Idées Médias et changement climatique
Point presse de Laurent Fabius, Président de la COP21 et de Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, lors de la Conférence de Paris sur le climat, décembre 2015.

Un sujet à ne pas rater

Un an après la signature de l’Accord de Paris sur le climat, et alors que les discussions sur sa mise en œuvre se poursuivent à Marrakech, la couverture médiatique des enjeux liés au réchauffement planétaire n’est pas à la hauteur de l’enjeu, dénonce un des acteurs de la COP21.

Publié le 11 novembre 2016 à 09:52
Arnaud Bouissou/MEDDE  | Point presse de Laurent Fabius, Président de la COP21 et de Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, lors de la Conférence de Paris sur le climat, décembre 2015.

Pour vraiment comprendre les enjeux de la COP22, il faut revenir à la décision 17 de l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 à l’unanimité par 195 pays. Cette décision donne la mesure de l’effort que les Etats se sont engagés à fournir dans leurs contributions nationales pour lutter contre le changement climatique. Le texte dit que ces différentes contributions ne sont pas “compatibles avec des scénarios […] prévoyant une hausse de la température de 2 degrés”.

L’effort à réaliser est précisé dans la même décision. Il est colossal. Si les pays mettent en œuvre l’ensemble des actions promises entre 2020 (date de l’entrée en vigueur de l’accord) et 2030, nous émettrons 55 gigatonnes de Gaz à Effet de Serre (GES) en 2030. Or, à cette date, le niveau d’émission devrait être de 40 gigatonnes si l’on veut maintenir l’augmentation de la température en dessus de 2 degrés, un fossé de 15 milliards de tonnes de GES. Et encore, ces chiffres valent dans l’hypothèse où chaque Etat respecterait bien les engagements pris à Paris. Autrement dit, la COP21 représente le démarrage d’une mobilisation internationale et une avancée très encourageante après les échecs du protocole de Kyoto, et les faibles résultats de Copenhague, mais cependant, tout reste à faire. Comment le raconter ?

Or, je n’ai pas vu – ou trop peu de fois – citée la décision 17 dans les médias, alors même que des centaines d'articles traitent du changement climatique. Pour ne citer que les plus représentatifs, mentionnons trois articles ou séries d'articles. D'abord le New York Times l’année dernière sur la sécheresse en Californie. Le Monde a aussi publié cet été un reportage inquiétant sur les phénomènes de sécheresse et les progrès de la désertification en Iran . Ou encore le toujours captivant reportage d’Elizabeth Kolbert dans le New Yorker sur l’accélération de la fonte des glaces au Groenland .

1 000 ans

Ces illustrations régionales sont indispensables, mais la question du changement climatique oblige à rappeler chaque fois les données au niveau planétaire. Sinon, nous manquons l'essentiel, c'est-à-dire l'interaction des facteurs. Pendant la COP21, nous avions organisé un hangout entre Valérie Masson-Delmotte, aujourd’hui coprésidente du groupe 1 du GIEC, et certains responsables des rubriques Environnement de médias internationaux .

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Après la discussion, Valérie m’a fait part des données scientifiques qui figurent dans le 5ème rapport du GIEC (2013, groupe I), concernant la perdurance du CO2 dans l’atmosphère. “Ce n’est pas 100 ans, comme cela est souvent répété, mais 1 000 ans” me dit-elle ! Je pensais avoir mal entendu. C’est bien pourtant ce que révèle le site Only zero carbon. 20 % du CO2 émis dans l’atmosphère aujourd’hui s’y trouvera encore dans 1 000 années ! L’irréparable est en train de se produire, nous avons tous les éléments, mais ils doivent être répétés et encore répétés pour hâter la prise de conscience.

Le changement climatique a beau être une question qui tient toutes les autres, son traitement reste assez classique dans les médias. Une étude a été réalisée par *Media Matters, publiée en mars 2016, concernant les grands réseaux américains : How Broadcast Networks Covered Climate Change In 2015. Ce travail présente les grandes thématiques traitées par les médias : la météo extrême, les plantes et les animaux sauvages, l’économie, la santé publique, la sécurité nationale et d'autres événements.

Tous les sujets qui ont bénéficié d’une grande couverture média sont d’origine institutionnelle : la COP21, l’encyclique du pape François Laudato si', les plans de l’administration Obama pour réduire les GES, le véto du président américain sur l’oléoduc Keystone… Les médias suivent massivement un sujet quand les leaders ou les institutions s’en emparent ou lorsqu’un rapport est publié. Les ONG l’ont bien compris multipliant les études sur le changement climatique, les énergies fossiles, les extinctions animales, etc. Ce sont elles qui sont très souvent à l’origine des sujets réalisés. Il y a quinze jours l’étude du WWF Living Planet Report sur les populations de vertébrés – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – qui ont chuté de 58% entre 1970 et 2012, a été reprise par les médias dans le monde entier, des Etats-Unis à l’Inde.

