Actualité Guerre en Ukraine

Les entreprises russes contournent les sanctions de l’UE …avec l’aide de Polonais

Les entreprises russes et biélorusses ont trouvé un moyen de contourner, et ce à grande échelle, les sanctions économiques de l’UE limitant la vente de biens aux clients individuels dans ces pays. OKO Press en dévoile le mécanisme.

Publié le 3 novembre 2022 à 09:29
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Malgré les restrictions légales, le commerce avec la Russie continue. Bien que de lourdes amendes et même des peines de prison soient prévues en cas de violation du blocus de l’UE, les entreprises russes n’ont aucun mal à trouver des partenaires et des dépôts, ironiquement, en Pologne.

Le portail polonais de vente en ligne Allegro.pl est très populaire en Russie. C’est surtout vers Kaliningrad que les produits vendus sur Allegro sont régulièrement expédiés, et l’on trouve notamment parmi eux des biens dits “à double usage” : conçus pour les civils, mais pouvant également être utilisés par les militaires – raison pour laquelle leur vente en Russie et Biélorussie est désormais interdite. 

Pourtant, ceux-ci continuent de parvenir en Russie, comme tant d’autres produits d’entreprises occidentales, dont celles qui se sont retirées du marché russe lorsque la guerre a éclaté en Ukraine.

Des sanctions commerciales faciles à contourner

Dans le cadre des sanctions économiques imposées à la Russie par l’Union européenne, il est désormais interdit aux entreprises européennes de lui vendre certains produits. C’est notamment le cas, comme dit, des produits “à double usage”, mais aussi des produits high-tech (dont l’électronique et les logiciels haut de gamme) ou encore des produits de luxe (comme les montres et les bijoux).

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À la suite de ces interdictions, de nombreuses entreprises occidentales se sont retirées des marchés russe et biélorusse (la Biélorussie étant également sanctionnée, quoique dans une moindre mesure) ; une grande partie des marchandises en provenance d’Europe et des Etats-Unis sont donc désormais “officiellement” inaccessibles dans ces deux pays.

Information sur la livraison de biens importés depuis l'UE sur le portail Fastbox.

Mais ce blocus s’avère cependant facile à contourner, surtout pour les entreprises russes qui exercent leurs activités – des services d’intermédiaire de livraison, en général – non loin de la frontière extérieure de l’Union européenne. Une fois la transaction conclue, le client ayant fait appel aux services de l’intermédiaire russe communique au vendeur polonais une adresse de livraison en Pologne qui lui a été indiquée, et qui se trouve généralement près de la frontière orientale.

Il s’agit en fait de l’adresse d’un entrepôt polonais dont le propriétaire travaille avec les intermédiaires russes. Si le virement du prix de la transaction au compte du vendeur pose problème, l’intermédiaire russe intervient également : le client verse d’abord l’argent sur le compte de ce dernier, après quoi la somme est convertie en zlotys et transférée sur le compte du vendeur par l’intermédiaire polonais.

La suite des opérations est simple : une fois le colis livré à l’adresse polonaise indiquée, il est réexpédié au destinataire en Russie ou en Biélorussie. Au cours de la transaction, le vendeur polonais ignore que ses marchandises ont été expédiées en dehors du pays, puisque lui-même les a envoyées à une adresse en Pologne.

D’Allegro à Kaliningrad

Allegro n’est pas le seul portail de vente en ligne dont les produits quittent le pays pour la Russie en dépit des sanctions en vigueur. Les intermédiaires proposent leurs services à de nombreuses boutiques en ligne, notamment Fastbox, une entreprise installée à Kaliningrad et spécialisée dans le “transport de marchandises depuis l’Europe”.

Nous livrons aux résidents russes et de la CEI [la Communauté des États indépendants, formée de neuf des quinze anciennes républiques soviétiques] toutes sortes de marchandise en provenance des boutiques en ligne d’Europe, des États-Unis et d’Asie et du site polonais d’enchères en ligne Allegro”, peut-on lire dans une de ses publicités. Fastbox s’occupe de tout : elle a son propre dépôt en Pologne où arrivent les colis, son personnel y change l’emballage et l’adresse de destination puis les expédie plus loin à l’Est [de la Pologne]. Les colis sont livrés par le service postal russe ou, étonnamment, par la poste polonaise, via son service international de livraison express qui couvre bien les pays de la CEI, mais pas la Russie.

Une offre pensée pour les Polonais, à l’avantage des Russes

Les services de Fastbox vont plus loin encore. L’entreprise gère aussi un autre portail qui s’apparente à une grande boutique en ligne dont la devise est : “Marchandises d’Europe, d’Allegro.pl et d’ailleurs – Frais de livraison réduits”. On y trouve de tout, de l’électronique européenne aux pièces détachées de moto en passant par les parfums ou les jouets pour enfants.

Le site web n’a rien à voir avec le célèbre portail Allegro, mais lui ressemble beaucoup : même couleur orange caractéristique, nom de boutique en ligne commençant aussi par un “A” – et que nous tairons pour ne pas lui faire de publicité. En outre, une grande partie des objets qui sont mis en vente sur le site proviennent…d’Allegro ; la boutique en ligne de Fastbox copie d’ailleurs purement et simplement les photos et les descriptions des produits proposés sur le site polonais. Certains équipements électroniques sont même accompagnés d’informations traduites en russe.

L’offre du site était initialement adressée à des utilisateurs polonais, mais les Russes n’y voient pas d’inconvénient. Le fait de payer ces marchandises en moyenne 15 à 25 % plus cher que les Européens ne semble pas non plus les déranger – à titre d’exemple, l’iPhone14 PRO coûte 7 199 zlotys [environ 1 510 euros] en Pologne et 99 000 roubles [environ 1 580 euros] sur le portail russe, soit plus de 8 000 zlotys.

iPhone vendu sur le portail polonais Allegro.

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