Idées 50 ans des Accords d’Helsinki

Les crimes de guerre russes en Ukraine : le test ultime pour le droit international

Cinquante ans après les accords d'Helsinki qui l'ont créée, l'OSCE ne parvient pas à protéger son propre personnel chargé d'observer la guerre en Ukraine. L'agression et les crimes de guerre de la Russie montrent cruellement les limites du droit international et le délitement des institutions chargées de le garantir.

Publié le 29 juillet 2025

Au printemps 2022, trois employés de la Mission spéciale d'observation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Ukraine – Dmytro Shabanov, Maksym Petrov et Vadym Golda – ont été arrêtés et détenus par les forces prorusses dans les régions occupées de Louhansk et Donetsk.

Avant cela, le 24 février – premier jour de l’invasion de l'Ukraine par la Russie –, l'OSCE avait brusquement mis fin à sa mission, précisément au moment où la présence d'observateurs sur le terrain était la plus cruciale. L'organisation avait par la suite déclaré avoir évacué son personnel d'Ukraine, mais en réalité, des employés nationaux avaient été laissés sur place.

Les ressortissants ukrainiens Dmytro Shabanov et Maxime Petrov travaillaient dans le territoire occupé de la région de Louhansk depuis les débuts de l'occupation russe en 2014, l'un comme assistant de sécurité, l'autre comme traducteur. Tous deux étaient en possession de certificats et de titres d'immunité officiels de l'OSCE les identifiant comme représentants d'une mission d'observation internationale.

En septembre 2022, Petrov et Shabanov ont été condamnés à 13 ans de prison pour “trahison” et “espionnage au profit des services secrets américains” par un tribunal de Louhansk. En juillet 2024, Vadym Golda a été condamné à 14 ans de prison à Donetsk. Toutes ces peines ont été prononcées par des tribunaux illégitimes dans des “républiques séparatistes” autoproclamées. Début 2025, leurs dossiers ont été alignés sur le droit pénal russe, suite à la proclamation par le Kremlin de l'annexion, quelques années plus tôt, de quatre régions ukrainiennes partiellement occupées.

Les trois hommes ont été déportés vers des colonies pénitentiaires isolées et hautement sécurisées, situées au cœur de la Russie, où règnent des conditions difficiles et un isolement extrême. Dans ces colonies, les gens disparaissent – juridiquement, physiquement et psychologiquement. Selon des informations que nous avons pu recueillir, la santé de Maksym Petrov se détériore rapidement, mais sa famille a peu de chances de lui faire parvenir des médicaments depuis Louhansk jusqu'à l'Oural russe.

Le droit international face à Boutcha

Cette année 2025 marque le cinquantième anniversaire de l'Acte final d'Helsinki, un moment déterminant dans l'histoire de l'OSCE. Cette année, la Finlande préside cette organisation qui, au fil des ans, a connu des moments forts, mais aussi des instants d'insignifiance. Du côté positif, elle est aujourd'hui l'une des rares institutions encore engagées dans la surveillance des droits humains en Asie centrale. Mais en 2025, le maintien en détention du personnel ukrainien de l'OSCE révèle également quelque chose de profondément troublant sur l'état du droit international : les institutions censées le garantir ne sont même pas capables de protéger leur propre personnel.

L'OSCE et le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme ont publié des déclarations officielles exprimant leur “inquiétude” face à ces détentions. Inquiétude ? Clairement, ce n'est pas assez.


“Le principal défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas une idéologie rivale, mais plutôt un cynisme omniprésent. La banalisation des atrocités


Les défenseurs des droits humains et les journalistes ukrainiens ont passé plus d'une décennie à documenter les violences politiques commises par la Russie. Au départ, leur travail faisait écho à l'héritage moral des Accords d'Helsinki, qui exhortaient les régimes autoritaires à respecter la dignité humaine. Mais entre-temps, ils se sont progressivement convaincus qu'il n'existait qu'un seul moyen de protéger les populations des territoires occupés : la libération par la force. Après le retrait des troupes russes de Boutcha, Kherson et Izioum, les persécutions contre les populations locales ont cessé. De nombreux Ukrainiens sont arrivés à une conclusion douloureuse : le droit international ne peut pas mettre fin aux atrocités. Il ne peut pas sauver des vies.

Depuis des années, des institutions telles que l'OSCE semblent vides de sens. Certains commentateurs sont même tentés d'envisager de les abandonner complètement. L'apparence d'un acte – une déclaration, une résolution – crée l'illusion dangereuse que quelque chose est fait alors qu'il ne se passe rien. Pour nous, Ukrainiens, qui vivons dans une réalité aggravée, tout ce qui nous entoure est automatiquement soumis à un test de réalité, en particulier nos valeurs et nos idéaux.

Les violations des droits humains, à nouveau sujet de conversation

Mais nous devons également tenir compte d'un autre changement récent dans la réalité politique. Auparavant, la lutte contre l'hypocrisie était l'apanage des idéalistes. Il fut un temps où les autocrates prétendaient respecter les règles internationales. Aujourd'hui, ils se vantent de les enfreindre. Au lieu de cacher leurs méfaits, ils en commettent tellement qu'il est difficile de ne pas être submergé par l'ampleur des atrocités, ce qui entraîne un sentiment d'impuissance.

