investigation Actualité Enquête sur la finance verte | Cinquième partie Abonné(e)s

Les aventures de Michelin en Indonésie : déforestation et greenwashing

Après avoir financé avec des obligations durables des plantations d'hévéas issues du défrichement à Sumatra, en Indonésie, le géant des pneumatiques essaye de sauver ce qu’il reste de la forêt tropicale. Mais l’impact écologique du projet dans les zones où vivent des espèces menacées reste passif. La vaste opération d’écoblanchiment se poursuit.

Publié le 30 mai 2024 à 11:30
Cet article est réservé à nos abonné(e)s

Chapitre 5

Sur l’île de Sumatra, en Indonésie, un des derniers habitats où trouvent refuge des espèces menacées d’extinction telles que les éléphants, les tigres et les orang-outans, a fait l’objet d’un défrichement débridé orchestré par les exploitants de bois tropicaux et de caoutchouc et les cultivateurs clandestins. Pendant des années, Michelin a investi la région en partenariat avec le géant local de l’agro-industrie Barito Pacific Group pour y développer des plantations d’hévéas, dont est tiré le latex nécessaire à la création du caoutchouc.


👉 Tous les articles de notre investigation sont disponibles ici.

Financées par des obligations dites “vertes”, ces plantations étaient censées contribuer à la reforestation, à la conservation des animaux protégés et à la réduction de l’empreinte carbone du géant du pneumatique. Les obligations ont été émises par la Tropical Landscapes Finance Facility (TLFF), une plateforme de financement pour des projets en lien avec les accords de Paris sur le climat co-créée par des partenaires internationaux, dont le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et la banque française BNP Paribas, comme nous l'avions révélé dans les chapitres précédents.

Nous avions également démontré que ces plantations détenues par la société Royal Lestari Utama (RLU), coentreprise de Michelin et Barito, avaient été installées sur des terres appartenant en partie à une forêt censée être protégée en marge du parc national Bukit Tigapuluh (“Trente collines” en indonésien) et dont la végétation avait été détruite au mépris des critères de la finance verte. 

Cet habitat s’est réduit comme peau de chagrin suite à l’effet combiné de la déforestation industrielle réalisée par RLU, et celle, plus “artisanale”, des défricheurs illégaux. C’est dans ce contexte, largement caché aux investisseurs, que Michelin et Barito Pacific ont eu recours aux obligations vertes. 

L'écosystème forestier de Bukit Tigapuluh
L'écosystème forestier de Bukit Tigapuluh (ligne jaune), incluant le parc national éponyme (ligne bleue) et les forets environnantes (en vert). La ligne rouge indique le bloc 4 de la concession de LAJ qui recoupe en partie l'écosystème forestier. | Source : ​​KKI Warsi / Frankfurt Zoological Society / Eyes on the Forest / WWF-Indonesia

La responsabilité de RLU a été enfin reconnue par Michelin lors d’un échange récent avec notre partenaire Mediapart. "Personne ne conteste ce qui s'est passé antérieurement, notre but est de faire les choses différemment", a par ailleurs déjà reconnu Lisa Genasci, PDG d'ADM Capital Foundation lors d'une réunion avec l’ONG Mighty Earth à laquelle sa société d’investissement et les autres cofondateurs de la TLFF ont assisté en décembre 2020 et dont Voxeurop a pu consulter le procès verbal.

Michelin a remboursé aux investisseurs les obligations vertes à l’été 2022, après avoir racheté l'entièreté de RLU, dont elle était jusque-là actionnaire minoritaire, avec 49 % des parts. La société Michelin n'est ainsi plus soumise aux engagements environnementaux liés à ces obligations. Depuis, la TLFF a été démantelée et RLU a arrêté de commander ses rapports d'avancement à des consultants indépendants. Le dernier rapport, couvrant les années 2022 et 2023, a été publié le 27 mai 2024. Rédigé directement par Michelin, il ne fait aucune référence aux engagements de durabilité pris par rapport aux acheteurs des obligations vertes, ni aux objectifs de conservation qui, auparavant, étaient indiqués chaque année. Nous avons interrogé Michelin le jour même sur le contenu de ce rapport, mais le groupe a affirmé ne pas être en mesure de répondre rapidement.

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

sur le même sujet