Idées Taxe sur les Transactions financières

L’Europe est-elle prête (enfin) à taxer la spéculation ?

18 jours sans manger pour une Europe plus solidaire. C’est l’engagement personnel inédit qu’a tenu Pierre Larrouturrou, en faveur d’une Europe qui agit pour le climat, l’emploi et la santé. Pour le Rapporteur général du budget européen, un acte aussi symbolique qu’une grève de la faim était indispensable pour alerter l’opinion publique sur l’urgence de la mise en place d’outils budgétaires efficaces à l’échelle de l’Union européenne, comme la Taxe sur les Transactions financières ou TTF.

Publié le 15 décembre 2020 à 15:00

Déjà persuadé du bon sens et de l’efficacité de l’échelle européenne pour répondre aux enjeux climatiques, l’année 2020 est un moment crucial selon l’eurodéputé français. En effet, alors que l’Europe traverse une crise sanitaire, sociale et économique sans précédent, il apparaît urgent et nécessaire de se poser la question du financement de ces problèmes globaux. Un tournant d’autant plus important que se négocie en ce moment le cadre financier pluriannuel de l’Union, pour les 7 prochaines années.

L’idée d’une TTF (Taxe sur les Transactions financières) en Europe n’est pourtant pas nouvelle. Dès 2011, la Commission Barroso a produit une proposition de directive en faveur de sa mise en place, permettant à l’Union de collecter jusqu’à 81 milliards d'euros par an avec un taux entre 0,01 % et 0,1 % sur les transactions financières. Si le Brexit entraîne une perte de 30 % de l’assiette, le rapport du Parlement européen sur le financement du Green Deal de 2020 affirme qu’une telle taxe permettrait de rapporter jusqu’à 57 milliards par an. Un taxe alors prometteuse, mais qui peine pourtant à convaincre.

Une controverse théorique

Taxer la spéculation, une solution éthique qui revient régulièrement dans les débats économiques, notamment au moment des grandes crises financières. L’idée a initialement été lancée par James Tobin en 1972, pour taxer les opérations de change et ainsi éviter les mouvements spéculatifs sur les monnaies. Si aujourd’hui la proposition de taxe vise les actions et obligations (à 0,1 %) et les transactions sur les produits dérivés et trading à haute fréquence (à 0,01 %), la philosophie reste inchangée : faire porter le coût du risque de crise systémique sur les spéculateurs. Sur cette question cependant, Pierre Larrouturrou affiche une position plus pragmatique : l’objectif n’est pas ici de canaliser la frénésie des marchés mais de chercher l’argent là où il se trouve, de la façon la plus juste possible pour répondre aux grands enjeux de notre siècle.

L’implantation d’une taxe à l’échelle de l’Union marquerait un profond renforcement de la gouvernance européenne et apparaît comme un instrument innovant pour le financement de la transition écologique et des aides face à l’urgence sanitaire. Le problème réside alors dans la capacité des Etats membres à coopérer ensemble, à s’accorder sur les transactions à cibler et le taux à appliquer.  

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Une dizaine de pays dont le Danemark, la Pologne, le Portugal, ou la Belgique semblent prêts à s’engager en faveur d’une taxe faible mais appliquée à l’ensemble des transactions financières, couvrant ainsi une majeure partie du volume financier total. La principale vertu de cette proposition est l’efficacité dans sa capacité de recouvrement et, dans une moindre mesure, le caractère “pigouvien” de la taxe. En effet, le surcoût engendré par la taxe à chaque transaction peut avoir un effet dissuasif sur les spéculateurs, et ainsi les inciter à abandonner les comportements à risques pour l’économie réelle. La réussite d’une telle formule supposerait cependant la mise en place d’une coopération régionale renforcée afin que les flux ne soient pas détournés vers d’autres centres financiers.

Or face à cette proposition, la France s’oppose et bloque les  négociations institutionnelles. Une taxe sur les transactions financières, oui, mais pas sur l’ensemble des transactions. La France souhaite en réalité étendre la taxe sur les transactions financières en vigueur au sein du pays depuis 2012. Cette formule prévoit de ne taxer que les grands groupes, à 0,3 %. La philosophie adoptée est alors différente, l’objectif serait ici de taxer ceux qui possèdent le plus. Au risque de voir les échanges se faire ailleurs, le poids de la taxe serait moins répercuté sur les consommateurs finaux et les petits investisseurs… mais aussi sur le trading à haute fréquence.