Stratégie du pique-nique

Paradoxalement, si les grands moments politiques sont couverts, le travail sur les documents des administrations publiques se fait beaucoup plus rare. Le recensement sur la plateforme NAZCA mis en ligne par les Nations Unies des 11 000 engagements pris à ce jour par plus de 2 300 villes, 2 290 entreprises et 448 investisseurs pour lutter contre le réchauffement planétaire demeure un angle mort dans le traitement médiatique. C’est pourtant une nouveauté de Paris.

Encore plus essentiel, l’accord de Paris repose sur les efforts librement consentis par les Etats afin de réduire leurs GES: ce sont les fameuses Nationally Determined Contributions [contributions déterminées par chaque pays] ou NDC. C’est la stratégie du pique-nique adoptée par la négociation climatique : chacun amène selon son envie et ses moyens, sans obligation aucune, espérant que la honte de venir les mains vides conduisent chaque participant à apporter suffisamment.

Dans ces documents très inégaux en fonction des pays, sont présentées les stratégies nationales, les objectifs chiffrés. Il est très peu fait référence dans les articles aux détails de ces contributions. On les trouve pourtant facilement sur le site de la CCNUCC (UNFCCC en anglais) crée pour l’occasion. Il faudrait les étudier et aller interroger les ministres de l’environnement sur l’état d’avancement de leur politique climatique. Le suivi de ces contributions nationales est extrêmement important car les politiques énergétiques de chaque pays y sont esquissées, avec en arrière fond les questions économiques, mais qui s'en préoccupe ?

Les prochains enjeux des COP suivantes, dont celle, en cours, de Marrakech, consisteront à harmoniser les présentations de ces NDC, à améliorer leur transparence et à en relever l’ambition. Ce qui rend l’exercice difficile est de nouveau la dimension planétaire du sujet. Il est plus simple de traiter de l’adoption d’une loi ou de couvrir une assemblée générale des Nations Unies que de suivre simultanément 195 politiques nationales sur le changement climatique. Nul média ou association de médias ne semble prêt à ce travail de titan... qui est pourtant vital.

On pourrait au minimum se concentrer sur les pays les plus stratégiques. Cinq acteurs représentent plus de 60 % des émissions mondiales : la Chine (24 %), les Etats-Unis (15,5 %), l’Union Européenne (11 %), l’Inde (6,5 %), la Russie (5 %). Des pays comme l’Indonésie ou le Brésil, qui abritent parmi les grandes réserves forestières de la planète sont aussi à suivre. Et c’est ensuite à chaque opinion nationale de se comparer aux autres pays pour savoir si l’ambition est au niveau de l’enjeu.

1,5 degré

L’image qu’un pays va avoir sur le changement climatique va devenir un des leviers essentiels de l’action internationale : qui sera prêt à assumer le fait d’être la cause d’un désastre annoncé en n’ayant pas été assez volontaire dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Cela va peser sur la perception de ce pays et surtout les intérêts économiques qui lui sont liés.

Un autre lieu public d’expertise est à suivre de près, le GIEC. La sortie de ses rapports sont toujours largement médiatisés, mais une échéance particulière se prépare. Dans la décision 21 de l’accord de Paris, il est prévu que le GIEC “présente un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels”.

Ce point est très important. Car en 2018, le futur grand rendez-vous climatique, il est fort probable que le GIEC affirme qu’il est pratiquement impossible de limiter le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C d’ici 2100, ce qui signe la disparition d’archipels comme ceux de Kiribati et de Tuvalu ou encore des îles Marshall. L’accord de Paris a su préserver dans l’article 2, si âprement discuté, l’objectif de “limiter l’élévation des températures à 1,5 °C”. Mais si en 2018, le GIEC annonce que cet objectif est intenable, tout change. Pour la première fois, nous aurons la certitude que des parties de la terre seront à court terme condamnées à disparaître, à cause de l’action des hommes sur le climat.

Le GIEC pourrait ainsi mettre sur la table un débat qui pour l’instant est resté dans les couloirs de l’institution, la question de la géo-Ingénierie : l’homme essayant de modifier chimiquement le climat pour limiter le réchauffement de l’atmosphère. A côté, les débats sur les OGM paraîtront anecdotiques.

