie d’échec qui se joue à la périphérie orientale de l’UE. En appliquant ici sa propre logique, plutôt limitée, qui veut que ce qui est gagné par les uns est nécessairement perdu par les autres, la Russie a réussi à faire du projet technocratique de coopération qu’était originellement le Partenariat oriental un affrontement géopolitique.

Relever le défi

Pas plus tard qu'il y a quelques jours, des hauts responsables européens ont refusé de voir la bataille pour l’Ukraine sous cet angle, soutenant avec force que la signature d’un accord d’association avec l’UE ne constituerait pas une défaite pour le Kremlin, mais que toutes les parties en tireraient des bénéfices à long terme. Ces hauts responsables ont évidemment raison. Pourtant, ce n’est pas la tournure que prend la partie aujourd’hui, et l’UE n’avait d’autre choix que de finir par le reconnaître. Il lui fallait montrer les muscles, elle l’a donc fait.

Et c’est la deuxième raison pour laquelle l’issue de ce face-à-face n’est pas une défaite pour l’UE. Pour la première fois depuis le lancement du Partenariat oriental en 2009, [[l’UE ne s’est pas dérobée, mais a décidé de relever le défi. Elle a tenu bon, défendant le droit de l’Ukraine d’exercer sa souveraineté et de prendre sa propre décision face au chantage politique manifeste imposé par la Russie]] aux dirigeants de Kiev. Si elle a perdu son duel lorsque le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a cédé à la pression russe, l’UE y gagné quelque chose de bien plus important : du sang-froid, le refus du compromis.

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La clé de cette intransigeance européenne fut un engagement étonnamment ferme de l’Allemagne sur ce dossier. Grâce à la décision de Berlin de se rallier à une position de principe sur le Partenariat oriental, ce projet qui n’était au départ qu’une marotte des Etats membres de l’est et du nord de l’Union s’est transformé en une entreprise pan-européenne. Finalement, le soutien de l’Allemagne n’aura pas été suffisant pour aboutir au résultat souhaité. Mais, encore une fois, l’UE en a tiré un profit bien plus important : l’Allemagne a pris les rênes de la politique étrangère sur un dossier ô combien épineux, puisqu’il impliquait de tenir tête à la Russie.

Il a été dit que l’UE avait commis deux erreurs fatales. Premièrement, elle n’aurait pas dû rentrer dans le jeu de la Russie en déclarant que l’Ukraine avait à choisir entre l’accord européen et l’union douanière pilotée par Moscou. En poussant Kiev à faire un choix difficile, l’UE se tirait une balle dans le pied. Deuxièmement, l’Union n’aurait pas dû associer la signature de l’accord à la libération de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko, l’ennemie jurée de Ianoukovitch. Mais, au bout de compte, les véritables motifs de la décision de l’Ukraine sont étroitement liés à la politique intérieure du pays. L’élite politique ukrainienne, qui est parvenue pendant des années à trouver la juste distance politique entre la Russie et l’Occident, a décrété que l’heure n’était pas encore venue d’abandonner ce modèle. Les oligarques qui soutiennent Ianoukovitch redoutent qu’un rapprochement de Bruxelles ou de Moscou ne mette en péril leur modèle commercial, lequel consiste essentiellement à s’enrichir en conservant le monopole du pouvoir dans un climat politique incertain. Ajoutez cela à l’odieux chantage politique de Moscou, et vous avez une situation dans laquelle il est plus alléchant de s’en tenir au statu quo que d’aller s’aventurer dans les bras de l’Union européenne.

Chantage et coercition

Rien n’est encore perdu pour l’UE. Cet épisode fut non seulement une salutaire confrontation avec la réalité, mais également une excellente mise à l’épreuve de l’unité de l’UE, dont celle-ci est sortie indemne. Par ailleurs, la Russie a révélé au reste de la planète que la seule manière pour elle d’engranger des succès dans la région n’était pas de faire des propositions attrayantes mais de se livrer au chantage et à la coercition.

Et, plus important peut-être, si l’UE reste ferme et unie, le temps joue pour elle. A terme, même les oligarques ukrainiens s'appercevront qu’il est plus facile de rester riche et de mener la belle vie en s’alliant avec l’Occident qu’avec la Russie.

Tout dépend désormais de deux choses. Tout d’abord, l’UE doit laisser la porte ouverte et ne pas abandonner l’Ukraine à son sort. Les premières réactions de Bruxelles et d’ailleurs sont encourageantes à cet égard. Ensuite, l’UE doit faire son travail et préserver l’attractivité économique et politique de son modèle d’intégration et de marché. Si elle y parvient, il y a fort à parier qu’elle sortira gagnante de la bataille géopolitique pour l’Europe de l’Est à long terme.
Enfin, il n’est pas impossible que les décideurs russes se rendent compte à leur tour qu’une telle issue est la meilleure chose qui puisse leur arriver, à eux aussi. La partie d’échec pour l’Europe de l’Est n’est pas perdue. Elle ne fait que commencer.

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