L'ancienne cité étrusque est devenue un lieu de pèlerinage pour les accros de la saga "Twilight"

Volterra hantée par les vampires

Longtemps, la petite ville toscane a attiré les touristes intéressés par son passé étrusque et ses monuments médiévaux. Mais depuis quelques mois, elle doit faire face à des milliers d’adolescents fans de Twilight, la saga fantastique censée s’y dérouler.

Publié le 27 avril 2010 à 15:46
L'ancienne cité étrusque est devenue un lieu de pèlerinage pour les accros de la saga "Twilight"

Du haut de sa tour, le maire contemple sa ville. Il voit les collines perdues dans la brume, les murs étrusques entourant la cité et, plus bas, ce dédale de ruelles si pittoresque. Marco Buselli regrette parfois les temps médiévaux où Volterra paraissait inaccessible, retranchée derrière les collines. Les étrangers étaient rares à l’époque. Il vient souvent ici, tout en haut du Palazzo dei Priori. Il a besoin de ce calme et de cette vue, il doit réfléchir, trouver comment ancrer Volterra dans le monde moderne sans renier son caractère.

Buselli craint la surexploitation commerciale, un problème que connaissent bon nombre de villes italiennes. Il ne veut ni du bric-à-brac de Venise, ni des façades liftées de San Gimignano. Il veut que Volterra garde son authenticité, qu’elle reste une ville et pas un décor de cinéma. Buselli a des raisons de s’inquiéter. Depuis plus d’un an, Volterra est prise d’assaut par des amateurs d’histoires de vampires venus du monde entier. La faute à Stephenie Meyer, auteur de la saga Twilight, déjà écoulée à 100 millions d’exemplaires, dont un chapitre se déroule à… Volterra.

"Edouard forever" gravé sur les murs de la ville

Sur la place en contrebas se trouve la guide Dika Boelen entourée d’un groupe d’adolescents. Cette Néerlandaise vit ici depuis 25 ans. Auparavant, elle faisait faire le tour de la ville à des profs allemands de gauche, amateurs de vin bio, lisant Pasolini et logeant dans un gîte rural. A présent, c’est sur le teint d’albâtre des vampires que ses nouveaux clients l’interrogent. Ces derniers sont âgés d'une quinzaine d’années et viennent d’Europe ou des Etats-Unis. Ce sont majoritairement des filles, accompagnées de leurs parents. La plupart arrivent en car depuis Florence ou Sienne, gravent "Edouard forever" sur les murs de la ville et sourient d’un air extatique. Edouard le vampire fait en effet chavirer le cœur des filles de l’Indonésie à la Russie, en passant par la Norvège et la Thaïlande. Le succès du film a fabriqué un fantasme planétaire.

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Stephenie Meyer ne connaissait pas Volterra, explique Boelen. Dans Twilight-Tentation [le deuxième volume de la série], l’auteur décrit le village natal des Volturi, famille de vampires maléfiques. Ce n’est que plus tard, en surfant sur Internet qu’elle découvrit l’existence de Volterra et choisit cette ville pour la ressemblance de son nom avec celui de Volturi. Elle aurait aussi bien pu prendre Viterbo ou Vicenza, explique Boelen. Dans le livre, Edouard, croyant sa chère Bella morte, décide de s’exposer au soleil de midi pour se laisser tuer par les Volturi. Bella parvient naturellement à le sauver – sinon il n’y aurait pas de troisième tome -, et tous deux échappent aux Volturi pour retourner dans leur trou humide du nord-ouest des Etats-Unis. Cet endroit, qui existe aussi réellement, est activement recherché par les fans de la saga.

"Gràce à Twilight, nous avons été épargnés par la crise."

Buselli explique que Volterra a gâché les premiers contacts avec ce nouveau monde. Certains râlaient, refusant de voir leur ville transformée en Disneyworld, s’opposant à la multiplication des pizzerias et des campings. "Nous avons débattu pendant des mois", se souvient le maire. Montepulciano a été plus rusé et a sorti le grand jeu devant l’équipe de tournage. Le film a finalement été tourné là-bas. Buselli et son comité ad hoc imaginèrent alors une astuce pour surfer sur la vague Twilight sans défigurer leur belle ville. Les guides touristiques se mirent en quête d’une porte qu’aurait pu emprunter le personnage de Bella dans le film et d’une rue où elle aurait pu sauver Edouard. On propose désormais une visite spéciale Twilight, avec un final sanglant dans un cachot. "Nos clients veulent des vampires, nous leur offrons Volterra. Nous leur montrons les tombes étrusques, les palais de la Renaissance, peut-être qu’ils en garderont quelque chose", explique Boelen. Les visites sont complètes depuis des mois, la ville a enregistré 50 000 nuits d’hôtel supplémentaires en 2009. "Grâce à Twilight, nous avons été épargnés par la crise", déclare Buselli.

A la nuit tombée, Dika Boelen conduit son groupe vers le cachot, en réalité le pub irlandais Quo Vadis. Des matons encapuchonnés se servent des verres de vin rouge en guise de coupes de sang, des étudiantes australiennes piaillent, une mère allemande fait la moue, ses filles rayonnent de bonheur. Deux jeunes filles de 17 ans, originaires de Trieste, expliquent avoir lu le livre une dizaine de fois. Il serait plus important que la Bible. Ne vous offrez pas au premier venu, dit en substance Meyer à toutes les jeunes filles du monde, attendez le bon. "Si nous avions lu ce livre plus tôt, on se serait évité quelques histoires avec les garçons", déclarent les jeunes filles, l’air sérieux. Dika Boelen trouve les fans de Twilight terriblement niais et la série complètement gnangnan. Pour elle, ce n’est qu’une pâle imitation de Roméo et Juliette, vue par une mormone condamnant le sexe avant le mariage. "Chaque génération lutte contre les idéaux de ses parents, c’est comme ça", résume-t-elle. A la fin de la visite, Boelen emmène les jeunes filles sur une place aux portes de la ville. Elles doivent sentir l’atmosphère de la cité, se laisser entraîner. "Les vampires n’ont peut-être pas d’âme mais Volterra, si."

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