Mais au-delà de la nécessité de suivre dans le détail les grands acteurs publics ou les organismes décisifs, une question plus fondamentale se pose concernant le changement climatique. Dans les nombreuses conversations que j’ai pu avoir au cours de la COP21 avec des journalistes, j’ai réalisé à quel point les fondamentaux ne sont pas maîtrisés : en quoi consiste le changement climatique ? Quel est le problème ? Comment peut-on réduire notre empreinte carbone au niveau individuel et national ? J’ai été sensibilisé à ce phénomène par des livres comme Storms of my Grandchildren de James Hansen (2009), Requiem for a species, de Clive Hamilton, (2010), la bande dessinée Saison Brune de Philippe Squazoni (2012), tous des récits argumentés qui permettent d’avoir une approche globale du réchauffement climatique.

Base de contenus commune

A l’écran, An Inconvenient Truth d’Al Gore (2006) s’est imposé comme un récit populaire, international et pédagogique sur le changement climatique. Récemment, en France, c’est le film Demain (2015) de Cyril Dion et Mélanie Laurent qui a su rencontré plus d’un million de spectateurs au cinéma en s’inscrivant dans le mouvement du journalisme de solutions. Plus récemment, un des moments les plus intéressants du dernier documentaire de Leonardo DiCaprio, Before the flood diffusé sur National Geographic (10 millions de vues sur YouTube en une semaine), est le passage sur l’alimentation où il est explique la place prise par l’élevage dans l’agriculture. Si 47 % du territoire américain est consacré à la production de nourriture, 70 % de ces surfaces servent à nourrir les bœufs, quand seulement 1% de ces terres sont utilisées pour les fruits ou les légumes destinés à la consommation !

La question du mode de traitement du changement climatique reste entière pour les médias traditionnels : comment des récits courts peuvent-ils raconter un changement qui s’inscrit dans un cadre séculaire ? Cela m’amène à penser que les médias doivent peut-être inventer une nouvelle façon de travailler sur cette thématique dont on sait qu’elle sera encore présente dans 10 ans, et à peu près dans les mêmes termes.

A l’occasion de la COP21, The Guardian et le Global Editors Network avaient créé le Climate Publishers Network et l'objectif était de partager des documents, des vidéos et des infographies rendus accessibles à tous. Créer une base de contenus commune à de nombreux médias est indispensable, le sujet étant planétaire, et donc hors de portée d’aucun média en solitaire. Cette base devrait permettre de disposer des données essentielles et référencer ensuite les enquêtes traitant de sujets-clé comme l’alimentation, le passage à une économie “low carbon”, la bataille mondiale pour les batteries électriques... Prenons un exemple : la Turquie veut ouvrir 80 nouvelles centrales à charbon dans les prochaines années. Le suivi d'un tel sujet pourrait être partagé par plusieurs médias, comme il l’a été à l’occasion des Panama Papers. A quand les Climate Change papers ?

Une autre option est de prendre la voie du Guardian : prendre ouvertement parti dans le cadre d’une campagne, en l’occurrence Keep it in the ground. The Guardian s’est alors rapproché d’un fonctionnement d’ONG en reprenant le même mode d’action. Autre action remarquée du journal britannique, la rédaction montée en Australie a sans aucun doute contribué à l’élection surprise en février 2015 du parti travailliste dans le Queensland, parti qui s’opposait au développement des mines de charbon, défendu à l’inverse vigoureusement par le Premier ministre libéral de l’époque, Campbell Newman. Si une coalition d’ONG (WWF, Greenpeace, 350.org…) était mobilisée sur ce combat, le choix radical du Guardian Australia était plus inattendu et a montré son efficacité.

Tout ce que nous faisons aujourd’hui génère le climat de demain, c’est pour cela que le changement climatique doit questionner radicalement la couverture que les médias réalisent de cet événement sans précédent qu’est l’anthropocène.

Pour conclure, voici six conseils que j'adresse aux médias internationaux :

  1. Redonner le plus souvent possible les chiffres planétaires afin de favoriser la prise de conscience des citoyens
  2. Partager l’information de référence produite par les différents médias en permettant une utilisation libre de droit
  3. Proposer sur les articles et les vidéos en ligne un lien systématique vers un espace pédagogique qui explique le réchauffement climatique
  4. Ne pas hésiter à choisir une “cause”, un engagement : sans un rôle moteur des médias, le changement sera plus lent et nous manquons de temps...
  5. Créer un wiki administré par les médias volontaires afin de marier l’information planétaire de référence et les enquêtes ou les reportages locaux
  6. Faire un vrai travail d'enquête et de contre-enquête sur les innombrables documents officiels afin de les rendre plus accessibles au grand public.

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