Voxeurop: vous codirigez le Laboratoire mondial des inégalités. Quel impact la pandémie va-t-elle avoir justement sur les inégalités ?
Thomas Piketty: La pandémie va accroître les inégalités et même si on n’a pas toutes les données, on voit déjà que les bas revenus, les salariés précaires ont subi des pertes de revenus très importantes, alors qu’à l’inverse, les plus hauts revenus ont réduit leur consommation et ont donc augmenté leur capacité d’épargne. Les inégalités de patrimoine seront donc encore reparties à la hausse.
En soi, la libre circulation de l’investissement et des biens et services n’est pas une mauvaise chose. Mais à condition que l’on ait automatiquement un système de règles communes, en particulier un système de régulation commune et d’imposition des revenus de capitaux et des bénéfices des entreprises. L’erreur a été d’aller sur des traités de libre circulation des capitaux sans que rien n’ait été prévu pour échanger les informations et avoir une règle fiscale juste vis-à-vis de tous ceux qui ne peuvent pas se déplacer et fuir comme ça leurs obligations. Sinon, on construit une machine où seuls les acteurs économiques les plus mobiles, les plus puissants peuvent échapper à l’impôt en appuyant sur un bouton après s’être enrichis, et déplacer les actifs et les richesses accumulées dans une autre juridiction, en ayant quand même utilisé les infrastructures d’un pays, son système de santé, etc.
C’est vraiment une machine à faire détester l’Europe et plus généralement la mondialisation par les groupes sociaux les moins mobiles, les classes populaires et les classes moyennes inférieures. En tant qu’européen et social-fédéraliste, cela m’attriste terriblement de voir, enquête d’opinion après enquête d’opinion, référendum après référendum, que ce sont les classes populaires qui manifestent le plus fort scepticisme.
Les conséquences politiques sont terribles. L’idée selon laquelle c’est uniquement la folie des Britanniques qui les a conduits au Brexit me paraît illusoire. Le système institutionnel européen a été conçu au départ pour organiser simplement une zone de libre-échange pour les biens et services. Il n’y avait pas vraiment besoin de budget, de fiscalité. On pensait donc qu’on n’avait pas vraiment besoin d’aller plus loin en termes d’intégration politique, notamment d’une prise de décision d’une règle à la majorité.
Par rapport à ce que vous développez dans vos deux derniers ouvrages, Capital et idéologie et Vivement le socialisme, comment analysez-vous les promesses d’égalité non tenues par les partis sociaux-démocrates ?
Cela nous ramène aussi à la question européenne. Une des limites des partis sociaux-démocrates allemands, français, suédois, etc. est qu’ils ont réussi à construire des années 1950 jusqu’aux années 1980-90 des Etats-providence, des systèmes d’accès à la santé, à retraite, à l’éducation qui sont parmi les plus réussis dans le monde et qui restent extrêmement solides, mais qui se sont heurtés depuis les années 80-90 à une absence de vision internationale sortant de l’Etat-nation.
Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.
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