C’est aujourd’hui une banalité acceptée par tous avec résignation : l’Union européenne n’a pas de politique étrangère. Rien de plus banal, aussi, que les sarcasmes qui accompagnent en permanence lady Ashton, la vice-présidente de la Commission et haut représentant pour les Affaires étrangères, à qui l’on a confié un navire qui n’a ni cap, ni voile, et peut-être pas même de coque – soit un machine qui n’est pas capable de naviguer.
Elle est depuis juillet 2010 à la tête d’un formidable Service européen d’action extérieure, fort de 3 000 diplomates de haut vol. Un service qui au fond ne sert personne, en l’absence de cette unité et de cette volonté politiques nécessaires à la projection d’une identité et d’une personnalité sur la scène internationale.
Alors que ce 29 novembre, le président de l’Autorité palestinienne va présenter la demande de reconnaissance de son pays comme Etat observateur, et non comme Etat membre, par la grande instance internationale qu’est l’Assemblée générale des Nations unies, cette Europe évanescente va de nouveau se donner en spectacle. Comme l’on pouvait s’y attendre, toutes les tentatives faites pour dégager une position commune qui puisse compter sur les voix de chacun des 27 membres de l’UE ont échoué, et le défilé des gouvernements européens préférant ménager la chèvre et le chou a commencé.
Une politique étrangère sans le savoir
Cela semble désormais parfaitement normal. Les querelles financières sont devenues si quotidiennes, les insultes et les affronts si répétés et le désamour pour le projet commun si partagé qu’on a oublié qu’il n’en a pas toujours été ainsi. La cruelle vérité, celle qu’il faut brandir aux responsables politiques actuels, c’est qu’en Europe, nous faisions de la politique étrangère quand la politique étrangère n’existait pas encore.
Et il faut y ajouter une vérité plus terrible encore : les maigres avancées vers la paix entre Israéliens et Palestiniens sont dues à des décisions et à des résolutions prises quand nous, Européens, possédions — presque sans le savoir — une personnalité internationale et une politique étrangère dignes de ce nom.
La preuve à charge qui met en lumière le vide actuel n’est autre que la déclaration de Venise, un document adopté en juin 1980 en réaction aux accords de Camp David et à la signature du traité de paix israélo-égyptien. Dans ce texte, les chefs d’Etat et de gouvernement des neuf pays membres de la Communauté européenne, l’ancêtre de l’UE, s’engageaient à “jouer un rôle particulier” dans l’établissement de la paix dans la région, reconnaissaient le droit des Palestiniens à l’autodétermination, entrevoyaient déjà deux Etats, Israël aux côtés d’une nouvelle entité palestinienne, coexistant dans la paix et la sécurité et reconnus par tous, et encourageaient les deux parties sur la voie des négociations. Déjà, en cette époque lointaine, les Neuf condamnaient la politique de colonisation, qualifiée d’“obstacle grave au processus de paix”, et rejetaient toute modification unilatérale du statut de Jérusalem. Tout cela à l’unanimité. Sans un seul veto.
Une idée d'avenir
Seuls quatre des neufs signataires de la déclaration de Venise s’étaient engagés, hier 28 novembre, à voter "oui" à la demande de la Palestine : la France, le Danemark, le Luxembourg et l’Irlande. La Belgique devrait finalement se joindre à eux. Le Royaume-Uni, qui posait ses conditions, l’Allemagne, qui balançait de doutes en hésitations, les Pays-Bas et l’Italie, qui campaient sur le non, complètent le tableau de cette désunion européenne qui contraste avec le temps où l’Europe avait une politique extérieure.
Le vote d’aujourd’hui sera une manifestation tangible de l’affaiblissement et de l’absence de l’UE, en tant que telle, sur la scène internationale, alors même qu’y entrent les pays émergents, dans lesquels la Palestine trouve aujourd’hui son meilleur soutien. L’idée d’un Etat palestinien, aussi impensable et utopique puisse-t-elle paraître, est une idée d’avenir dès lors qu’on tient compte de deux faits très simples, et qui sont bien souvent les rails qui orientent la locomotive de l’Histoire : la démographie de la région, et la carte géopolitique de la planète.
Contrepoint
L’UE ne devrait pas se faire complice de l’erreur palestinienne
"Il se peut que le vote à l'ONU donne un Etat palestinien sur le papier mais il ne changera rien à la réalité sur le terrain", écrit Daniel Schwammenthal dans The Commentator. Selon le directeur de l'American Jewish Committee Transatlantic Institute à Bruxelles,"aucun pays européen ne devrait par complicité conforter les Palestiniens dans leur bourde de 1947", quand ils ont rejeté le plan de partition de l'ONU comme il avait été établi par la résolution du 29 novembre qui soutenait un Etat palestinien et un Etat juif. Daniel Schwammenthal ajoute que
la création d'un Etat ne peut venir que de négociations directes et chaque soutien par l'ONU des revendications palestiniennes ne fera que rendre plus compliqué un compromis acceptable à l'avenir. L'annonce de l'ONU risque d'officialiser le divorce entre la création d'un Etat palestinien et le but ultime du processus de paix.
Le seul cadre légal entre Israël et les Palestiniens – les accords d'Oslo conclu en 1995 – interdit spécifiquement le genre de manœuvre unilatérale de Mr Abbas.
En soutenant la démarche de l'ONU, les pays membres de l'UE ne vont pas seulement approuver la violation par les Palestiniens de leurs obligations, mais aussi saper leur position de témoins de la signature des accords d'Oslo.