L’objectif n’est pas ici de canaliser la frénésie des marchés mais de chercher l’argent là où il se trouve, de la façon la plus juste possible pour répondre aux grands enjeux de notre siècle.

Pierre Larrouturrou

Entre ces deux positions vigoureusement défendues, se pose nécessairement la question de l’efficacité. Selon le ministre des finances Autrichien, Gernot Blümel, la proposition de la France n’est pas assez ambitieuse. Taxer plus fort mais moins de transactions ne permet pas de recouvrir une recette suffisante car 99 % des transactions seraient exonérées. Devant ce constat, la France et ses dirigeants sont accusés de faire passer les intérêts de la finance avant ceux du climat, de la santé et de l’emploi.

Nécessaire pour le financement du budget de l’UE

Si les Etats membres peinent à trouver un terrain d’entente sur les conditions de la taxe, l’argumentaire sur la nécessité de sa mise en place semble en revanche solide. Telle que présentée et défendue par Pierre Larrouturrou, l’adoption de la TTF paraît incontournable pour que l’UE réponde à ses engagements ambitieux en faveur du climat. Selon les conclusions du Conseil européen du 10 et 11 décembre, l’UE s’engage à réduire ses émissions de CO² de 55 % d’ici 2030. Un accord entre les 27 considéré comme historique pour les défenseurs du climat, entérinant la volonté de l’Union de s’inscrire dans des politiques plus respectueuses de l’environnement. Mais qui payera pour ces changements nécessaires ? Face à ces enjeux qui dépassent l’échelle nationale, la question des ressources propres du budget de l’Union revient dans le débat.

Pour rappel, en 2019, le budget de l’Union européenne représentait environ 1 % de la richesse produite par les pays membres de l’Union sur la même année. Malgré l’évident consensus autour de la faiblesse du budget, les réticences nationales s’élèvent à l’idée de contribuer davantage à celui-ci. Les contributions des Etats membres représentaient 72 % du budget de 2019.

L’avantage de la mise en place d'outils comme la TTF est que les recettes dégagées par celle-ci ne reposent pas sur une contribution directe des citoyens européens.Par ailleurs, telle que la propose le Rapport général du budget européen, les recettes de la TTF pourraient être employées pour rembourser la part que doit chaque Etat membre à l’UE dans le cadre de la dette commune issue du Plan de relance européen. En contrepartie, chaque Etat devrait s’engager à investir une somme équivalente en faveur du climat, de la santé et de l’emploi, au sein de son propre pays.

Plusieurs vitesses pour avancer

Si le projet de TTF a été envisagé dès 2011, sa mise en place n’a jamais été sérieusement envisagée. A l’image des récents blocages polonais et hongrois pour le vote cadre pluriannuel du budget, la règle de l’unanimité paralyse souvent l’Europe dans ses décisions les plus innovantes. La lourdeur de ces procédures institutionnelles semble peu adaptée pour répondre à l’urgence climatique reconnue par l’Union elle-même.

A ce titre, une nouvelle proposition de directive pour la mise en place d’une TTF dans le cadre d’une coopération renforcée, a été déposée en 2013. Cette procédure permet à un minimum de neuf Etats membres d’établir une règle d’intégration supplémentaire, sans que la participation des autres Etats membres y soit nécessaire. Les pays pionniers seraient alors en mesure de mettre en place cet outil, tout en laissant l’opportunité aux autres Etats de les rejoindre plus tard.

Le Parlement européen a approuvé à 68 % cette mesure et la Commission européenne s’est engagée à faire de cette taxe une nouvelle ressource européenne, si les Etats pionniers parviennent à trouver un accord en coopération renforcée d’ici fin 2022. Avec tous les espoirs qu’apporte la levée de ces verrous institutionnels, il est important que les Etats prêts à avancer soient enclins à réaliser des compromis, sans plus attendre.


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