Une Allemagne à l’américaine

Publié le 14 septembre 2012 à 12:14

C’est entendu, Angela Merkel estla femme la plus puissante du monde. Et son pays le plus puissant de l’Union européenne, celui sans lequel rien n’est possible, en particulier lorsqu’il s’agit de venir en aide à ses partenaires en difficulté. C’est pour cette raison que l’événement de la semaine, plus que le discours, pourtant important, de José Manuel Barroso, a été l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande sur le fonds de sauvetage européen.

Sans le “Ja” des juges de Karlsruhe, point de salut pour la Grèce, l’Espagne ou l’Italie, disait-on. C’est-à-dire que le sort éventuel d’au moins 117 millions d’Européens dépendait de la décision de 8 magistrats d’un autre pays que le leur, en vertu d’un processus que la plupart ignore. Cela tient en grande partie à une évolution de l’Allemagne, à la fois dans son fonctionnement politique et dans son rapport au monde. Une évolution que l’on pourrait qualifier d’américaine.

Car de la même manière que l’action ou l’inaction américaine a souvent eu des conséquences sur la marche du monde, l’Europe actuelle vit largement au rythme fixé par Berlin. Et de la même manière que le président américain est lui-même souvent entravé par un Congrès dont les votes dépendent d’enjeux purement nationaux, voire locaux, et de la pression des lobbies, la chancelière doit de plus en plus composer avec un Bundestagdont les élus répondent à des logiques portées par les Länder et les partis ou les groupes économiques. Le député de Bavière devient pour l’Europe ce que le représentant du Midwest est pour le monde : un élu dont les choix portent bien au-delà des frontières, mais dont la Weltanschauung, la vision du monde, se réduit de plus en plus, au rythme de son agacement envers les insuffisances supposées des autres Européens.

Enfin, de la même manière que la Cour suprême des Etats-Unis est le juge en dernier ressort des affrontements politiques et culturels (sur la protection sociale, les armes à feu ou l’avortement), la Cour de Karlsruhe devient le juge de paix des luttes d’influence dans l’Allemagne fédérale. Cela n’est peut-être guère surprenant au pays de Jürgen Habermas, le théoricien du patriotisme constitutionnel. Mais cela soulève un paradoxe qui, là encore, dépasse le simple cas de l’Allemagne.

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C’est au nom de la démocratie que les juges ont été appelés à trancher un débat politique, puisque les plaignants estimaient que le Mécanisme européen de stabilité (MES) bafoue la souveraineté du Parlement, représentant du peuple, en matière budgétaire. Et c’est au nom du droit qu’ils se sont prononcés et ont renvoyé la balle aux politiques, puisqu’ils demandent que le Bundestag revote en cas d’augmentation du MES. A la question essentielle de la prise de décision et du contrôle démocratique en Europe, les Allemands répondent par un équilibre précaire entre juges et élus, qui exclut de fait les autres Européens. Mais ils ont le mérite de mener le débat jusqu’au bout.

Désormais, c’est l’ensemble des élus et dirigeants européens qui doivent relever le défi et établir un vrai système d’équilibre des pouvoirs et de contrôle démocratique pour l’Union européenne. Pour que l’Allemagne ne devienne pas, comme parfois les Etats-Unis, à la fois le leader récalcitrant (et replié sur soi) et le bouc-émissaire de notre impuissance.

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