Dans le contexte des crimes de guerre russes en Ukraine, la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, pour la déportation et le transfert illégaux d'enfants ukrainiens, dont il s'est ouvertement vanté à la télévision russe. Avec la rhétorique de Donald Trump, le discours international a encore glissé en ce sens, comme lorsque celui-ci a déclaré qu’il “n'excluait pas de s'emparer du Groenland”. Le président américain et les responsables israéliens discutent ouvertement de la déportation des Palestiniens, qui sont actuellement affamés à Gaza. Ce discours n'est plus le fait d'une frange conspirationniste, il est désormais majoritaire.

La question n'est donc peut-être pas de savoir si les institutions sont hypocrites, mais si l'hypocrisie n'est pas préférable à la normalisation d'un mépris flagrant du droit. Au moins, l'hypocrisie prétend que quelque chose a de l'importance.

L'année dernière, j'ai eu l'occasion de présenter aux étudiants d'une université mexicaine des documentaires réalisés dans le cadre du Reckoning Project, une initiative lancée par des journalistes, des avocats et des chercheurs ukrainiens et internationaux pour documenter les violations des droits humains en Ukraine. Habituellement, lors de mes conférences et discours publics, je cite le nombre officiel de crimes de guerre présumés enregistrés par le bureau du procureur général de l'Ukraine. À l'époque, ce nombre était de 130 000, alors qu'il atteint aujourd'hui [fin mai 2025] 167 000.

Mais juste avant ma présentation, j'ai appris que plus de 111 000 personnes étaient officiellement portées disparues au Mexique. Que signifient ces chiffres ukrainiens pour le public mexicain ? Un collègue mexicain m'a aidé à répondre à cette question : “Nous ne devons pas banaliser cela. En Ukraine, malgré les attaques quotidiennes dont votre pays est victime, vous documentez les violations. Il n'y a pas de guerre au Mexique, et pourtant, beaucoup ont même cessé de porter plainte”.


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Le principal défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui n'est pas une idéologie rivale, mais plutôt un cynisme omniprésent. La banalisation des atrocités. Les régimes autoritaires propagent activement l'idée que rien n'a vraiment d'importance, que les individus sont impuissants et que l'action collective est vaine. Ce faisant, ils cherchent à délégitimer les institutions internationales, décrivant l'architecture de sécurité mondiale comme intrinsèquement défaillante. À certains égards, ils n'ont pas tout à fait tort. Mais devons-nous l'accepter ?

L'invasion non provoquée de l'Ukraine par la Russie a mis en évidence les limites du droit international et démontré l'insuffisance des garanties de sécurité fondées uniquement sur des traités multilatéraux. Ils doivent être soutenus par la force. La confiance dans ces mécanismes s'est considérablement affaiblie et, à l'avenir, les Etats se tourneront très probablement vers des arrangements de sécurité plus concrets et ancrés au niveau régional. Pourtant, malgré ces imperfections, miser sur le démantèlement des institutions existantes n'est pas une solution. La dissolution de l'USAID montre à quel point il est facile de détruire des institutions. Il sera beaucoup plus difficile d'en construire de nouvelles.

The arrest of Maksym Petrov. Photo provided by Realna Gazeta.
L'arrestation de Maximem Petrov. | Photo fournie par Realna Gazeta.

Dans une récente interview, Mykhaïlo Vershinin, ancien prisonnier de guerre ukrainien et chef de la police municipale de Marioupol, qui a passé 123 jours en captivité en Russie et a été brutalement torturé, a déclaré : “Je serais un homme heureux si les Conventions de Genève étaient appliquées à au moins 10 %”. Une déclaration à la fois accablante et éclairante, non pas parce qu'elle dénonce l'échec des règles, mais parce qu'elle nous rappelle ce que leur absence totale signifierait.

Ainsi, au lieu de renoncer complètement à l'ordre, nous devrions faire tout ce qui est nécessaire pour revenir à un système international fondé sur des règles.

Nous devons accepter qu'aujourd'hui, même les meilleures actions ne sont pas motivées par des visions utopiques, mais par la nécessité d'empêcher que quelque chose de pire ne se produise. Ce n'est pas suffisant pour tenir dans la durée : lutter contre quelque chose nous permet seulement de tenir à court terme. Mais pour survivre à ce marathon, nous devons lutter pour quelque chose.

La guerre a rendu les Ukrainiens pragmatiques. Lorsque la tâche semble trop grande et insurmontable, au lieu de fuir ou de rester tétanisés, nous commençons par ce qui est à notre portée.

Avant de débattre d'un nouvel ordre mondial ou d'une réforme des institutions, pouvons-nous donc commencer par quelque chose de concret ? L'OSCE peut-elle, par exemple, faire libérer ses employés emprisonnés en Sibérie ?

C'est peut-être là que réside le test ultime. Tout en travaillant comme traducteur pour la mission spéciale d'observation de l'OSCE dans la région de Louhansk, Maxime Petrov étudiait également le droit international. Après tout ce qui lui est arrivé, il serait probablement le mieux placé pour nous dire si ce qu'il a appris a encore une valeur aujourd'hui.

Cet essai est basé sur l'intervention de Nataliya Gumenyuk lors du débat d'Helsinki sur l'Europe, en mai 2025. Il est publié en partenariat avec Debates on Europe

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